Très impopulaire à moins d’une année de la fin de son mandat, le Premier ministre François Legault de la Coalition avenir Québec (CAQ) a commencé la mise en œuvre de son «traitement choc» promis en septembre dernier à l’occasion d’un remaniement ministériel.
Legault avait alors annoncé un programme propatronal comprenant: la destruction de ce qui reste des services publics; l’élimination des obstacles réglementaires aux activités de la grande entreprise nocives pour l’environnement mais bonnes pour les profits; la poursuite des attaques contre les immigrants et les minorités religieuses pour en faire les boucs émissaires de la crise sociale causée par le capitalisme; et la répression de toute opposition des travailleurs à ces mesures.
Dans un contexte où le Parti québécois domine les sondages sur les intentions de vote et où certains députés et anciens ministres caquistes ont réclamé la démission de Legault, son «traitement choc» marque une brusque accentuation des tendances ultradroitières de son gouvernement. Il cherche ainsi à démontrer à la classe dirigeante qu’il est toujours apte à imposer les brutales politiques antiouvrières qu’elle exige pour faire porter aux travailleurs tout le poids de la crise capitaliste.
À l’occasion de son discours d’ouverture de la nouvelle session parlementaire à l’Assemblée nationale du Québec le 1er octobre, le Premier ministre a expliqué que cela se traduirait en quatre priorités de son gouvernement pour l’année à venir: l’économie, l’efficacité, la sécurité et l’identité – en langage clair, la défense des profits, le démantèlement des programmes sociaux, la suppression de l’opposition sociale et le chauvinisme québécois.
Legault a salué l’augmentation massive des dépenses militaires décrétée par le Premier ministre libéral fédéral Mark Carney et annoncé un changement aux règles d’Investissement Québec, un organisme rattaché au ministère de l’Économie, pour qu’il puisse ignorer toutes considérations morales et investir l’argent public dans l’industrie de l’armement.
Legault signalait ainsi que malgré les pertes d’au moins 2 milliards de dollars subies par l’État québécois dans la déconfiture de la «filière batterie», son gouvernement entend continuer d’offrir à la grande entreprise des milliards de dollars de fonds publics en subventions et en prêts pardonnables.
Legault a également annoncé le dépôt rapide d’un projet de loi visant à accélérer les projets d’infrastructures. À l’image de la Loi visant à bâtir le Canada que le gouvernement Carney a fait adopter dès son arrivée au pouvoir, cette mesure aura pour objectif de soustraire les entreprises à la réglementation, particulièrement en matière environnementale, et ainsi lever les dernières barrières à l’augmentation des profits.
Afin de faire payer à la classe ouvrière ces cadeaux à la grande entreprise, la CAQ déposera un projet de loi de «réduction de la bureaucratie» qui va abolir des organismes publics utiles, réduire les sommes allouées aux programmes sociaux et mettre à pied des milliers de fonctionnaires.
Ces mesures vont s’ajouter aux coupes de milliards de dollars et de milliers de postes dans les systèmes publics de santé et d’éducation et dans d’autres services essentiels tels que l’aide sociale, l’inspection et l’entretien des routes et la surveillance de la qualité des sources d’eau potable.
Et elles s’inscrivent dans le cadre de la politique menée par toute la classe dirigeante au pays, le Premier ministre canadien Carney en tête, pour faire face aux droits de douane et menaces d’annexion de Trump sur le Canada par une intensification de son propre assaut sur la classe ouvrière.
Afin de détourner l’attention des conséquences dévastatrices de ses politiques et de diviser les travailleurs, Legault a annoncé la continuation de ses attaques contre les immigrants et les minorités religieuses.
Dans son discours du 1er octobre, le Premier ministre a livré une diatribe d’extrême droite contre «l’immigration incontrôlée d’Ottawa» et les «islamistes radicaux» qui menaceraient «la langue française, nos valeurs communes, notre culture». La réponse de la CAQ à cette supposée «menace existentielle» sera une nouvelle orgie de nationalisme et de chauvinisme québécois.
Legault a ainsi déclaré que son gouvernement n’aurait pas «le choix que d’être moins généreux» avec les immigrants, une intention confirmée par un mémoire du ministre de l’Immigration Jean-François Roberge coulé récemment dans les médias qui propose des coupes cruelles dans les services fournis aux demandeurs d’asile, y compris au niveau de l’aide sociale.
Legault a aussi annoncé un nouveau projet de loi pour élargir la laïcité et interdire les prières en public. Les médias ont rapporté que le gouvernement Legault envisage aussi d’interdire complètement d’avoir le «visage couvert» en public, y compris dans la rue et les parcs. Il s’agit d’une mesure discriminatoire contraire aux droits fondamentaux et qui ciblerait non seulement les femmes musulmanes portant le voile intégral, mais aussi les manifestants qui se masquent pour se protéger de la police et éviter de subir des représailles en raison de leurs opinions politiques.
Conscient que ces politiques seront grandement impopulaires, Legault a aussi amorcé un tournant vers des mesures autoritaires pour supprimer toute opposition.
Dans son discours du 1er octobre, il a déclaré l’existence d’un «sentiment d’insécurité» grandissant au Québec et réclamé de son ministre de la Sécurité publique, l’ex-policier Ian Lafrenière, un programme de type «loi et ordre» dans lequel les problèmes sociaux tels que l’itinérance et la consommation de drogues dures seraient réglés par une «justice sévère» et la «répression».
Déjà dans les dernières semaines, les autorités ont utilisé des déploiements massifs de policiers vêtus de leur armure antiémeute pour intimider les participants à des manifestations pacifiques contre le génocide des Palestiniens par Israël et contre le meurtre du jeune Nooran Rezayi, 15 ans, assassiné par la police de Longueuil en septembre dernier.
Pendant ce temps, la CAQ cherche à museler l’appareil gouvernemental et à prévenir toute opposition à ses mesures d’austérité. Legault a déjà annoncé qu’il allait congédier les hauts fonctionnaires dans les systèmes de santé et de l’éducation qui révèlent au public les impacts dévastateurs des coupes dans les services publics.
Le projet de Constitution du Québec que le ministre de la Justice Simon-Jolin Barrette vient de déposer à l’Assemblée nationale propose d’interdire aux organismes publics et aux municipalités de contester les lois québécoises devant les tribunaux.
Par ailleurs, déclarant que «le Québec est le champion des grèves», Legault a annoncé son intention de «moderniser le régime syndical», c’est-à-dire réduire à néant ce qui reste des droits des travailleurs. Après avoir fait adopter le projet de loi 89 qui soumet le droit de grève au bon vouloir du gouvernement, la CAQ veut maintenant revoir les règles sur les votes de grève afin de renforcer le contrôle de l’État sur le processus. Le gouvernement veut aussi empêcher que les cotisations syndicales servent à des recours devant les tribunaux, notamment en les rendant facultatives.
L’amorce de la mise en œuvre du «traitement choc» de Legault a suscité peu d’opposition de la part des autres partis politiques.
Le PQ, un parti ultranationaliste qui donne le ton à la politique québécoise avec son discours anti-immigrant inspiré de l’extrême droite, a attaqué la CAQ de la droite en exigeant plus de coupes budgétaires et plus de chauvinisme anti-immigrants. Dans une écœurante surenchère de «laicité», son chef Paul Saint-Pierre Plamondon a annoncé qu’un gouvernement péquiste interdirait, lui, le port de signes religieux par les enfants qui fréquentent l’école primaire.
Quant à Québec solidaire (QS), un parti des classes moyennes aisées qui prétend parfois être «de gauche», il s’est surtout démarqué en s’associant au PQ dans un grotesque coup de théâtre nationaliste. Le jour du discours d’ouverture de Legault, les députés de QS et du PQ ont quitté le salon rouge de l’Assemblée nationale pendant le discours de la Lieutenante-Gouverneure pour protester contre les «liens archaïques» qui perdurent entre le Québec et la monarchie britannique.
Cette manœuvre fait partie des efforts constants de QS pour cacher le virulent chauvinisme anti-immigrants du PQ en déclarant que ce dernier «n’est pas raciste». QS continue ainsi de jouer un rôle clé pour canaliser l’opposition croissante de la classe ouvrière vers l’impasse du PQ, du nationalisme québécois et du projet indépendantiste.
Parce que la «modernisation» du régime syndical promise par Legault menace directement ses privilèges – la CAQ veut notamment imposer des restrictions sur l’utilisation des cotisations des travailleurs – la réponse de la bureaucratie syndicale a été plus vive en surface.
Malgré le ton outré de leurs condamnations démagogiques, les bureaucrates syndicaux cherchent avant tout à maintenir intact leur partenariat avec l’État et le patronat. Depuis plusieurs décennies, les appareils syndicaux remplissent le rôle de police sur les lieux de travail et imposent aux travailleurs les concessions souhaitées par le patronat en échange de somptueux avantages matériels pour la poignée de bureaucrates qui dirigent les centrales syndicales.
Pour prendre un exemple de la réponse des bureaucraties syndicales, la CSN (Confédération des syndicats nationaux) a lancé une campagne sous le slogan nationaliste «Faire front pour le Québec», qui poursuit la pratique de longue date visant à diviser les travailleurs du Québec de leurs frères et sœurs de classe du reste du Canada, des États-Unis et d’outrement.
Dénonçant les attaques de Legault sur les syndicats et déplorant le sous-financement des services publics, la CSN se contente de demander timidement aux partis politiques «de s’engager à retirer les lois et les projets de loi s’attaquant aux travailleuses et aux travailleurs».
Ce faisant, la centrale syndicale ouvre la voie à un soutien au PQ aux prochaines élections s’il promet simplement de retirer le projet de loi 89 et la réforme du régime syndical. Dans la même lignée, la présidente de la FTQ (Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec), Magali Picard, a tenu des discussions avec le PQ sur la possibilité de lui accorder son appui au prochain scrutin.
Le tournant à droite de la CAQ et la montée du chauvinisme québécois s’inscrivent dans des tendances mondiales. Pour s’y opposer, les travailleurs québécois doivent rejeter toutes les formes de nationalisme et mener une contre-offensive contre l’austérité capitaliste et pour la défense des droits démocratiques et des services publics, et ce, en alliance étroite avec leurs frères et sœurs de classe à travers le Canada et dans le monde.
