La police soutenue par l'armée a tué au moins trois manifestants en Équateur au cours de la dernière semaine, les premiers décès d’une grève générale nationale qui a débuté le 22 septembre et en est maintenant à sa quatrième semaine, sans aucun signe de résolution.
La Confédération des nationalités autochtones d'Équateur (CONAIE, en espagnol) est l'une des organisations à avoir appelé à la grève pour protester contre la forte hausse du prix des carburants, la montée de l'inflation, les coupures de courant et la violence des réseaux de narcotrafiquants. Elle a publié une déclaration dénonçant le gouvernement pour avoir «transformé nos communautés en zones de guerre, en utilisant gaz lacrymogènes, balles et violence aveugle contre un peuple exerçant son droit constitutionnel de manifester».
Après avoir déchaîné une violence meurtrière contre les manifestants dans le canton d'Otavalo, situé dans les hautes terres du nord de l'Équateur, le gouvernement droitier du président Daniel Noboa a affirmé jeudi avoir conclu un accord avec les dirigeants autochtones locaux pour mettre fin à la grève. Cette affirmation a été démentie par la CONAIE et par le maire d'Otavalo, qui a affirmé que la grève se poursuivait en raison de la hausse des prix du carburant et d'autres questions nationales. Les autorités ont admis que les manifestants continuaient de bloquer les routes dans au moins quatre provinces.
Le gouvernement a justifié l'intensification de la répression par un incident survenu le 7 octobre, lorsqu'un convoi transportant le président Noboa à Cañar a été attaqué par des manifestants.
Les premiers reportages des médias ont repris les allégations du gouvernement, qualifiant l’incident de «fusillade»; cependant, la version officielle s’est rapidement effondrée.
Plus de 500 manifestants avaient encerclé le convoi et certains jetèrent des pierres. Sept véhicules furent endommagés, quatre agents de sécurité blessés et cinq personnes arrêtées puis relâchées. Noboa lui-même est sorti indemne de l’incident.
Le gouvernement a affirmé, sans fournir de preuves, que le véhicule du président avait été touché par des balles et que l’attaque était une «tentative de magnicide».
Selon des preuves vidéo et photographiques analysées par BBC Verify Lupa Media, aucune ne comporte de sons ou d'images compatibles avec des tirs. Enfin, un rapport de police cité par El Mercurio conclut qu'il n'existe «aucune preuve balistique» que le convoi présidentiel ait essuyé des tirs.
Cela n'a pas empêché le gouvernement d'exploiter l'événement pour durcir la répression. Il a déclaré l'état d'urgence, renforcé les déploiements de troupes et suspendu les droits démocratiques dans dix provinces, Noboa qualifiant de «terroristes» les participants à ces manifestations majoritairement pacifiques.
Outre les trois morts, la répression militaire a fait des dizaines de blessés et il y eut 120 arrestations.
Les gouvernements étrangers, qu’ils soient nominalement «de gauche» ou ouvertement de droite, ont exprimé leur soutien total à la manœuvre de Noboa, montrant clairement qu’ils sont tous alignés lorsqu’il s’agit d’écraser l’opposition d’en bas.
Par l'intermédiaire de son ambassade à Quito, le gouvernement Trump a dénoncé l'attaque contre Noboa: «Les États-Unis condamnent l'attaque contre le cortège du président Daniel Noboa. Nous soutenons l'Équateur alors que les autorités enquêtent et cherchent à établir qui est responsable, et nous nous opposons à toute forme de violence politique.»
Le Premier ministre britannique Keir Starmer, critiqué pour son soutien au génocide israélien à Gaza, a hypocritement appelé à la «désescalade et au dialogue» en Équateur. Ce n'est pas le premier cas de collusion réactionnaire entre le Royaume-Uni et l'Équateur. En 2019, le président Lenín Moreno a collaboré avec l'expulsion de Julian Assange de l'ambassade d'Équateur à Londres, ce qui conduisit à son emprisonnement et à la menace d'un procès pour espionnage aux États-Unis.
Les gouvernements de droite et ceux prétendument de gauche d’Amérique latine ont exprimé leur solidarité avec Noboa, qualifiant les récents événements d’«attaque contre la démocratie».
Gustavo Petro, de Colombie, et Lula da Silva, du Brésil, représentants de la «Marée rose», ont condamné l'attaque, envoyant un message de soutien à Noboa.
La Chine, préoccupée par l’alignement de Noboa sur Washington, a qualifié sa position «d’inacceptable» et a exhorté l’Équateur à «rétablir la paix et la stabilité».
Les manifestations de masse ont débuté en Équateur le mois dernier, après la suppression des subventions aux carburants. Elles ont été convoquées par le Front uni des travailleurs (FUT) et le Syndicat national des éducateurs (UNE), avec le soutien des organisations autochtones.
Ces organisations avaient appelé à un «arrêt du pays», ou paro, le 21 septembre pour exiger le rétablissement des subventions sur les carburants et la réduction de la TVA régressive de 15 à 12 pour cent.
Les troubles se produisant en Équateur s’inscrivent dans une tendance plus large en Amérique latine, de résistance à la politique d’austérité sociale agressive et aux attaques contre les droits démocratiques menées par les dirigeants d’extrême droite comme Noboa, Nayib Bukele au Salvador, Javier Milei en Argentine et le gouvernement de droite actuellement dirigé par José Jerí au Pérou.
Il est significatif qu’alors même que les forces de sécurité tuaient des manifestants en Équateur, dans le Pérou voisin, un agent en civil de la Police nationale péruvienne (PNP) a abattu mercredi Eduardo Ruiz Sanz, 32 ans, lors d'une marche d'étudiants, de travailleurs des transports et d'organisations civiles contre Jerí. Celui-ci fut installé récemment au pouvoir par le Congrès de droite après l'éviction de Dina Boluarte, présidente haïe et non élue du Pérou, et contre le Congrès même. Le gouvernement a indiqué qu'il exploiterait la violence dont il est lui-même responsable pour imposer l'état d'urgence et concentrer le pouvoir dans une dictature présidentielle.
Noboa est issu de l'une des familles les plus riches de l’Équateur. Lors de sa campagne pour sa réélection en début d'année, il s'est retrouvé à la traîne dans les sondages derrière sa rivale, la candidate correiste Luisa González (partisane de l'ancien président nationaliste de centre-gauche Rafael Correa). En réaction, il a décidé de se rendre à Washington pour rencontrer Donald Trump, concluant un accord visant à utiliser la question du trafic de drogue comme prétexte pour des déploiements militaires américains en Équateur et dans d'autres pays.
Mais la raison sous-jacente de tels déploiements serait l’accaparement par les États-Unis des ressources de l’Amérique latine et la répression du mouvement de masse émergent, qui semble prendre de l’ampleur, représentant une menace significative pour l’ordre capitaliste.
Depuis le début du second mandat de Noboa, sur fond d'accusations de fraude électorale de la part de l'opposition, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est passée de 12 pour cent à 15 pour cent entre mars et avril 2024. Le prix du gallon (3,7 litres) d'essence est passé de 2,40 dollars à 2,465 dollars en mai de cette année, pour atteindre 2,751 dollars en août (2,32 euros). Le prix du supercarburant, avec la hausse de la TVA, est passé de 3,89 dollars à 3,99 dollars le gallon. En avril 2024, le prix du diesel automobile est passé à 1,80 dollars le gallon, et avec la suppression des subventions en septembre 2025, son prix a grimpé à 2,80 dollars.
Depuis 2023, la crise économique s'est aggravée, marquée par une baisse des investissements étrangers, des fermetures d'entreprises, une forte inflation alimentaire et une augmentation de l'emploi informel. Comme l'indique la Banque mondiale:
L'activité économique a connu une contraction d'environ 2 pour cent en 2024, dans un contexte marqué par des pénuries d'énergie, une forte violence et une incertitude politique. La pire sécheresse depuis 60 ans a provoqué des coupures d'électricité et un rationnement de l'électricité à l'échelle nationale.
Les grandes villes d'Équateur, notamment Guayaquil et Quito, ont connu une forte hausse des homicides. Selon El Universo, les homicides volontaires ont atteint 4 619 entre janvier et juin, soit une augmentation de 47 pour cent par rapport à la même période en 2024.
Le nombre élevé de victimes est en grande partie dû à la concurrence féroce entre organisations criminelles. L'Équateur est une plaque tournante majeure du trafic de stupéfiants, phénomène largement ignoré alors que le gouvernement Trump dirige son agression militaire contre le Venezuela, pays qui ne représente qu’une part infime de la drogue allant aux États-Unis.
Le peuple équatorien a été confronté à de nombreuses crises au cours des 25 dernières années, à commencer par la crise du «bank holiday» de 1999, qui a entraîné un effondrement financier, une chute de 7,3 pour cent du PIB, une pauvreté généralisée et une migration massive vers des pays comme les États-Unis. Selon une étude de l'Université de Buenos Aires:
Le 9 janvier 2000, l'Équateur a officiellement adopté le dollar américain comme monnaie pour tenter de stabiliser une économie en proie à une inflation galopante qui atteignait alors 96,6 pour cent.
L’étude indique que l’adoption du dollar comme monnaie nationale par l’Équateur a effectivement fait de ce pays une colonie de l’impérialisme américain.
En 2019, le Fonds monétaire international (FMI) a insisté pour supprimer les subventions, provoquant une flambée des prix des carburants de 120 pour cent. Cette situation a provoqué de violentes manifestations et une polarisation sociale accrue, situation aggravée encore par la pandémie, qui a accru le chômage et la pauvreté.
L’Équateur est désormais confronté à une crise énergétique en raison des sécheresses qui touchent les centrales hydroélectriques, entraînant des coupures de courant quotidiennes d’environ huit heures.
La population indigène d'Amazonie est particulièrement touchée, confrontée à des difficultés économiques telles que des coûts de transport élevés et un accès limité aux services essentiels. Dans la province d'Orellana, la pauvreté a grimpé de 76,2 pour cent, avec un taux d'emploi décent de seulement 11 pour cent. La province de Bolívar, dans les Andes, affiche un taux de pauvreté d'environ 40,7 pour cent, avec un emploi stable d'environ 20 pour cent.
Noboa, qui incarne la subordination de la classe dirigeante équatorienne à l'impérialisme américain, est en pourparlers avec Erik Prince, le milliardaire recruteur de mercenaires et allié de Trump, afin de développer des forces répressives spécialisées. Quito discute également avec le Pentagone de la réouverture de la base militaire de Manta et étudie la possibilité d'établir une nouvelle base aux îles Galápagos, une importante réserve naturelle dont les espèces uniques furent observées par Charles Darwin lors d'une visite en 1835, contribuant ainsi à sa théorie de l'évolution.
Mais ce sont toutes les factions de la classe capitaliste, y compris les corréistes, qui se sont à maintes reprises pliées à Wall Street et ont leur propre bilan de répression des manifestations de la classe ouvrière et des indigènes.
Pendant ce temps, des organisations comme la FUT, l’UNE et la CONAIE cherchent à obtenir des réformes à travers une stratégie banqueroutière consistant à faire pression sur le gouvernement et ont trahi à maintes reprises les mouvements de protestation de masse.
La classe ouvrière équatorienne doit défier les ambitions dictatoriales de Noboa. Mais elle ne peut y parvenir qu'en rompant avec toutes les organisations et tous les partis politiques pro-capitalistes et nationalistes, dont la bureaucratie syndicale et les directions qui parlent au nom de la bourgeoisie indigène.
Cela nécessite la construction d’un parti révolutionnaire de la classe ouvrière, mobilisant derrière lui les couches opprimées des paysans, des peuples indigènes et de la jeunesse, en tant que section équatorienne du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI).
(Article paru en anglais le 18 octobre 2025)
