La décision de Stellantis de transférer la production du Jeep Compass de Brampton, en Ontario, à Belvidere, dans l'Illinois, a mis en évidence les répercussions économiques de la guerre commerciale entre les États-Unis et le Canada, lancée plus tôt cette année par le président américain Donald Trump.
Cette annonce signifie la perte d'environ 3000 emplois dans l'une des principales usines d'assemblage automobile du Canada et reflète la manière dont le nouveau régime tarifaire accélère la réorganisation de l'industrie manufacturière nord-américaine au détriment de la classe ouvrière à travers le continent.
Ce que Stellantis appelle un « réalignement stratégique » s'inscrit dans un processus plus large dans lequel les droits de douane sur les véhicules et les pièces automobiles poussent la production et les investissements vers le sud de la frontière. Grâce à l'imposition par l'United Auto Workers (UAW) d'une série de concessions au cours des 40 dernières années, les emplois transférés aux États-Unis seront caractérisés par une exploitation impitoyable, des salaires bas et une absence totale de sécurité de l'emploi. Comme l'a montré la mort scandaleuse, en avril 2025, de Ronald Adams à l'usine de moteurs de Stellantis à Dundee, le constructeur automobile et l'administration Trump ne se soucient guère des conditions auxquelles sont confrontés les travailleurs américains, et encore moins de ceux qui se retrouvent sans emploi dans d'autres pays.
Les fournisseurs canadiens de pièces automobiles ont signalé des licenciements et des mises à l'arrêt alors que les coûts augmentent et que l'accès au marché se réduit. Ces réductions dans l'ensemble du secteur des fournisseurs, qui s'ajoutent à l'annonce de Stellantis, soulignent à quel point l'économie canadienne dépend des chaînes d'approvisionnement continentales intégrées, actuellement remodelées par des mesures protectionnistes visant à concentrer la production aux États-Unis.
En cherchant à « relocaliser » la production, l'administration Trump ne cherche pas simplement à stimuler les investissements étrangers et la croissance économique. L'une des principales motivations de ses droits de douane « America First », comme l'indiquent clairement les documents du département américain du Commerce, est de reconstruire la base militaro-industrielle américaine en vue de mener des guerres dans le monde entier.
L'impact de la guerre commerciale menée par Trump s'étend bien au-delà de la production automobile, les États-Unis imposant désormais des droits de douane sur une multitude de secteurs économiques canadiens, qui représentent bien plus de 100 milliards de dollars d'exportations annuelles vers les États-Unis. Il s'agit notamment de droits de douane de 50 % sur l'acier et l'aluminium, de 35 % sur les produits semi-finis en cuivre et de 35 % sur toutes les exportations non conformes à l'ACEUM, l'accord commercial entre les États-Unis, le Mexique et le Canada.
Dans le nord de l'Ontario, la fermeture imminente de l'usine de papier de Kapuskasing, qui menace plus de 2500 emplois directs et indirects, a été mise en relation par les analystes du secteur et les responsables locaux avec les droits de douane américains de 25 % sur les produits des pâtes et papiers. La fermeture de l'usine va dévaster une région déjà en proie à une baisse de l'emploi et à une perte de population.
Algoma Steel, à Sault-Sainte-Marie, en Ontario, principal employeur de la région, devrait bientôt procéder à des licenciements malgré un prêt de 500 millions de dollars accordé par les gouvernements fédéral et provincial, car elle accélère la fermeture de son haut fourneau et de ses fours à coke et passe à la fabrication d'acier dans des fours à arc électrique en raison de la pression des droits de douane qui ont effectivement coupé le marché américain.
Dans le secteur forestier, les nouveaux droits de douane imposés par l'administration Trump, à hauteur de 45 % sur le bois d'œuvre résineux et de 25 % sur les meubles et les armoires, ont contraint les scieries de Colombie-Britannique, d'Ontario et du Québec à réduire ou à suspendre leurs activités. Le différend de longue date entre le secteur et Washington au sujet des exportations de bois d'œuvre résineux s'est transformé en une crise que les gouvernements provinciaux admettent ne pas pouvoir compenser.
La main-d'œuvre manufacturière canadienne a fortement diminué depuis l'été, en particulier dans les secteurs de l'acier, de l'aluminium et des machines, en raison de la baisse des commandes en provenance des États-Unis et de la hausse des coûts des intrants pour les producteurs nationaux. Si le rapport sur l'emploi de septembre indique que 28 000 emplois ont été créés dans le secteur manufacturier le mois dernier, cela ne représente même pas la moitié des 58 000 emplois perdus depuis janvier. Le taux de chômage national reste quant à lui bloqué à 7,1 % et est encore plus élevé en Ontario, le centre de la production automobile et de l'industrie manufacturière, où il atteint 7,9 %.
La réponse du gouvernement libéral à Ottawa a été de traiter la crise économique déclenchée par la guerre commerciale comme une occasion d'accélérer la restructuration prévue de longue date en faveur des grandes entreprises et du capital financier. Cela s'est accompagné d'un silence assourdissant sur l'opération dictature de Trump aux États-Unis, un silence motivé par le désir de l'élite financière canadienne de parvenir à un accord avec l’aspirant dictateur à la Maison-Blanche. Ce que la classe dirigeante canadienne désire avant tout, c'est la reconnaissance de ses intérêts économiques et géopolitiques en tant que partenaire junior de l'impérialisme américain dans une « forteresse Amérique du Nord », qui, selon elle, permettrait à Ottawa de tirer profit du butin produit par l'agression et la guerre menées par les États-Unis contre leurs principaux rivaux à travers le monde.
À cette fin, la classe dirigeante canadienne souhaite infliger à la classe ouvrière nationale des attaques à la manière de Trump, notamment en démantelant les services publics et en abrogeant les droits des travailleurs.
Le premier ministre Mark Carney, ancien gouverneur des banques du Canada et d'Angleterre, s'est exprimé en septembre devant le Conseil américain des relations étrangères à New York, qualifiant les droits de douane et les menaces de Trump de « faveur » faite à l'élite capitaliste canadienne. Il a fait remarquer qu'ils « avaient besoin de cette rupture » pour faire passer des changements politiques qui auraient été difficiles, voire impossibles, dans des conditions normales.
Les propos de Carney montrent clairement que le gouvernement libéral considère la guerre commerciale et les menaces d'annexion de Trump comme un prétexte politique pour imposer des mesures réclamées depuis longtemps par la classe dirigeante canadienne : augmentation massive des dépenses militaires, plus grande « flexibilité » du marché du travail, « rationalisation » de la réglementation environnementale et industrielle, et nouvelles réductions d'impôts pour les entreprises. Carney a déclaré que son budget serait un budget « d'austérité et d'investissement », ce qui signifie une réduction drastique du financement des programmes sociaux et de la recherche scientifique qui profitent à la classe ouvrière, afin de verser des dizaines de milliards dans les coffres de l'armée et des entreprises.
Répondant aux plaintes du PDG de la Banque de Montréal, Darryl White, selon lesquelles le régime fiscal des entreprises canadiennes n'est pas compétitif, Carney a déclaré jeudi que son gouvernement était « bien conscient des taux d'imposition relatifs sur les investissements » ; il a ensuite promis : « nous veillerons à ce qu'ils soient compétitifs dans le budget [fédéral du 5 novembre] ».
Derrière les promesses d'aide aux travailleurs licenciés, les mesures concrètes prises par Ottawa – fonds de reconversion à court terme et crédits d'impôt pour les entreprises – témoignent de l'acceptation du fait qu'une grande partie de la base industrielle traditionnelle du Canada sera décimée par une guerre commerciale prolongée.
Le gouvernement se concentre sur la mise en œuvre du programme de l'élite patronale – l'augmentation de l'exploitation des travailleurs afin de maintenir la « confiance des investisseurs » – et sur le réarmement – afin de garantir à la classe dirigeante canadienne une « place à la table » dans le redécoupage impérialiste du monde. Avec le soutien des syndicats, Ottawa prévoit de gérer les conséquences sociales de la désindustrialisation, et non de l'empêcher.
Dans le cadre de cette collaboration, le rôle clé de réprimer toute opposition de la classe ouvrière à l'offensive de la guerre des classes reviendra à des personnalités telles que Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada, et Unifor (anciennement le syndicat des Travailleurs canadiens de l’automobile [TCA]), qui a une longue et déplorable histoire de collaboration avec le gouvernement libéral pour défendre les intérêts des entreprises canadiennes.
La franchise de Carney devant un public composé de l'élite de la politique étrangère américaine a révélé la continuité essentielle entre les politiques canadienne et américaine : toutes deux visent à accroître la rentabilité du capitalisme nord-américain par la « modération » salariale, le démantèlement des services publics, l’élimination du droit de grève, la déréglementation environnementale et du travail, et la contractualisation et la précarisation du travail. L'impérialisme canadien vise à rester un partenaire junior de l'impérialisme américain, si possible, confortablement à l'abri derrière les murs de Trump. Cela est illustré par les visites répétées et serviles de Carney à la Maison-Blanche, alors même que le président américain continue de menacer de faire du Canada le « 51e État ».
La bureaucratie syndicale canadienne a réagi à l'annonce de Stellantis et aux suppressions d'emplois qui en découlent par une nouvelle explosion de nationalisme canadien et des appels au gouvernement Carney. Unifor, qui représente les travailleurs de Stellantis à Brampton, a dénoncé la décision de l'entreprise comme un coup porté aux « emplois canadiens » et a exigé l'intervention du gouvernement pour protéger la production nationale. Mais ce discours cache plus qu'il n'explique. En présentant la question comme une « trahison nationale » plutôt que comme le résultat d'intérêts commerciaux et géopolitiques transfrontaliers, les syndicats canalisent la colère légitime vers l'impasse d’« Équipe Canada » et divisent les travailleurs de leurs frères et sœurs aux États-Unis et ailleurs.
Le soutien apporté par la section locale 1285 d'Unifor, basée à Brampton, aux progressistes-conservateurs du premier ministre de l'Ontario Doug Ford lors des élections provinciales de février dernier illustre bien comment le nationalisme du syndicat conduit à un accommodement avec la droite et à la fausse idée que les travailleurs canadiens peuvent se défendre en s'alignant avec un camp de l'élite dirigeante contre un autre.
Ces développements soulèvent des questions cruciales pour les travailleurs. La destruction d'emplois chez Stellantis, la dévastation dans les secteurs de la foresterie et de l'acier, et l'impact économique plus large ne sont pas des problèmes nationaux isolés, mais l'expression d'un processus mondial dans lequel les classes dirigeantes de tous les pays cherchent à faire porter le poids de la crise du capitalisme à leurs concurrents et à leurs propres populations. La guerre commerciale est un outil clé de l'impérialisme, menée à coups de droits de douane et de subventions, plutôt que de chars, d'avions de combat et d'armes nucléaires, mais motivée par la même lutte sous-jacente pour les marchés, les profits et l'avantage géopolitique.
Pour s'opposer à cela, les travailleurs canadiens doivent rejeter le cadre nationaliste proposé tant par le gouvernement que par les syndicats. Les véritables alliés des travailleurs de l'automobile de Brampton ne sont pas les politiciens d'Ottawa ou de Queen's Park, mais les travailleurs de Belvidere, Detroit, Toluca et Saltillo qui subissent les mêmes pressions sous la même direction d'entreprise. Il en va de même pour les travailleurs de la foresterie, de la sidérurgie et de l'industrie papetière des deux côtés de la frontière. Le moyen de résister réside dans l'union des luttes des travailleurs au-delà des frontières nationales, dans la création de comités de base dans chaque lieu de travail, chaque école et chaque communauté, et dans leur mise en réseau par le biais de l'Alliance ouvrière internationale des comités de base.
Ce n'est qu'en créant de telles organisations indépendantes que les travailleurs pourront commencer à coordonner leur action contre les entreprises mondiales et les gouvernements qui les servent, et à faire valoir leurs intérêts communs – pour des emplois sûrs, des conditions de vie décentes et une utilisation rationnelle des ressources – à travers l'Amérique du Nord et au niveau international. L'alternative est de rester prisonniers d'une politique nationaliste qui n'offre aux travailleurs rien d'autre qu'un déclin planifié, une exploitation accrue, l'austérité et la guerre.
La leçon que les travailleurs doivent tirer de l'annonce de Stellantis et de la crise tarifaire qui secoue actuellement le Canada est que la classe ouvrière ne peut défendre son avenir qu'en s'organisant et en luttant ensemble, par-delà toutes les frontières. Cette lutte est avant tout politique, car elle doit aborder directement les questions de savoir quelle classe dirigera la société et dans l'intérêt de qui les décisions socio-économiques et budgétaires seront prises.
La seule base authentique pour unifier les travailleurs à l'échelle internationale dans une contre-offensive contre l'austérité capitaliste et la guerre est une perspective socialiste révolutionnaire engagée dans la lutte pour une prise du pouvoir par les travailleurs. C'est le programme pour lequel se bat le Parti de l'égalité socialiste (PES) au Canada, en étroite collaboration avec nos camarades américains du PES aux États-Unis.
