Inde : Les droits de douane de 50 pour cent imposés par Trump entrent en vigueur

Le président Donald Trump rencontre le premier ministre indien Narendra Modi dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, le jeudi 13 février 2025, à Washington. [AP Photo/Alex Brandon]

Les droits de douane américains sur la plupart des produits indiens ont doublé mercredi passant du 25 pour cent supplémentaire imposé par le président américain Donald Trump le 6 août à 50 pour cent.

Seuls le Brésil, membre des BRICS, et le petit Lesotho sont actuellement soumis à des tarifs douaniers américains aussi punitifs.

Les tarifs douaniers menacent de déstabiliser gravement une économie indienne déjà confrontée à un ralentissement de la croissance et caractérisée par un faible investissement privé ainsi qu’un chômage et un sous-emploi de masse.

De nombreuses industries indiennes, notamment celles du textile et de l'habillement, des pièces détachées automobiles, des produits chimiques, des pierres précieuses et de la bijouterie, ainsi que des tapis et du cuir, devraient être lourdement touchées par les droits de douane. Les employeurs de Tiruppur, ville du Tamil Nadu qui est le centre de l'industrie indienne d'exportation de tricots, ont déclaré s'attendre à de vastes suppressions d'emplois et à des fermetures d'usines presque immédiates, avec 150 000 pertes d'emplois directs prévues dans le secteur dans les semaines à venir.

Les États-Unis constituent le premier marché d'exportation de l'Inde, représentant 19 pour cent de ses exportations pour l'exercice 2024-2025. Les analystes estiment qu'une fois prises en compte les exemptions pour les minerais critiques, les produits pharmaceutiques et autres produits, les marchandises soumises au tarif de 50 pour cent représenteront plus de 50 milliards de dollars sur les 86 milliards de dollars d'exportations indiennes vers les États-Unis l'an dernier.

Si les tarifs douaniers ne sont pas rapidement supprimés, ils mettront en péril les efforts de l’Inde pour attirer les investissements étrangers, y compris ceux des entreprises occidentales soumises à la pression du gouvernement américain pour réduire, voire mettre fin à leur dépendance aux installations de production et aux sous-traitants basés en Chine.

Au-delà de cela, les tarifs douaniers et l’exigence de Trump que New Delhi dégrade massivement ses liens avec la Russie, cédant de fait à Washington le contrôle d’éléments clés de sa politique étrangère, ont bouleversé les calculs stratégiques à long terme de l’élite dirigeante capitaliste de l’Inde.

Depuis deux décennies, les gouvernements indiens, qu'ils soient dirigés par le Parti suprémaciste hindou Bharatiya Janata du premier ministre Narendra Modi ou par le Parti du Congrès, ont fait du « partenariat stratégique mondial » de New Delhi avec l'impérialisme américain la pierre angulaire de leur politique étrangère. Ce « partenariat », fondé sur la volonté de la bourgeoisie indienne d'aider l'impérialisme américain dans ses efforts pour isoler et encercler stratégiquement la Chine, a transformé l'Inde en un État de plus en plus important pour les États-Unis dans le conflit aux multiples facettes économique et militaro-stratégique et de plus en plus incendiaire qui oppose Washington à la Chine.

Sous le gouvernement Modi, et surtout au cours des cinq dernières années, l’Inde s’est intégrée dans un réseau de liens militaro-sécuritaires bilatéraux, trilatéraux et quadrilatéraux avec Washington et ses principaux alliés du traité Asie-Pacifique, le Japon et l’Australie.

Dans les semaines à venir, Trump devrait se rendre à New Delhi et rejoindre Modi, le premier ministre japonais Shigeru Ishiba et le premier ministre australien Anthony Albanese pour un sommet des chefs de gouvernement du Dialogue quadrilatéral sur la sécurité, l'alliance informelle indo-pacifique antichinoise de Washington.

Pourtant, à sa grande surprise et à sa consternation, la classe dirigeante indienne, comme celle des puissances européennes et du Canada, s’est vue couper l’herbe sous le pied par son prétendu allié américain, alors que Trump poursuit sans pitié les intérêts économiques et géopolitiques de l’impérialisme américain avec un mépris flagrant pour les accords et partenariats de longue date.

L'indignation et la colère du pays s'ajoutent au fait que l'Inde semble être ciblée plus que les autres. Le gouvernement indien, rejoint par les partis d'opposition et les médias, s'est plaint que l'administration Trump n'ait pas pris de mesures similaires contre la Chine et la Turquie, qui entretiennent également des liens économiques étroits avec la Russie dans le contexte de la guerre en Ukraine provoquée par l'OTAN.

Il faut noter que la guerre commerciale américaine contre l’Inde a été lancée début août alors même que Trump intensifiait ses efforts pour parvenir à un « accord de paix » avec le Kremlin, dans le but d’obtenir un accès privilégié aux ressources russes et ukrainiennes et de concentrer les ressources militaires et économiques américaines sur la préparation d’une guerre avec la Chine.

L'Inde cherche une réponse à la gifle inattendue de Trump

Face à ce tournant soudain et inattendu, le gouvernement Modi et la classe dirigeante indienne peinent à trouver leurs repères et à articuler une réponse.

La semaine dernière, le ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, a déclaré que l'Inde était « très perplexe » face à l'attaque de l'administration Trump contre l'Inde. Il a ajouté que si les puissances occidentales n'acceptaient pas le raffinage par l'Inde du pétrole russe pour le revendre sur le marché mondial, il leur suffirait de cesser leurs achats.

Pour montrer que l'Inde ne se laissera pas intimider, New Delhi a ostensiblement renforcé ses liens avec Pékin et Moscou. Jaishankar s'est rendu en Russie pour trois jours de discussions la semaine dernière. L'un des points importants à l'ordre du jour était la finalisation de la première visite du président russe Vladimir Poutine en Inde depuis décembre 2021.

Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, s'est rendu à New Delhi les 18 et 19 août et a rencontré le conseiller à la sécurité nationale indien, Ajit Doval, Jaishankar et Modi. Le premier ministre de l’Inde se rendra lui-même en Chine pour la première fois depuis 2019 à la fin de cette semaine afin d'assister au sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai, qui se tiendra du 31 août au 2 septembre à Tianjin. En marge du sommet, Modi devrait s'entretenir avec le président chinois Xi Jinping sur l'apaisement des tensions autour de leur frontière contestée – d'où une partie, mais pas la totalité, des chars, des avions de combat et des troupes déployés après les escarmouches sanglantes de 2020 ont été retirés – et sur le développement de la coopération économique.

Dans le même temps, New Delhi continue de souligner sa volonté de parvenir à un accord avec Washington et d’approfondir leur partenariat stratégique.

Mardi, des responsables indiens et américains des affaires étrangères et de la défense ont tenu une réunion en ligne dans le cadre du dialogue indo-américain 2+2. Un compte rendu du gouvernement indien a souligné les discussions menées lors de la réunion sur le renforcement de la coopération militaire et de défense, notamment par la coproduction d'armements, l'approvisionnement en minerais critiques, le développement du Quad et la finalisation d'un nouveau « Cadre pour le partenariat majeur de défense indo-américain » d'une durée de 10 ans, destiné à remplacer celui qui expire plus tard cette année. Un communiqué du département d'État américain indique que les deux parties « se réjouissent de renforcer leur coopération en matière de défense et de s'appuyer sur les progrès réalisés dans ces domaines sous les auspices du COMPACT États-Unis–Inde ( Catalysing Opportunities for Military Partnership, Accelerated Commerce & Technology) pour le XXIe siècle et au-delà ».

Outre cette réunion, Trump, ses conseillers et ses fonctionnaires n'ont cessé d'exiger de l'Inde d'importantes concessions commerciales et géostratégiques. Ils ont fustigé l'Inde pour ses liens avec la Russie et sa politique commerciale, le président américain fasciste l'accusant d'appliquer « les droits de douane les plus élevés » au monde. Dans une tribune du Financial Times, le conseiller commercial de la Maison-Blanche, Peter Navarro, a accusé New Delhi de « se rapprocher de la Russie et de la Chine », puis a déclaré que si l'Inde « veut être traitée comme un partenaire stratégique des États-Unis, elle doit commencer à se comporter comme tel ».

Trump a suspendu à plusieurs reprises ses actions commerciales, notamment en réduisant les droits de douane fixés auparavant à 135 pour cent pour la Chine lors de deux trêves commerciales successives de 90 jours, après que Pékin a réagi en imposant ses propres droits de douane de plus de 100 pour cent et en limitant les exportations de terres rares. Cependant, aucun répit n'a été accordé à l'Inde. Au lieu de cela, quelques jours avant la date limite du 27 août pour le doublement des droits de douane imposés à l'Inde, les négociateurs commerciaux américains ont annulé une visite prévue à New Delhi.

De toute évidence, Trump calcule que l’Inde est vulnérable à la pression américaine et est désireux d’exploiter cet avantage, même si cela signifie défier de larges sections de l’establishment politique et militaro-sécuritaire américain qui craignent qu’en agissant ainsi, il mette inutilement en danger l’alliance indo-américaine, qu’ils considèrent comme un élément essentiel dans la campagne visant à soumettre la Chine.

Les exigences de Trump et les intérêts stratégiques de New Delhi

Les exigences de Trump envers l’Inde menacent ce que New Delhi et la classe dirigeante dans son ensemble considèrent comme des intérêts stratégiques vitaux.

Le pétrole russe bon marché, vendu à prix réduit en raison des sanctions des puissances de l'OTAN contre Moscou, s'est avéré être une aubaine pour l'économie indienne dans un contexte de ralentissement de la croissance économique, dû à la baisse des investissements étrangers et à une consommation intérieure anémique.

Mais ce n'est pas la principale raison pour laquelle New Delhi s'irrite de la demande de Trump de dégrader radicalement ses relations avec Moscou. L'alliance stratégique de l'Inde avec la Russie remonte à la Guerre froide et est considérée comme essentielle à ses efforts continus pour maintenir son « autonomie stratégique », malgré les failles qui s’ouvrent dans la géopolitique mondiale. Même si elle s'est rapprochée des États-Unis dans la zone indo-pacifique contre la Chine, New Delhi reste méfiante face à la poursuite impitoyable de ses propres intérêts par Washington et à sa propension à recourir à l'intimidation et à l'agression.

Bien que l'Inde ait pris des mesures pour réduire sa dépendance à l'égard des armements de fabrication russe, ceux-ci demeurent essentiels à son armée. La Russie joue également un rôle essentiel dans l'industrie nucléaire indienne.

Même l'administration Biden, qui a mené la guerre de l'OTAN en Russie, a finalement choisi de ne pas faire pression sur New Delhi au sujet de ses liens continus avec Moscou, afin de garantir que son intégration dans l'offensive stratégique de Washington contre la Chine se déroule sans entrave.

Modi et d'autres personnalités influentes de son gouvernement se sont sentis obligés de tenir des propos démagogiques, promettant de défendre les intérêts des agriculteurs et des producteurs laitiers indiens face aux exigences de Trump qui souhaite que l'Inde ouvre ses marchés aux exportations et aux investissements américains. Bien que l'agriculture ne représente que 15 pour cent du PIB indien, plus de 45 pour cent de la population dépend encore de l'agriculture pour sa subsistance. Le gouvernement et la bourgeoisie indiens craignent les conséquences économiques et sociales explosives de l'ouverture de l'économie indienne à un afflux d'exportations agroalimentaires américaines, qui pèseraient encore davantage sur les revenus de centaines de millions d'agriculteurs et d'ouvriers agricoles pauvres.

Quelle que soit l'évolution de la crise des relations indo-américaines dans les semaines et les mois à venir, elle témoigne une fois de plus de l'effondrement de l'ordre géopolitique de l'après-Seconde Guerre mondiale, l'impérialisme américain étant son principal artisan, menant l'opération de démolition dans une tentative désespérée de restaurer son hégémonie mondiale. Dans les relations commerciales et géopolitiques, c'est la loi de la jungle qui prévaut, chaque État capitaliste et chaque classe dirigeante poursuivant impitoyablement ses propres intérêts.

Que l'Inde et le Brésil se retrouvent simultanément dans le collimateur de la guerre commerciale de Trump n'est certainement pas une coïncidence, même si les motivations avancées pour justifier l'imposition de droits de douane de 50 pour cent sont bien différentes. Dans le cas du Brésil, Trump intervient directement pour déstabiliser le gouvernement brésilien, exigeant qu'il cesse de poursuivre son allié fasciste, l'ex-président Jair Bolsonaro, pour sa tentative de coup d'État militaire.

Modi, aspirant à un rôle d'homme fort d'extrême droite hindoue et communautariste, est en revanche un allié politico-idéologique de Trump. L'Inde et le Brésil ont en commun leur volonté de concilier des liens étroits avec Washington, notamment leurs armées respectives et le Pentagone, et une posture d'« autonomie stratégique », revendiquant des sphères d'influence dans leurs régions respectives et le droit de poursuivre leurs propres aspirations de grande puissance.

Ils sont également membres fondateurs des BRICS, avec la Russie, la Chine et l'Afrique du Sud. L'administration Trump a clairement exprimé son hostilité envers les BRICS, notamment ses efforts visant à réduire le rôle du dollar dans le commerce mondial. Trump a concédé que la perte du statut de monnaie de réserve mondiale du dollar américain équivaudrait à une défaite dans une guerre.

Sans exception, les classes dirigeantes capitalistes du monde entier répondent à l’intensification de la guerre commerciale et des conflits géopolitiques – c’est-à-dire à un partage du monde dirigé par l’impérialisme – en intensifiant l’assaut contre la classe ouvrière et en s’orientant vers des méthodes de gouvernement autoritaires.

Le discours de Modi, prononcé le 15 août à l'occasion de la fête de l'Indépendance indienne, était une diatribe fascisante, annonçant un nouveau virage à droite. Sans nommer Trump ni les États-Unis, il a évoqué à mots couverts la menace des droits de douane en invoquant la nécessité d'une nouvelle vague de « réformes » pro-investisseurs. À cela se sont ajoutées des menaces belliqueuses à l'encontre du Pakistan, notamment la promesse d'abroger définitivement le traité des eaux de l'Indus, suspendu, et des incitations au communautarisme hindou contre les « infiltrés » (les migrants musulmans bangladais), qu'il a dénoncés comme une menace pour « l'intégrité, l'unité et le progrès du pays ».

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