Les dockers de Gênes affrontent Bahri Logistics sur ses livraisons d'armes dans le contexte des guerres au Moyen-Orient

Les dockers de Gênes, en Italie, tiennent bon contre les livraisons d'armes à destination d'Israël et du Moyen-Orient, après avoir bloqué (article en anglais) les livraisons d'armes à bord du Bahri Yanbu, un navire appartenant à la compagnie maritime saoudienne Bahri Logistics.

De premières informations indiquaient que les armes qu’ils avaient trouvées étaient destinées à Israël. Bahri a ensuite émis un démenti catégorique, accusant les militants de propager «de fausses allégations et des rumeurs malveillantes». Le Collettivo Autonomo Lavoratori Portuali (CALP), un collectif de dockers de Gênes, a réagi par une déclaration dénonçant le trafic d'armes de Bahri et la militarisation de la Méditerranée.

Le déni de Bahri et l'enquête de Gênes

Bahri Logistics, anciennement connu sous le nom de National Shipping Company of Saudi Arabia, est un important prestataire logistique. Il a attiré l'attention internationale en 2014, lorsqu'il a signé un contrat exclusif de cinq ans pour le transport d'armes et de matériel militaire destiné aux forces armées saoudiennes.

Plusieurs ONG ont intenté des actions contre Bahri Logistics pour son rôle dans le transport d'armes. Amnesty International a appelé les autorités françaises à empêcher les navires de Bahri de transporter des armes vers l'Arabie saoudite, invoquant le risque sérieux que ces armes soient utilisées pour commettre des crimes de guerre au Yémen. En 2019, des ONG françaises ont engagé des actions judiciaires et publiques pour empêcher les navires de Bahri de charger des armes dans les ports européens.

L'impasse actuelle a commencé après que CALP et Unione Sindicale di Base (USB, Union des syndicats de base), eut déposé plainte. Ces organisations ont allégué que la cargaison du navire comprenait un canon produit par la société italienne Oto Melara (du groupe Leonardo) et destiné à Abou Dhabi, des véhicules amphibies américains, des véhicules militaires à chenilles d'origine américaine et des conteneurs classifiés contenant des matières explosives, probablement des obus de canon. Ceci constitue probablement une violation de la législation italienne sur les livraisons d'armes vers les zones de conflit.

Dans un communiqué, la compagnie a réagi ainsi: « En réponse aux fausses allégations et aux rumeurs malveillantes circulant dans certains médias et sur les réseaux sociaux, affirmant que les navires de la compagnie transportent des marchandises à destination d’Israël, Bahri dément catégoriquement ces allégations infondées. Ces allégations sont totalement fausses et dénuées de fondement. »

Si le parquet de Gênes a ouvert une enquête sur d'éventuelles violations des lois sur le transit d'armes par les ports italiens, les travailleurs eux, ne peuvent se fier à ces enquêtes. Le gouvernement d'extrême droite de la Première ministre Giorgia Meloni a juré sa fidélité au régime sioniste de Benyamin Netanyahou et collabore avec l'OTAN et l'impérialisme américain. Toute enquête officielle est subordonnée aux impératifs politiques et stratégiques plus larges de la classe dirigeante italienne.

Le CALP dénonce la complicité de Bahri dans les crimes de guerre et le génocide de Gaza

En réponse, le CALP a rejeté la déclaration de Bahri et a souligné le long historique de l'entreprise en matière de livraisons d'armes. Il a écrit : « Bahri Logistics a publié, pour la première fois après des années de silence depuis le premier blocus en 2019, une déclaration visant à dissiper les doutes quant à la possibilité que le destinataire soit l'armée israélienne. »

Il a critiqué la tentative de Bahri de balayer les inquiétudes des dockers comme infondées, soulignant ses liens de longue date avec le transport d'armes. Le CALP a souligné qu'il n'avait jamais prétendu que les armes étaient expédiées «vers» Israël, mais que «les cales étaient remplies de systèmes d'armes, cela oui». Il a ajouté :

Nous, dockers, ne voulons pas être les rouages d'une guerre, et nous sommes très inquiets pour la sécurité des travailleurs et de la ville entière, compte tenu du contenu des marchandises transportées par Bahri. Le problème n'est donc pas leur destination, mais le fait que Bahri ait toujours transporté des armes et des explosifs. …

Ces armes, Bahri les a chargées aux États-Unis, allié clé d'Israël. La politique du Royaume [Arabie saoudite] est donc suffisamment claire pour nous. Que Bahri revendique un «soutien à la cause palestinienne» tout en trafiquant des armes américaines est une contradiction.

Le CALP a souligné son opposition aux livraisons d'armes au Moyen-Orient, qu'elles soient destinées au génocide à Gaza ou aux crimes de guerre au Yémen : « Le Moyen-Orient tout entier est une poudrière depuis des années. Pour nous, dockers, il n'y a pas de guerre de première ou de seconde classe. »

Le problème ne se limite pas à la destination d'une seule cargaison d'armes. La classe ouvrière doit intervenir pour mettre fin à l'escalade d'une guerre sans fin au Moyen-Orient, dont le caractère de classe est révélé par le génocide de Gaza. En effet, la déclaration du CALP conclut :

Vos déclarations sont vaines et mensongères, lorsque vous prétendez soutenir la cause palestinienne. Vous collaborez avec les pires alliés d'Israël et tirez d'énormes profits de ces guerres. […] Nous sommes conscients de notre position. Nous vous attendrons sur les quais lors de votre prochain passage.

Quelle voie suivre dans la lutte contre la guerre impérialiste et le génocide ?

En refusant de toucher aux cargaisons de Bahri, le CALP se distingue comme l'une des rares organisations européennes à mener une action indépendante et fondée sur des principes contre la guerre impérialiste et le génocide. Son refus traduit une prise de conscience croissante au sein de la classe ouvrière, face au soutien officiel au régime israélien et à son génocide à Gaza, que l'opposition à la guerre ne peut être laissée aux institutions capitalistes. Elle doit être organisée de manière indépendante, depuis la base, par la base.

En montrant comment le flux d’armes vers les guerres et les génocides soutenus par l’OTAN peut être arrêté, l’action du CALP pose également des problèmes politiques cruciaux auxquels sont confrontés les travailleurs à l’échelle internationale.

Avant tout, la classe ouvrière doit s'organiser à l'échelle internationale. La lutte pour mettre fin au génocide de Gaza et à des guerres comme celle menée par l'Arabie saoudite au Yémen, soutenue par l'OTAN, en est une illustration très concrète. Pour bloquer efficacement l'afflux d'armes vers ces conflits, les travailleurs de base des ports du monde entier doivent pouvoir travailler collectivement pour identifier les navires transportant des armes et empêcher leur chargement dans n'importe quel port, quel que soit le pays où ils se trouvent.

Construire une telle organisation internationale exige une rupture politique d’avec les bureaucraties nationales, c'est-à-dire, notamment en Italie, d’avec diverses organisations issues du stalinisme italien ou liées à celui-ci. Cela dépend en dernière analyse de l'existence d'une masse critique de travailleurs et de jeunes qui développe une opposition marxiste-internationaliste, c'est-à-dire trotskyste, aux bureaucraties staliniennes et autres bureaucraties nationales.

Les actions courageuses du CALP expriment les traditions issues de la longue histoire de militantisme ouvrier et de résistance antifasciste en Italie. Créé en 2011 par des travailleurs portuaires cherchant à contourner la Confédération générale italienne du travail (CGIL), dirigée par les staliniens. Le CALP a abandonné son affiliation à la CGIL après avoir organisé une manifestation en 2019 contre les livraisons d'armes de Bahri destinées à la guerre au Yémen. La bureaucratie de la CGIL refusa de déclarer la grève, isolant ainsi le CALP. Désabusé, celui-ci quitta la CGIL.

Le CALP s'est ensuite affilié à l'USB (Unione Sindacale di Base). Mais la bureaucratie de l'USB ne joue pas un rôle fondamentalement différent de celle de la CGIL.

L'USB est membre de la Fédération syndicale mondiale (FSM), organisation historiquement stalinienne. Elle a signé en 2014 un accord sur la représentation syndicale en Italie, accordant aux entreprises un plus grand contrôle sur quels syndicats elles reconnaissent, en échange de l'octroi à ceux-ci de certains privilèges. Aujourd'hui, l'USB négocie avec le gouvernement fasciste de Meloni. Il y a quelques semaines, il a annulé un sit-in prévu en Calabre après que le ministre de l'Administration publique, Paolo Zangrillo, eut accepté une réunion, organisée par le député de droite Francesco Cannizzaro.

L'USB a applaudi Zangrillo et Cannizzaro, saluant leur intervention comme un «signe positif» et accueillant « avec satisfaction la volonté et les engagements pris». Cela témoigne de sa volonté de collaborer avec les forces responsables de décennies d'attaques d'austérité contre la classe ouvrière dans le pays et de guerres impérialistes à l'étranger.

Dans la lutte contre le génocide, la guerre impérialiste et le capitalisme, les alliés des travailleurs militants ne sont pas les parlementaires de droite de leur propre pays, mais leurs frères et sœurs de classe à l'échelle internationale. Sur cette base, le Comité international de la Quatrième Internationale a appelé à la création de l' Alliance ouvrière internationale des comités de base (AIT-RFC).

Des comités de base indépendants doivent être formés dans chaque port, usine et lieu de travail. Directement contrôlés par les travailleurs mêmes et non par des bureaucraties nationales corrompues, ils peuvent coordonner l'action au niveau international, partager des informations cruciales et prendre des mesures telles que l'organisation d'un véritable blocus ouvrier contre les guerres impérialistes et le génocide. Les communications sporadiques existantes entre les dockers à l’international, bien qu'importantes, ne peuvent se substituer à une organisation internationale permanente et consciemment construite.

Ce n’est qu’à travers une telle unité internationale de la classe ouvrière que l’immense pouvoir social de la classe ouvrière pourra être mobilisé pour mettre fin à la guerre et au génocide et ouvrir la voie à un avenir socialiste.

(Article paru en anglais le 28 août 2025)

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