La France convoque l'ambassadeur américain Kushner pour avoir qualifié d'antisémite l’appel de Macron à un État palestinien

Lundi, le ministère français des Affaires étrangères a convoqué le milliardaire repris de justice et ambassadeur des États-Unis en France Charles Kushner, pour protester contre ses propos condamnant la déclaration de soutien du gouvernement français à la création d'un État palestinien indépendant.

Kushner, père de Jared Kushner, gendre du président américain Donald Trump, a attaqué cette déclaration, la qualifiant d'incitation à la violence antisémite. Dans une lettre adressée au président français Emmanuel Macron et publiée dans le Wall Street Journal, Kushner a écrit : « Les déclarations publiques harcelant Israël et les gestes en faveur de la reconnaissance d'un État palestinien enhardissent les extrémistes, attisent la violence et mettent en danger la vie juive en France. Dans le monde d'aujourd'hui, l'antisionisme est de l'antisémitisme, purement et simplement. »

Le commentaire de Kushner dévoile la nature réactionnaire de la tentative d'assimiler faussement l'opposition au régime sioniste israélien à de l'antisémitisme. Cela signifie criminaliser l'opposition au génocide, en qualifiant d'antisémite toute déclaration de soutien ou de sympathie envers les victimes palestiniennes du génocide israélien en cours à Gaza. Cela inclut même les déclarations totalement creuses du gouvernement français, proche allié du régime israélien qui, comme Washington, a mené la politique criminelle d'armer Israël pendant le génocide.

La lettre de Kushner illustre parfaitement l'inversion sémantique du terme « antisémitisme » pratiquée par les partisans du régime israélien. Après l'Holocauste nazi des Juifs d'Europe, les appels à s'opposer à l'antisémitisme étaient le fait d’une opposition de gauche au nazisme, à l'agression militaire, aux haines raciales et à la dictature policière. La chronique de Kushner dans le Wall Street Journal était en revanche un appel éhonté au gouvernement français pour qu'il instaure une dictature fascisante.

Kushner a cité en exemple les actes illégaux d'agression militaire de Trump au Moyen-Orient, ses attaques contre la liberté d'expression et la liberté d'opinion, et ses expulsions massives d'étudiants étrangers opposés au génocide de Gaza.

Trump, a écrit Kushner, «a ordonné des contrôles stricts pour interdire l'entrée aux étrangers prônant la haine antisémite et a révoqué les visas des agitateurs étrangers. Il a supervisé l'expulsion de sympathisants du Hamas et réduit le financement des organisations promouvant l'incitation à l'antisémitisme. Et en paralysant le programme nucléaire iranien, il a frappé de plein fouet le principal État au monde soutenant l'antisémitisme et le terrorisme et a sauvé des millions de vies. Ces mesures prouvent que l'antisémitisme peut être combattu efficacement lorsque les dirigeants ont la volonté d'agir.»

«Monsieur le Président, je vous exhorte à agir avec détermination», a écrit Kushner à Macron, concluant: «En tant qu’ambassadeur des États-Unis en France, je suis prêt à travailler avec vous et avec les dirigeants de la société française pour élaborer un plan sérieux qui s’attaquera aux racines de l’antisémitisme et le vaincra.»

Le ministère français des Affaires étrangères a publié un communiqué condamnant la tribune de Kushner et le convoquant dans ses bureaux du Quai d'Orsay pour recevoir une protestation diplomatique officielle. Qualifiant la lettre de Kushner d'accusation d'« insuffisance supposée des mesures prises par les autorités françaises pour lutter contre » l'antisémitisme, le ministère français des Affaires étrangères a déclaré :

Les allégations de l'ambassadeur sont inacceptables. Elles vont à l'encontre du droit international, en particulier du devoir de ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures des Etats prévu par la Convention de Vienne de 1961 qui régit les relations diplomatiques. Elles ne sont par ailleurs pas à la hauteur de la qualité du lien transatlantique entre la France et les États-Unis et de la confiance qui doit en résulter entre alliés.

La convocation de l'ambassadeur des États-Unis par le ministère français des Affaires étrangères pour remettre une protestation revient à confirmer officiellement l'existence d'une crise sans précédent dans les relations franco-américaines. En effet, depuis la fin de l'occupation nazie de la France dans la Seconde Guerre mondiale, le pays n'a jamais convoqué l'ambassadeur des États-Unis pour protester. La réponse méprisante du gouvernement américain à la convocation de Kushner illustre d'autant plus clairement l'effondrement des relations franco-américaines.

Washington a d'abord publié un communiqué exprimant sa solidarité avec les propos de Kushner et précisant que celui-ci s'exprimait conformément à la politique américaine. «Nous soutenons ses propos», a déclaré Tommy Pigott, porte-parole du département d'État américain. «L'ambassadeur Kushner est le représentant du gouvernement américain en France et, à ce titre, il fait un excellent travail pour défendre nos intérêts nationaux.»

Puis, dans un geste rare destiné à attiser les tensions, Kushner a refusé de se conformer à la convocation au Quai d'Orsay, envoyant à sa place une diplomate de moindre rang, la chargée d'affaires de l'ambassade des États-Unis à Paris, Karen Enstrom. Enstrom a rencontré deux diplomates français, l'un chargé des affaires de sécurité et l'autre des affaires américaines et caribéennes, qui selon la presse lui ont déclaré que les propos de Kushner constituaient une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures françaises.

Que le ministère français des Affaires étrangères décide ou non de déclarer Kushner persona non grata et de l’expulser de France sur cette base, le gouvernement Trump a clairement pour objectif de provoquer et d’attiser un incident diplomatique avec la France.

Cet incident survient dans un contexte de dégradation accélérée des relations économiques et diplomatiques entre les États-Unis et les puissances impérialistes européennes. Il fait suite à la décision de Trump d'imposer unilatéralement des droits de douane sur toutes les exportations de l'Union européenne (UE) vers les États-Unis. Parallèlement, les tensions entre Washington et Paris s'intensifient au moment où Washington cherche à se tourner vers des guerres contre l'Iran et la Chine, tandis que les puissances européennes appellent à la poursuite de la guerre que l'OTAN mène contre la Russie en Ukraine.

La décision de Trump de nommer un criminel financier comme Kushner ambassadeur en France n'est pas l’action la moins provocatrice dans cette crise diplomatique. Promoteur immobilier milliardaire, Kushner a été condamné et radié du barreau pour contributions illégales à sa campagne, fraude fiscale et subornation de témoin. Kushner a tenté d'empêcher son beau-frère William Schulder de coopérer avec les enquêteurs fédéraux contre lui en engageant une prostituée pour séduire Schulder, en enregistrant la rencontre et en envoyant l'enregistrement à sa sœur.

Kushner a purgé 14 mois d'une peine de deux ans de prison en 2005-2006. Il a bénéficié d'une grâce totale de Trump, dont la fille Ivanka est la belle-fille de Kushner, à la fin du premier mandat de Trump, le 23 décembre 2020.

Si criminelle que soit la politique du gouvernement Trump, Macron ne représente en rien une alternative ni ne mène une politique moins réactionnaire envers Israël et Gaza. Non seulement toutes les grandes puissances européennes comme la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Espagne ont fourni des armes à Israël alors qu'il bombardait, assassinait et affamait des dizaines de milliers de civils palestiniens sans défense, mais Macron a encore préconisé l'utilisation de fausses allégations que l'opposition au régime sioniste israélien serait intrinsèquement antisémite pour enquêter sur les opposants au génocide, les arrêter et les condamner à des amendes.

Mettre fin au génocide de Gaza et à l'escalade des guerres impérialistes exige la construction d'un mouvement international de la classe ouvrière contre tous les gouvernements impérialistes qui arment et financent Israël, tant aux États-Unis qu'en Europe. La vague de grèves qui doit débuter le mois prochain contre les coupes sociales de Macron, dans un contexte d'opposition croissante de la classe ouvrière à l'austérité en Europe, à l'instar de la colère sociale massive aux États-Unis qui a alimenté les manifestations « No Kings » contre Trump en début d'année, doit servir de point de départ à la construction d'un tel mouvement.

(Article paru en anglais le 26 août 2025)

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