Près de deux années de bombardements massifs, de massacres et de blocus entraînant la famine dans la bande de Gaza ont transformé Israël en un État paria, méprisé et haï dans le monde entier. Pourtant, le gouvernement allemand soutient fermement le gouvernement israélien, surpassé en cela uniquement par l'administration Trump.
Face à l'indignation croissante, la position officielle de Berlin a légèrement évolué. Mi-juin, le chancelier Friedrich Merz avait affirmé que l'État sioniste «faisait le sale boulot pour nous tous»; il appelle désormais à une plus grande considération humanitaire et n'approuvera plus l'utilisation d'armes à Gaza. Pourtant, concrètement, rien n'a changé. L'Allemagne continue de soutenir Israël politiquement et militairement, s'oppose à toute sanction et poursuit les opposants au génocide en les qualifiant d'«antisémites».
Ceci est prétendument justifié par la responsabilité particulière de l'Allemagne dans l'Holocauste. En 2008, la chancelière Angela Merkel avait déclaré que la sécurité d'Israël était une «Staatsräson» (raison d’Etat) allemande, une formulation identique à celle que l'on retrouve dans l'accord de coalition du gouvernement actuel. Il y a trois mois, dans un discours marquant le 60e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques, le président allemand Frank-Walter Steinmeier a célébré le «miracle de la réconciliation après la rupture civilisationnelle de la Shoah». À ce moment-là, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou faisait l'objet d'un mandat d'arrêt international pour crimes contre l'humanité depuis longtemps.
Justifier les crimes de guerre de l'armée israélienne en invoquant la réparation pour la Shoah est répugnant et infâme. La responsabilité du génocide des Juifs n'oblige pas l'Allemagne à soutenir un autre génocide. Historiquement, cette justification repose sur un mythe dénué de tout fondement factuel.
L'étroite collaboration entre l'Allemagne et Israël n'a jamais eu rien à voir avec une « réparation», l'expiation de la Shoah, ni rien de comparable. Il s'agissait d'un échange de bons procédés : l'Allemagne fournissait à l'État sioniste assiégé des armes, une aide économique et une assistance financière ; en retour, le gouvernement israélien fermait les yeux sur la présence persistante des élites nazies dans l'État et l'économie de la République fédérale d'Allemagne et contribuait à sa réputation internationale.
Ce lien est clairement documenté dans le livre Absolution?: Israel und die deutsche Staatsräson (Absolution? Israël et la raison d'État allemande) par Daniel Marwecki. Ce politologue, né à Brême en 1987, a analysé des dossiers provenant des archives du ministère allemand des Affaires étrangères à Berlin – dont certains étaient accessibles pour la première fois – ainsi que des archives israéliennes et de nombreuses autres sources.
Publié en 2024, ce livre a été écrit avant la récente guerre de Gaza. Il s'appuie sur la thèse de doctorat soutenue par Marwecki en 2018 à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de l'Université de Londres, publiée en anglais sous le titre « Germany and Israel:Whitewashing and State Building » (Allemagne et Israël : Blanchiment et construction d’Etat). Pour l'édition allemande, le texte a été révisé et complété par une postface actualisée.
L'accord de Luxembourg de 1952 : aide économique en échange d’absolution politique
L’étroite coopération entre l’Allemagne et Israël a commencé bien avant l’établissement officiel des relations diplomatiques en 1965. Dès 1952 – alors qu’Israël n’avait que quatre ans d’existence et la République fédérale trois – les deux États ont négocié un «accord de réparation» au Luxembourg après de longues discussions.
L'année précédente, le gouvernement de Konrad Adenauer (chrétien-démocrate, CDU) avait adopté la « loi 131 », qui garantissait le retour de nombreux anciens nazis dans la fonction publique et leur donnait accès aux pensions de retraite. Comme le montre Marwecki, la loi et l'accord étaient étroitement liés :
Du point de vue allemand d'après-guerre, la politique d'indemnisation à l’égard d’Israël et la réintégration des anciens nazis dans une Allemagne pas si nouvelle n'étaient guère contradictoires. Réparation et réintégration étaient, en réalité, complémentaires. La première rendait possible la seconde.
Cet accord, âprement contesté, a apporté à Israël les biens d'équipement, l'approvisionnement énergétique et, bientôt, les armes dont il avait un besoin urgent. La somme relativement modeste de 3,45 milliards de deutsche marks (DM), que l'Allemagne s'était engagée à verser au titre des réparations, a été versée aux deux tiers sous forme de biens. Le dernier tiers a servi à financer les livraisons de pétrole brut par les compagnies énergétiques britanniques. L'indemnisation individuelle des victimes de l'Holocauste, en revanche, n'était pas prévue.
Pour Israël, encore très isolé sur la scène internationale à l'époque, l'accord était « essentiel », selon Marwecki. Jusqu'en 1965, les flux de capitaux allemands vers Israël étaient environ trois fois plus importants que ceux des États-Unis, qui ne sont devenus le principal soutien de l'État sioniste qu'après la guerre des Six Jours de 1967.
L'Allemagne fournissait des machines aux industries textile, chimique, mécanique et autres, ainsi qu'à la construction routière, à l'agriculture et bien d'autres encore. Le secteur le plus important était la construction navale, avec 60 navires et un tonnage total d'environ 450 000 tonnes. Les livraisons allemandes représentaient initialement 12 pour cent de l'ensemble des importations israéliennes. L'Allemagne a ainsi contribué à « transformer un État agraire dépendant des importations en un État industriel tourné vers l'exportation », capable d'absorber le nombre croissant des immigrants.
Pour l'Allemagne, l'accord constituait, selon Marwecki, « un investissement rentable dans sa réhabilitation internationale ». Les prétendues «réparations» contribuèrent à grandir la réputation de la République fédérale sur la scène internationale, tandis que d'anciens nazis, dont certains étaient responsables de crimes capitaux, continuaient d'occuper de hautes fonctions gouvernementales, des postes judiciaires, des chaires universitaires et siégeaient aux conseils d'administration d'entreprises. Hans Globke, chef de cabinet et «éminence grise» de la chancellerie de Konrad Adenauer, avait été co-auteur et commentateur des lois raciales de Nuremberg.
L'Allemagne a également bénéficié de cet accord sur le plan économique et, comme nous le verrons, sur le plan militaire. Aujourd'hui, après les États-Unis et la Chine, elle demeure le troisième partenaire commercial d'Israël.
Marwecki démontre en détail que l'accord de Luxembourg ne s'accompagna pas d'une reconnaissance ni d'une acceptation des crimes nazis. Il servit à empêcher une telle remise en cause. Les préjugés antisémites restèrent répandus même des années plus tard, atteignant les plus hautes sphères du gouvernement.
L'accord de Luxembourg suscita la controverse non seulement en Israël, mais aussi en Allemagne. Parmi ses principaux opposants figuraient Hermann Josef Abs, conseiller financier d'Adenauer, et le ministre des Finances Fritz Schäffer. Ils s'y opposèrent pour des raisons de coût. Sous le régime nazi, Abs avait accédé à la haute direction de la Deutsche Bank. Membre du conseil d'administration, il était responsable des mesures d'«aryanisation» et siégeait au conseil de surveillance d'IG Farben, qui exploitait des usines à Auschwitz et produisait le gaz mortel Zyklon B pour les chambres à gaz. En 1957, douze ans après la fin du régime nazi, Abs devint PDG de la Deutsche Bank et une figure dominante de l'économie allemande.
Le facteur décisif pour l'approbation de l'accord de Luxembourg est finalement venu du ministre de l'Économie et futur chancelier Ludwig Erhard (CDU), qui a souligné ses avantages économiques et politiques dans une lettre à Adenauer:
Dans une évaluation plus dynamique du développement [économique] et surtout d'un point de vue politique, il se pourrait… très bien qu'une augmentation de l'endettement serve en fin de compte mieux les intérêts allemands, notamment si nous renforçons la solvabilité allemande et en fin de compte peut-être même si nous réconcilions les Juifs du monde avec le passé de l'Allemagne.
L'allusion antisémite aux «Juifs du monde» n'était pas fortuite. Adenauer a également tenu des propos similaires à plusieurs reprises. Même après la Shoah, les dirigeants politiques allemands continuaient de croire à un complot juif mondial. Même lorsque l'Allemagne et Israël ont officiellement établi des relations diplomatiques en 1965, le premier ambassadeur allemand à Tel-Aviv, Rolf Pauls, les a justifiées dans une lettre interne en évoquant l'influence du «judaïsme mondial» :
Il convient de noter qu'Israël et les Juifs exercent une influence décisive dans les centres mondiaux cruciaux de formation de l'opinion publique et seront d'une grande importance pour notre bonne volonté, notamment concernant l'opinion publique mondiale sur la question allemande, dans les temps difficiles de politique étrangère qui s'annoncent. L'attitude du judaïsme mondial à l'égard de la question allemande, indissociable de la qualité des relations germano-israéliennes, pèsera, à mon avis, davantage sur l'avenir de cet objectif politique essentiel que… l'attitude des États arabes. (110)
La «question allemande» était alors au cœur de la politique étrangère allemande. Le gouvernement Adenauer exigeait le rétablissement de l'Allemagne dans ses frontières de 1937, y compris l'Allemagne de l'Est (RDA) et les vastes territoires que l'Allemagne avait été contrainte de céder à la Pologne, à la Tchécoslovaquie et à l'Union soviétique après sa défaite. Cette situation ne changea qu'en 1970, lorsque le gouvernement de Willy Brandt reconnut officiellement pour la première fois la frontière occidentale de la Pologne.
La véritable nature des relations germano-israéliennes est apparue particulièrement clairement lors du procès Eichmann. Lorsqu'Adolf Eichmann, qui avait joué un rôle central dans la persécution, la déportation et le meurtre de six millions de Juifs, fut enlevé en Argentine par les services secrets israéliens et jugé en Israël en 1961, la sonnette d'alarme retentit à Bonn. Le gouvernement allemand craignait qu'Eichmann ne parlât et n'incriminât de hauts fonctionnaires, notamment le chef de cabinet de la Chancellerie, Globke.
Le Service fédéral de renseignement (BND), gangrené par d'anciens nazis, envoya plusieurs « observateurs » à Jérusalem pour influencer le procès et en contrôler la couverture médiatique. Les armes et l'aide financière promises furent retenues jusqu'à l'exécution d'Eichmann à l'été 1962. Eichmann lui-même garda le silence. Ce nazi fanatique et antisémite n'avait aucun intérêt à dénoncer ses anciens camarades. Il savait qu'il ne pouvait échapper à la peine de mort et joua résolument la farce de la « banalité du mal » : celle du destinataire d'ordres apolitique et impassible.
Coopération militaire
Plus importante encore que la coopération économique était la collaboration militaire entre l'Allemagne et Israël. Elle avait débuté avant même l'accord de Luxembourg de 1952. Dès 1948, l'armée clandestine Haganah était en contact avec des représentants militaires allemands, et en 1951, le ministère israélien de la Défense effectua une tournée d’achats en Allemagne.
Avant la guerre des Six Jours de 1967, l'Allemagne jouait un rôle plus important que les États-Unis dans le soutien militaire à Israël. «Israël est devenu une puissance régionale grâce à l'aide allemande, et ce n'est qu'après que les États-Unis ont endossé le rôle de protecteur de l'État juif», écrit Marwecki.
Franz Josef Strauss, fut le moteur de cette coopération. Longtemps président de l'Union chrétienne-sociale (CSU), parti frère bavarois de la CDU, il se situait à droite de la politique allemande et rejetait catégoriquement toute remise en question du passé nazi. Il s'était abstenu lors du vote parlementaire sur l'accord de Luxembourg. Mais lorsqu'il devint ministre de la Défense en 1956, il changea d'avis : « Pour lui, Israël était devenu un bastion de l'Occident au Moyen-Orient, un garant militaire contre l'influence soviétique et le nationalisme arabe. »
La coopération militaire a engendré des tensions avec le ministère des Affaires étrangères, qui craignait que les États arabes n'établissent des relations diplomatiques avec la RDA si les livraisons d'armes étaient rendues publiques. Selon la doctrine Hallstein alors en vigueur, la République fédérale aurait été obligée de rompre immédiatement ses relations avec ces États.
Cela aurait non seulement eu des conséquences imprévisibles « pour la position et la réputation de la République fédérale au Moyen-Orient », comme l'écrivait le ministre des Affaires étrangères Heinrich von Brentano à Strauss en 1958. Cela aurait également mis en péril l'approvisionnement énergétique de l'Allemagne, de plus en plus dépendante du pétrole du Moyen-Orient. La coopération militaire s'est donc déroulée en grande partie dans le secret, mais elle n'en a été que plus intense.
En 1957, Shimon Peres, alors vice-ministre israélien de la Défense, rendit secrètement visite à Strauss à son domicile en Bavière. «Quelques mois seulement après notre rencontre, l'armée israélienne reçut un équipement de grande valeur», rapporta plus tard Peres. «Nous avons reçu des munitions, du matériel d'entraînement, des hélicoptères, des pièces détachées et bien plus encore. La qualité était excellente et la quantité considérable.»
Ce n'était que le début. En août 1962, deux mois après l'exécution d'Eichmann, le gouvernement allemand approuva une livraison massive d'armes. Celle-ci comprenait 114 canons antiaériens, 24 hélicoptères Sikorsky, 12 avions de transport Noratlas, six patrouilleurs rapides Jaguar et quatre avions Dornier-28.
La coopération militaire non plus n’avait rien à voir avec des réparations, mais avec les intérêts impérialistes allemands. Israël servait de tête de pont à la République fédérale au Moyen-Orient. Le dossier d'information du premier ambassadeur d'Allemagne à Tel-Aviv, Rolf Pauls, déclarait :
En tant que pont vers l’Afrique et l’océan Indien, en tant que ligne de communication entre l’Europe et les centres de tension en Asie de l’Est et en tant que source importante de pétrole, le Moyen-Orient revêt une importance stratégique considérable, et le maintien de la stabilité dans cette région est une préoccupation cruciale pour l’Occident.
Il s'agissait notamment aussi de repousser l'influence de l'Union soviétique. Pauls en était conscient, écrivant :
Notre intérêt à consolider l’État économique et politique d’Israël en tant que facteur du monde libre au Moyen-Orient est indéniable.
La coopération sécuritaire avec Israël, largement secrète, se poursuit encore aujourd'hui. Elle revêt une importance capitale non seulement pour Israël, mais aussi pour la Bundeswehr (forces armées) et l'industrie d'armement allemande. Elle «englobe la recherche, le développement, la formation et les exercices militaires conjoints», écrit Marwecki. Elle est « aussi étroitement liée aux sphères militaires, de la politique d'armement et du renseignement que celle entre les États membres de l'OTAN».
L'Allemagne fournit non seulement des armes à Israël, mais les achète également à des producteurs israéliens. Par exemple, l'Uzi israélien a servi de mitraillette standard pour les débuts de la Bundeswehr. Après la guerre de 1973, Israël a remis des chars soviétiques T-62 capturés. Ils ont permis à l'Allemagne de développer un nouveau canon pour le Leopard 2, capable de pénétrer le char soviétique de pointe. Le char israélien Merkava 3, quant à lui, est basé sur le modèle du Leopard 2 allemand. Le dernier modèle, le Merkava IV, est propulsé par des moteurs allemands MTU.
Construction de la bombe atomique israélienne
Le domaine de coopération militaire le plus important – et le plus secret – concerne peut-être la bombe atomique israélienne. Il est acquis qu'Israël possède au moins 90 ogives nucléaires, bien qu'il ne l'ait jamais officiellement admis, ce qui en fait la seule puissance nucléaire du Moyen-Orient. De nombreux indices suggèrent que l'Allemagne, État non doté d'armes nucléaires, a participé au développement, ou du moins au financement, de la bombe atomique israélienne.
Marwecki mentionne un versement spécial de 2 milliards de marks allemands accordé à Israël en mai 1961. « En raison de l'importance de la somme et des sensibilités de la politique étrangère, la confidentialité a été convenue. » Hans Rühle, qui occupait alors de hauts postes au ministère de la Défense et à l'OTAN, est convaincu que ces fonds ont servi à financer le programme nucléaire israélien. En 2015, il écrivait dans Die Welt que le complexe de réacteurs de la ville désertique de Dimona, à la construction duquel la France a participé, était financé par l'Allemagne. Les dossiers font référence au financement d'une « usine textile » et d'une « usine de dessalement nucléaire » – jamais construites. Le terme « usine textile » était souvent utilisé en Israël comme nom de code pour les installations nucléaires.
Il n'est pas prouvé que l'Allemagne ait collaboré techniquement avec Israël au développement de la bombe atomique. Mais ce soupçon est parfaitement fondé. Le ministre de la Défense, Franz Josef Strauß, moteur de la coopération militaire, souhaitait ardemment une bombe atomique allemande. En 1957, il conclut même un accord secret avec le ministre français de la Défense pour le développement conjoint d'armes nucléaires.
Mais Strauß ne parvint pas à vaincre l'opposition massive de l'opinion publique. En 1962, il fut contraint de démissionner suite à l'«affaire Spiegel», après avoir fait arrêter Rudolf Augstein, directeur de l'hebdomadaire à grand tirage Der Spiegel dans l'Espagne franquiste pour avoir publié un article critique sur la Bundeswehr.
La coopération nucléaire ne s'est pas arrêtée avec la démission de Strauß. Entre 1999 et 2018, l'Allemagne a livré à Israël six sous-marins nucléaires Dolphin, qu'elle a également largement financés. Cette année est prévue la livraison de la première version modernisée, la classe Dakar. Ces sous-marins garantissent à Israël sa capacité de riposte nucléaire après avoir subi une attaque nucléaire détruisant en grande partie Israël même.
Développement des relations germano-israéliennes
Marwecki retrace les relations germano-israéliennes jusqu'à nos jours. Elles ont connu des fluctuations politiques, mais sont toujours restées étroites.
En 1967, les États-Unis ont remplacé l'Allemagne comme principal soutien d'Israël. Plusieurs raisons expliquent ce choix. Les États-Unis s'étaient initialement abstenus – du moins publiquement – de soutenir l'État sioniste. Après sa fondation, Israël a continué de collaborer étroitement avec les puissances coloniales traditionnelles, la Grande-Bretagne et la France, dans la lutte contre le mouvement national arabe croissant.
Lorsque Gamal Abdel Nasser nationalisa le canal de Suez en 1956, l'armée israélienne soutint l'attaque franco-britannique contre l'Égypte. Mais les États-Unis imposèrent la fin de la guerre en quelques jours, montrant ainsi qui était la nouvelle grande puissance dominante au Moyen-Orient. Depuis, Israël s'appuie sur des liens étroits avec l'impérialisme américain, devenu la principale puissance protectrice de l'État sioniste après la victoire israélienne dans la guerre des Six Jours de 1967.
Les relations germano-israéliennes se sont en revanche refroidies. L'Allemagne s'approvisionnant à 71 pour cent en pétrole auprès des pays arabes au début des années 1970, elle ne souhaitait pas compromettre ses relations avec eux. L'Ostpolitik de Willy Brandt – l'établissement de relations politiques et économiques avec la RDA et d'autres pays d'Europe de l'Est entretenant des liens étroits avec les gouvernements arabes – allait également dans ce sens. Cependant, la coopération militaire et économique avec Israël s'est poursuivie, même si elle n'a pas été largement médiatisée.
Dans les années 1970, l'Allemagne découvre également la question palestinienne. En 1974, l'ambassadeur allemand à l'ONU évoque pour la première fois le droit des Palestiniens à l'autodétermination. En 1979, le président du Parti social-démocrate (SPD) et ancien chancelier Willy Brandt rencontre le chef de l'OLP, Yasser Arafat, à Vienne. Dans les années 1990, l'Allemagne et l'UE deviennent les principaux bailleurs de fonds du processus d'Oslo.
Tout comme la « réconciliation » avec Israël, l’engagement envers les Palestiniens a également servi les intérêts impérialistes allemands. « L’histoire montre que ce n’est pas un hasard si le gouvernement fédéral a prêté attention aux préoccupations palestiniennes au moment même où les États arabes exportateurs de pétrole ont découvert la dépendance énergétique européenne comme moyen de pression », écrit Marwecki. En soutenant l’Autorité palestinienne, l’Allemagne finance également les éléments les plus corrompus de la société palestinienne, qui maintenaient l’ordre dans les territoires occupés au nom d’Israël.
Après la dissolution de l'Union soviétique, les relations entre l'Allemagne et Israël se sont resserrées. L'Allemagne n'a plus eu à se soucier des régimes arabes, qui ne pouvaient plus manœuvrer entre l'Est et l'Ouest et ont progressivement viré à droite. Les États-Unis ont alors pris le contrôle direct du Moyen-Orient par une série de guerres incessantes, soutenues ouvertement ou indirectement par l'Allemagne et les autres puissances de l'OTAN. Israël a joué un rôle central de tête de pont pour les puissances impérialistes au Moyen-Orient.
C'est dans ce contexte que la chancelière Merkel a déclaré en 2008 que la sécurité d'Israël relevait de la «Staatsräson» allemande. Outre les intérêts impérialistes et militaires, des intérêts économiques ont également joué un rôle : jusqu'en 2009, l'Allemagne était le deuxième partenaire commercial d'Israël après les États-Unis, puis le troisième, après la Chine. Comme nous l'avons vu, la déclaration de Merkel n'avait rien à voir avec une réparation ou une expiation pour l'Holocauste.
Aucune compréhension du conflit au Moyen-Orient
Le livre de Marwecki contribue grandement à démystifier la «Staatsräson» allemande et mérite donc d'être lu. Cependant, on n'y trouvera ni compréhension du conflit au Moyen-Orient ni solution, comme l'auteur l'admet lui-même. Le dernier chapitre se conclut par cette phrase : « Il en résulte une situation intenable pour toutes les parties, à laquelle il n'existe actuellement aucune issue. »
La raison de ce pessimisme réside dans les concepts postmodernistes sur lesquels Marwecki s'appuie. Son travail se concentre sur la « lutte pour les récits », la « bataille des esprits » et le « débat mémoriel ». Il sous-estime – ou ignore – les intérêts impérialistes et les forces sociales qui sous-tendent le conflit au Moyen-Orient, ainsi que sa dimension géopolitique.
Marwecki est peu critique à l'égard du sionisme. Dans le « Post-scriptum », qu'il a rédigé après le déclenchement de la dernière guerre de Gaza, il qualifie de « fatal » la lecture purement anti-coloniale du conflit israélo-palestinien, car « les Israéliens d'aujourd'hui ont eux-mêmes été expulsés soit d'Europe, soit de pays arabes ». « La patrie des Israéliens s'appelle Israël », déclare-t-il. Ils sont, « pour reprendre un terme de la théorie postcoloniale, autochtones ». C'est pourquoi « il n'existe qu'une seule véritable solution possible au conflit israélo-palestinien : la partition du pays en deux États-nations ». Il admet toutefois qu'« une telle solution est aujourd'hui moins réaliste que jamais ».
En réalité, les crimes de guerre du régime de Netanyahou sont déjà inhérents au sionisme. Lorsque le sionisme a émergé sous sa forme moderne à la fin du XIXe siècle, il était dirigé contre la perspective du socialisme, qui jouissait alors d'une large influence parmi les travailleurs et les intellectuels juifs. Le socialisme liait la lutte contre l'antisémitisme et la discrimination juive à l'émancipation de la classe ouvrière et à l'abolition de la société de classes capitaliste. Le sionisme a opposé la libération des Juifs à la solidarité de la classe ouvrière internationale, avec la fondation d'un État-nation juif allié aux puissances impérialistes réactionnaires.
C'était une impasse. Les dirigeants sionistes étaient toujours conscients qu'ils ne pourraient atteindre leur objectif qu'en expulsant la population palestinienne et avec le soutien d'une puissance impérialiste ou d'une autre. Vladimir Jabotinsky, l'un des pères intellectuels des dirigeants actuels de Jérusalem, prônait un État juif en Palestine comme rempart de l'impérialisme britannique.
La Palestine ne pouvait exercer son «importance pour les intérêts impériaux britanniques» que si elle «cessait d'être un pays arabe», écrivait Jabotinsky en 1934. «Si la Palestine restait arabe, elle graviterait vers la voie arabe» et éliminerait «toute trace d'influence européenne». «Mais une Palestine à prédominance juive, une Palestine en tant qu'État juif, entourée de tous côtés par des pays arabes, cherchera toujours, dans l'intérêt de sa propre préservation, à s'appuyer sur un puissant empire non arabe et non mahométan.» Il s'agissait là «d'une fondation presque providentielle pour une alliance permanente entre l'Angleterre et une Palestine juive (mais seulement juive)».
Israël émergea comme un avant-poste impérialiste au Moyen-Orient et le demeure aujourd'hui. David North en parle dans son livre « La logique du sionisme : du mythe nationaliste au génocide de Gaza », dont est également tirée la citation de Jabotinsky :
Le maintien d’un État juif d’apartheid, qui réprime violemment le peuple palestinien tout en s’orientant vers le fascisme à l’intérieur même d’Israël, est inextricablement lié à son rôle de pivot de l’impérialisme au Moyen-Orient. En tant que garnison massivement armée de l’impérialisme américain, Israël doit être employé dans toutes les guerres déclenchées par Washington, avec des conséquences finalement catastrophiques.
Le déni de Marwecki sur cette question, au motif que les Israéliens ont été expulsés d'Europe et d'autres pays et n'ont pas d'autre patrie, ne change rien. Il est vrai, cependant, que c'est la montée du fascisme et la catastrophe de la Shoah qui ont donné au sionisme, jusque-là un phénomène politique marginal, le soutien nécessaire à la mise en œuvre de ses projets. Pour citer à nouveau David North :
La création de l’État sioniste fut le résultat direct des défaites de la classe ouvrière dans les années 1920 et 1930 à cause des trahisons du stalinisme et de la social-démocratie. Sans la masse des personnes déplacées, des survivants des camps de concentration nazis, sans la démoralisation politique et la perte de confiance dans la perspective du socialisme, les dirigeants sionistes n’auraient pas eu à leur disposition les effectifs nécessaires pour mener une guerre terroriste contre le peuple palestinien, l’expulser de ses foyers et de ses villages et créer, par des méthodes essentiellement criminelles, un État national juif.
L'État sioniste s'est avéré être une impasse tragique. Les crimes qu'il commet sous les yeux du monde à Gaza et en Cisjordanie en ont fait un paria, méprisé par la majorité de l'humanité.
Une solution à deux États ne changerait rien. L'État sioniste restera ce qu’il est : un bastion impérialiste, perpétuant le conflit avec les Palestiniens et les casant dans un mini-État, ni économiquement ni politiquement viable.
La seule issue à cette impasse est une Palestine laïque et démocratique où Juifs, Palestiniens et personnes d'autres origines et religions puissent vivre ensemble sur un pied d'égalité. Une telle Palestine ne peut être établie que sur une base socialiste. Elle exige l'unification de la classe ouvrière et des masses opprimées du Moyen-Orient dans la lutte contre les puissances impérialistes, le régime sioniste et les dirigeants arabes féodaux et bourgeois. Elle doit s'inscrire dans le cadre de républiques socialistes unies au Moyen-Orient et dans le monde.
(Article paru en anglais le 22 août 2025)