Le Revolutionary Communist Party (RCP, Parti communiste révolutionnaire) proclame un programme partagé avec tous les groupes pseudo de gauche britanniques, de rejoindre et de conférer soi-disant un caractère révolutionnaire au nouveau parti annoncé par l'ex-leader travailliste Jeremy Corbyn et la députée Zara Sultana.
Contrairement à ses concurrents, il a pour tâche supplémentaire de revenir sur son affirmation, vieille d'à peine un an et demi, que le réformisme corbyniste était lettre morte dans la classe ouvrière et chez les jeunes. C'est sur cette base que la Tendance marxiste internationale (IMT) s'est relancée sous le nom d'Internationale communiste révolutionnaire.
Sa volte-face a été si brusque, venant immédiatement après la démission de Sultana du Parti travailliste le 3 juillet et sa déclaration d’un nouveau parti, que même Corbyn insistait encore à ce moment sur le fait que les discussions étaient «en cours».
Le 4 juillet, Fiona Lali, coordinatrice des campagnes nationales et porte-parole du RCP, a publié une «lettre ouverte à Jeremy Corbyn et Zarah Sultana: ‘Il est temps d'être audacieux’ ».
Un bref tour d’horizon des « Leçons du passé » et des « Erreurs qui ont fait reculer le mouvement Corbyn » … se « résumait ainsi : les dirigeants de gauche ont tenté de soumettre notre mouvement aux représentants du système capitaliste – les blairistes et l'establishment ». Mais Lali a immédiatement insisté pour dire: « Ce n'est pas seulement le moment de regarder en arrière. Nous devons aussi regarder en avant. »
Reconnaissant avoir été directement impliquée dans certaines discussions sur « l'opportunité et les modalités de création d'un nouveau parti », elle a proposé que ce qu'elle a appelé « Notre parti » soit fondé sur un programme « anticapitaliste » et « révolutionnaire ». « Mon appel à Jeremy et Zarah est le suivant : il est temps d'être audacieux. »
Le 24 juillet, le RCP a réagi à l'annonce de la création d'un nouveau parti par Corbyn et Sultana par une déclaration : « Le RCP se mobilise. Luttons pour un véritable changement ! Luttons pour la révolution ! […] Nous mobiliserons nos membres pour contribuer au succès de ce nouveau et indispensable parti. »
Être membre du RCP était désormais officiellement relégué au second plan par rapport à une adhésion au « nouveau parti de Corbyn et Sultana » et y construire « une force communiste révolutionnaire ». Ses membres joueraient le rôle d’«espérer concrétiser les contours déjà esquissés par Jeremy et Zarah ».
Retour vers le futur avec le RCP
Le tournant vers Corbyn, fondé sur l’affirmation manifestement fallacieuse qu’il pourrait être persuadé d’adopter une perspective révolutionnaire, constitue un retour à la norme politique pour le RCP.
Le groupe, aujourd'hui dirigé par Alan Woods, fut fondé par Ted Grant. Il rompit avec la Quatrième Internationale après la Seconde Guerre mondiale et, pendant des décennies, fonda toute sa perspective sur l'argument que la nouvelle stabilisation du capitalisme d'après-guerre, rendue possible uniquement par la répression des luttes révolutionnaires par le stalinisme, avait réfuté le pronostic révolutionnaire de Trotsky. Au lieu de quoi, pendant une longue période historique, l'action révolutionnaire indépendante du prolétariat était impossible dû à l'achèvement de la «contre-révolution démocratique» qui nécessitait une entrée prolongée dans le Parti travailliste britannique, tout en défendant un programme essentiellement réformiste de gauche d’instauration du socialisme à travers la nationalisation par le Parti travailliste des 200 principaux monopoles.
Toute l'activité de ce qui allait devenir la Militant Tendency (MT) et qui fut poursuivie par son rejeton dirigé par Woods, reposait sur l'affirmation qu’une intégration au Parti travailliste – justifiée avant tout par son ancrage syndical – pourrait pousser celui-ci à adopter un programme socialiste. Woods et Grant s'en sont tenus fermement à ce scénario tout au long des mandats de Tony Blair, Gordon Brown et Ed Miliband. Et aucune tendance ne s'est montrée plus enthousiaste lorsque Jeremy Corbyn a été élu à la tête du Parti travailliste britannique en 2015.
L'International Marxist Tendency (IMT, Tendance marxiste internationale) et sa filiale britannique, Socialist Appeal, avaient également rejoint le reste de la pseudo-gauche pour soutenir Syriza en Grèce, avec des résultats désastreux, qu'ils ont finalement imputés à son manque d'ancrage dans la classe ouvrière, c'est-à-dire de soutien syndical. Cela, suggéraient-ils après coup, aurait empêché sa direction de capituler face aux exigences d'austérité de l'Union européenne et du Fonds monétaire international.
Ils ont exhorté les travailleurs, les jeunes et les syndicats à rejoindre ou à s'affilier au Parti travailliste pour contribuer à la transformation du parti par la «révolution Corbyn». En octobre 2017, l'IMT a évoqué le «gouvernement en attente» de Corbyn et les efforts de « l'establishment» pour contrôler le «prochain Premier ministre», insistant sur le fait que Corbyn ne céderait pas comme l'avaient fait Syriza et son chef Alexis Tsipras :
Il ne fait aucun doute qu'un gouvernement travailliste de gauche subirait une pression similaire de toutes parts s'il était au pouvoir […] Cependant, la Grande-Bretagne n'est pas la Grèce ; le Parti travailliste n'est pas Syriza ; et Corbyn n'est pas Tsipras. Le Parti travailliste a un poids historique bien plus important et des racines bien plus profondes au sein de la classe ouvrière que Syriza. Il ne s'agit pas d'une tendance éphémère, mais du parti de masse traditionnel de la classe ouvrière britannique, étroitement lié aux syndicats.
Dés décembre 2019, la «révolution Corbyn» était terminée. Après avoir perdu une deuxième élection générale face aux conservateurs, Corbyn démissionna de la tête du parti, ouvrant la voie à Keir Starmer. Même à cette époque, l'IMT tenta de maintenir cette ligne, Woods écrivant que les blairistes étaient «la dernière tentative désespérée de reprendre le contrôle. À un moment donné, l'aile droite se divisera ou sera expulsée. Cela poussera le Parti travailliste loin à gauche, ouvrant de sérieuses perspectives à la tendance marxiste.»
Colporter jusqu'au bout le mythe d'un Parti travailliste socialiste
Lorsque le RCP tente aujourd'hui de se présenter comme ayant adopté une attitude critique à l'égard de la direction de Corbyn au Parti travailliste, cela se limite en grande partie à un lien «pour mémoire» vers des articles précédents soigneusement sélectionnés, plutôt qu'à des remarques contemporaines embarrassantes qui pourraient empêcher leur intégration dans le nouveau parti.
Mais même ici, il y a tour de passe-passe. Le premier article auquel Lali fait référence n'a été publié que le 11 septembre 2020 et se présente comme une analyse du « Mouvement Corbyn - 5 ans après : Leçons pour la gauche. » Ces articles ont été rédigés bien après l'échec du projet politique qu'ils avançaient.
Son récit long et purement descriptif insitait néanmoins pour dire qu’«un mouvement de masse historique, une force imparable, avait été créé».
On entend tour à tour des critiques tardives contre «Corbyn et son équipe» pour avoir tenté de «faire des compromis avec ses détracteurs», combinées à des affirmations démagogiques selon lesquelles «les blairistes ont été écrasés […] complètement discrédités, démasqués comme les traîtres qu'ils étaient (et sont). Leur tentative d'assassinat ratée n'avait fait que rendre la position de Corbyn comme leader inattaquable». Corbyn aurait tragiquement échoué à exploiter cette situation.
Le message est qu’une issue positive n’a été empêchée que parce que les «dirigeants de gauche» avaient manqué de « tenir bon ».
La «révolution» avait donc cédé la place à la «contre-révolution», mais «le plus grand danger est la démoralisation […] Naturellement, des milliers de personnes ont déchiré leurs cartes d’adhérent, dégoûtées par le virage à droite de Starmer. Il est de la responsabilité des dirigeants du mouvement Corbyn de renverser la situation. La guerre civile du Parti travailliste est loin d’être terminée. C’est une lutte de forces vives, dont l’issue reste à déterminer.»
De cette manière, la colonne vertébrale renforcée par les «marxistes», les Corbynistes pouvaient encore «chasser les blairistes et les bureaucrates du [groupe parlementaire travailliste] et du siège du Labour et le retransformer dans le mouvement social de masse qu’il était en train de devenir à l’apogée de l’ère Corbyn.»
Ce ne fut qu'à la mi-2022 que les déclarations publiques du groupe Socialist Appeal se sont orientées vers la défense d'un parti indépendant, Woods écrivant en janvier 2023: «Pourquoi n'y a-t-il pas eu de révolution? – La nécessité d'une direction révolutionnaire », déclarant à propos de l'effondrement du corbynisme qu'«un élément fatal fut le rôle joué par Corbyn même» et que cela avait conduit à «une déroute honteuse».
Dans un rapport de janvier 2024 présenté à la réunion internationale et publié le 14 février, Woods expliquait l'intention de l’IMT de se relancer sous le nom d'Internationale communiste révolutionnaire. Poussé par l'effondrement de la perspective de son organisation, il se lança brusquement sur la gauche, affirmant que l'échec du corbynisme et des formations «réformistes de gauche» similaires signifiait que les jeunes d'aujourd'hui se transformaient massivement en communistes : « Des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers, voire des millions de jeunes en tirent déjà les bonnes conclusions. Ils ont déjà accepté l'idée du communisme. Ils désirent le communisme. »
Le scénario politique de Woods, axé sur l’assertion objectiviste d’un développement spontané de la conscience révolutionnaire, n’a pas survécu à son premier défi politique.
De nombreux éléments parmi les représentants de gauche du Parti travailliste et de la bureaucratie syndicale, pleinement conscients du fossé grandissant entre la classe ouvrière et le Parti travailliste de Starmer, qui court vers la droite, ont poussé un Corbyn réticent et une Sultana au discours plus radical à prendre la tête d’une opération visant à piéger les jeunes en particulier derrière un nouveau projet de parti en exploitant des illusions réformistes que le RCP prétendait être choses du passé.
Woods contraint d'émettre un correctif
Politiquement mal préparés à cette évolution et imprégnés depuis des décennies de l'opportunisme de l'IMT, de larges pans parmi ses membres ont été tellement emportés par l'enthousiasme pour le nouveau parti corbyniste que Woods a commencé à s’alarmer. D'un côté, il craignait de perdre une partie de ses cadres au profit de Jeremy et Zarah ; de l'autre, il s'inquiétait de la réaction des recrues gagnées ces deux dernières années sur une perspective de construction d’un parti communiste indépendant, à une si manifeste adulation.
Le 28 juillet, Woods a publié un correctif détaillé aux déclarations peu critiques de son parti : «Le nouveau parti de Jeremy Corbyn: que signifie-t-il et quelle attitude les communistes devraient-ils adopter à son égard?»
Il est remarquable qu’il se soit senti obligé de se dresser de toute sa hauteur et de proclamer: «Il n’est absolument pas question de liquider le Parti communiste révolutionnaire […] Sur cette question, il ne peut y avoir de compromis.»
Le fait d’avoir à insister publiquement sur une telle ligne rouge montre que Woods est conscient des puissantes tendances à la liquidation de sa tendance dans ce que Corbyn appelle provisoirement «Votre parti» et que Lali a déjà adopté comme «Notre parti».
La «forte vague de soutien et d'enthousiasme» pour le nouveau parti, écrivait-il, n'était «pas surprenante», car «la politique réactionnaire menée par le gouvernement Starmer avait été un affront pour les millions de personnes qui avaient voté pour le Parti travailliste en espérant un changement.» De plus, «étant donné la faiblesse actuelle des forces du marxisme authentique, ce vide ne pouvait être comblé que par une quelconque alternative réformiste de gauche ».
Il énumère ensuite une série de mises en garde destinées à rectifier la quasi-amnistie politique accordée dans d'autres déclarations de son parti, comme la remarque que Corbyn jusqu'ici n'avait «vu que la réaction de tous côtés» parce qu'il manquait de «toute connaissance de la dialectique» et avait retardé la formation d'un nouveau parti «pendant longtemps par ses hésitations et vacillations constantes».
Néanmoins, souligne-t-il, «il s'agit d'un pas colossal vers une transformation révolutionnaire », alors que des millions de personnes «cherchent une issue à la crise, se tournant d'abord vers une option, puis vers une autre». Parmi elles, «des démagogues de droite comme Trump», dont la présidence, souligne-t-il, «est interprétée par des imbéciles sectaires et des réformistes de gauche qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez […] comme la montée de la réaction fasciste».
«L'annonce d'un nouveau parti de gauche en Grande-Bretagne ouvre sans aucun doute de nouvelles perspectives aux communistes», déclare Woods ; mais il prévient ses militants que leur attitude « ne peut être déterminée par l’enthousiasme passager des masses […] En particulier, nous devons fermement garder à l'esprit les leçons du passé concernant le réformisme de gauche. Nous avons l'expérience de Tsipras en Grèce, de Podemos en Espagne, de Sanders aux États-Unis et, enfin et surtout, de Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne […] Ils ont tous bénéficié d'un enthousiasme considérable au début. Mais au final, tout s'est mal terminé, car ils ont finalement capitulé devant l'establishment ».
Suit un bref aperçu du refus de Corbyn de « mobiliser la base populaire dont il disposait pour écraser le Parti travailliste parlementaire en désélectionnant les députés travaillistes de droite ». Les réformistes de gauche, ajoute-t-il, « se cramponnent toujours aux réformistes de droite, craignant une scission […] Sa défaite était donc absolument inévitable, et elle découlait directement de sa propre politique réformiste de gauche ».
Dans cet esprit, le RCP doit désormais «participer, aux côtés des masses de la classe ouvrière, et relier le programme achevé de la révolution socialiste au désir inachevé des éléments les plus avancés pour un changement révolutionnaire fondamental ».
Des apologistes de gauche des Corbynistes
Une fois énumérées les orthodoxies, Woods précise qu'il s'oppose uniquement aux formes les plus flagrantes d'accommodement politique au corbynisme et non à l'orientation essentielle du RCP agissant comme apologiste de gauche de celui-ci, en particulier parmi ceux qui critiquent le plus son bilan de capitulation et de trahison.
Son argumentation requiert des formulations désespérément torturées, s’efforçant de maintenir une position «critique» tout en laissant entrevoir la perspective d’un développement révolutionnaire avec Corbyn.
On nous dit qu'il est «trop tôt pour prédire la physionomie réelle du nouveau parti», car «la question cruciale est de savoir si la direction de ce parti prône réellement une transformation fondamentale de la société. Nous entendons par là l'abolition du capitalisme et la prise du pouvoir par la classe ouvrière ».
Mais même après toutes les expériences qu'il a énumérées précédemment, y compris les cinq années de Corbyn à la tête du Parti travailliste et les cinq années de son refus de s'y opposer, Woods insiste pour dire: «Nous ne pouvons pas répondre à cette question à l'avance. »
C’était le cas même si «selon toute probabilité, la nature réformiste de gauche de la direction les inclinera à penser qu’il est possible de résoudre les problèmes de la classe ouvrière sans rupture radicale avec le capitalisme et la propriété privée des moyens de production ».
«Nous ne pouvons pas encore répondre à cette question», il est «trop tôt» pour le dire, mais «selon toute probabilité», une «direction réformiste» sera «encline» à s'opposer à «une rupture radicale avec le capitalisme»! C'est là du sophisme vulgaire, surtout lorsque le « réformiste» en question est Corbyn, 76 ans, fort de plusieurs décennies de vie politique. Il existe peu de figures dans le monde comme lui ayant démontré ce qu’il était.
Quoi qu’il en soit, le RCP, tout en s’appuyant sur «le programme de la révolution socialiste», se tiendra aux côtés de Corbyn dans la lutte pour des réformes sans lesquelles «la révolution socialiste serait une utopie impossible».
Woods développe une critique entièrement novatrice et anti-marxiste du réformisme, dénuée de tout caractère historique ou de classe. «Notre critique des réformistes de droite est précisément qu'ils ne luttent pas efficacement pour les réformes», écrit-il, au lieu de les considérer comme les serviteurs politiques inconditionnels de la bourgeoisie. Il exhorte ensuite ses lecteurs à reconnaître que, contrairement à la droite, les réformistes de gauche «croient sincèrement qu'il est possible de réaliser des réformes ambitieuses et d'améliorer le niveau de vie dans les limites du système capitaliste».
Reconnaissant ces bonnes intentions, « chaque fois que Jeremy Corbyn fera un pas dans la bonne direction, nous le soutiendrons. Mais chaque fois qu'il reculera, chaque fois qu'il fera preuve d'hésitations (ce qu'il a fait à maintes reprises), nous nous réservons le droit de le critiquer avec fermeté mais de manière amicale ».
Léon Trotsky et l'attitude révolutionnaire envers les réformistes de gauche
Les critiques « amicales » que Woods propose, dans le cadre d’une «collaboration fructueuse et honnête avec les réformistes de gauche», n’ont rien à voir avec le marxisme, qui exige une dénonciation implacable de ces éléments « de gauche».
Ces derniers répudient surtout l’insistance centrale de Trotsky sur le fait que la révolution sociale en Grande-Bretagne dépend de la rupture de la classe ouvrière d’avec le Parti travailliste et la bureaucratie syndicale ; et que cela dépend de la dénonciation systématique de ses représentants de gauche, dont la rhétorique est conçue pour correspondre au sentiment socialiste des masses en mouvement vers la gauche afin d’empêcher qu’il ne prenne des formes révolutionnaires.
Nous ne sommes plus qu'à quelques mois du centenaire de la grève générale de 1926, une expérience marquante pour la classe ouvrière britannique et internationale. Comment Trotsky a-t-il cherché à préparer et à guider la classe ouvrière à traverser cette confrontation ?
Il dirigea ses attaques principalement contre le Parti travailliste indépendant (ILP), qui constituait alors l'aile gauche du Parti travailliste. Trotsky critiquait vivement cette tendance politique, qui à l’époque était bien plus à gauche que les actuels partisans de Corbyn.
Il attaqua « les Fabiens, les partisans de l’ILP et les bureaucrates syndicaux conservateurs…qui empoisonnent systématiquement le mouvement ouvrier, obscurcissent la conscience du prolétariat, paralysent sa volonté. Ce n'est que grâce à eux que le torysme, le libéralisme, l'Église, la monarchie, l'aristocrate, et la bourgeoisie continuent de survivre »
Dans des termes qui constituent une condamnation de l'amnésie politique du RCP à l'égard du nouveau parti de Corbyn, Trotsky a écrit à propos des « dirigeants de gauche » qui « changent facilement de ligne » pour céder aux pressions d'en bas : « Pour les évaluer, il faut prendre en compte les deux aspects de la situation. Les révolutionnaires ont besoin d'une bonne mémoire. »
Il a souligné comment «il faut clairement comprendre que toutes les traditions, les habitudes organisationnelles et les idées de tous les groupements déjà existants dans le mouvement ouvrier sous différentes formes et avec différents slogans les prédisposent soit à la trahison directe, soit au compromis».
Aujourd’hui le RCP s’efforce de donner à un parti pour l’instant sans adhérents confirmés, dirigé par un comité de l’ombre de corbynistes invétérés, un programme révolutionnaire. Trotsky écrivait clairement à propos de l'ILP (Parti travailliste indépendant), qui entretenait des liens étroits avec les masses ouvrières et affichait sa sympathie pour la révolution russe : « L'illusion serait très grande de croire le parti des Indépendant capable de devenir le parti révolutionnaire du prolétariat. »
C'était là le rôle d'un parti de type bolchevique seul, dont le chemin passait «non seulement à travers une lutte irréconciliable contre l'agence spéciale du capital sous forme de la clique [de droite] [JH] Thomas-[Ramsay] MacDonald, mais aussi à travers le fait de démasquer systématiquement les esprits confus de gauche grâce auxquels seuls MacDonald et Thomas peuvent maintenir leurs positions.»
Ces arguments constituaient une polémique de fait contre la ligne opportuniste prônée alors par l'Internationale communiste sous la direction de Joseph Staline, qui subordonnait le Parti communiste britannique au Conseil général du Congrès des syndicats et aux dirigeants du Parti travailliste par l'intermédiaire des «gauches» organisés au sein du Comité anglo-russe. Le résultat fut non seulement la trahison de la grève générale, mais une trahison dont les causes restèrent non clarifiées dans la classe ouvrière britannique, provoquant une longue période de recul.
Comment le parti révolutionnaire sépare les travailleurs des «éléments de gauche»
À chaque instant, Trotsky a clairement différencié les dirigeants de l'ILP des masses ouvrières qui les ont suivis, mais dont les sentiments et la trajectoire politique étaient nettement plus à gauche. Il a expliqué que «le rôle actuel des Indépendants résulte du fait que leur chemin a croisé celui du prolétariat. Mais cela ne signifie en aucun cas que ces chemins aient définitivement fusionné.»
Ce qui était décisif, ce n’était pas l'alignement temporaire, mais l'affrontement à venir: «La croissance rapide de l'influence des Indépendants n'est que le reflet de la force exceptionnelle de la pression de la classe ouvrière; mais c'est précisément cette pression, générée par toute la situation, qui jettera les travailleurs britanniques dans la collision avec les dirigeants des Indépendants.»
Dans une autre formulation, plus acerbe, Trotsky explique: «Ils représentent l’expression d’un changement mais aussi son frein.»
Pour que les travailleurs sortent victorieux de cet affrontement, il fallait l’intervention continue du parti marxiste.
Les dirigeants de l'ILP dépendaient pour leur position du degré auquel « la bureaucratie syndicale peut affaiblir, neutraliser et déformer la pression de classe indépendante du prolétariat. Mais le Parti communiste, au contraire, ne pourra prendre la tête de la classe ouvrière que s'il entre en conflit implacable avec la bureaucratie conservatrice des syndicats et du Parti travailliste ».
Par «conflit implacable», Trotsky entendait «une critique impitoyable de tous les dirigeants du mouvement ouvrier britannique», une «dénonciation quotidienne» et «un démasquage perpétuel, systématique, inflexible, infatigable et irréconciliable des dirigeants quasi-de gauche de toutes tendances, de leur confusion, de leurs compromis et de leurs réticences ».
Pour le RCP, l'accent n'est pas mis sur l'inévitable affrontement entre les travailleurs et leurs dirigeants, mais sur un alignement temporaire. Dans « La lutte contre le réformisme », publié le 15 juillet, il écrit : « Nous devons prendre comme point de départ la conscience des masses telle qu'elle est aujourd'hui, y compris les illusions qu’elles peuvent avoir. »
Évidemment, et cela implique de participer aux luttes de la classe ouvrière telles qu'elles existent. Mais la façon dont le RCP applique cette vérité générale aux circonstances spécifiques du nouveau parti corbyniste pose deux problèmes majeurs.
Premièrement, à quelles luttes, même pour des réformes, ses figures de proue sont-elles associées ? Le RCP reconnaît que Corbyn, Bernie Sanders et Syriza, entre autres, n'ont « mis en œuvre aucune réforme significative », car ils n'ont jamais mené de lutte politique contre la droite.
Deuxièmement, on ne peut pas construire de «pont» entre les luttes réformistes de la classe ouvrière et les luttes révolutionnaires sans entreprendre un travail politique visant à «dissiper les “illusions réformistes” des masses […] à faire comprendre aux travailleurs qu’ils font erreur, que leurs dirigeants trahiront», énoncées en termes désobligeants par le RCP. C’est, affirment-ils, «bien beau dans l’abstrait […] mais ce serait tout de même totalement contre-productif et faux, précisément parce que c’est si abstrait».
Pour le RCP, un programme concret se résume à des appels à « Jérémy et Zarah ». Mais l'unité avec les masses ne signifie pas la moindre unité avec les dirigeants, qui doivent être démasqués devant les travailleurs comme partie de leur éducation politique et de leur préparation.
Sans cela, les corbynistes – bien plus que l’ILP que Trotsky décrit – transformeront « l’aspiration encore vaguement définie mais profonde et tenace de la classe ouvrière à se libérer de [Stanley] Baldwin [le chef du Parti conservateur] et de [Ramsay] MacDonald [le chef du Parti travailliste] en phrases d’opposition de gauche ne leur imposant aucune obligation.»
Lors de la publication de l'édition britannique de «Où va l’Angleterre?», Trotsky critiquait le Parti communiste britannique pour avoir obtenu une introduction écrite de H.N. Brailsford, alors rédacteur en chef du journal de l’ILP. « Nous avons besoin de l'unité de front avec les masses ouvrières. L'unité ou la semi-unité du front littéraire avec Brailsford ne signifie que l'aggravation de la confusion des idées, dont le mouvement ouvrier anglais est assez riche sans cela. »
Brailsford cherchait une couverture de gauche en s'associant à Trotsky. Mais pour nous communistes,
nos tâches sont autres. Nous ne voulons pas de masques. Notre premier devoir est de détruire les camouflages dans le domaine des idées. La masse ouvrière anglaise est infiniment à gauche de Brailsford, mais n'est pas encore en mesure de trouver des expressions adéquates à son état d'esprit. Le fatras du passé sépare encore, de toute sa largeur, cette masse allant à gauche, du programme communiste. Il est d'autant plus inadmissible d'ajouter ne serait-ce qu'un cheveu à ce fatras. Les communistes défendant les intérêts des mineurs, sont disposés à faire quelques pas de conserve avec Mr. Brailsford. Mais pas de ' bloc ' idéologique d'aucune sorte, pas d'unité de front en matière de théorie et de programme ! Brailsford, précisément, s'est exprimé en ces termes à propos de l'édition américaine de ce livre : ' Un abîme nous sépare de ces gens. ' Juste, juste, très juste! Or, rien n'est plus criminel du point de vue marxiste que de jeter sur un abîme politique des palmes littéraires : l'ouvrier trompé y mettra le pied et tombera.
L'objectivisme au service de l'opportunisme
De telles leçons fondamentales sont balayées d’un revers de main par le RCP: «Se contenter de sermonner la classe ouvrière sur la nécessité de renverser le capitalisme, sans relier cette vérité générale aux revendications concrètes du mouvement vivant, est la marque du sectarisme.»
Il ignore délibérément le fait que parmi les «revendications concrètes du mouvement vivant» les plus vitales figure la mise à nu des corbynistes – la construction de l’indépendance politique de la classe ouvrière.
La présentation par le RCP du processus par lequel «la conscience révolutionnaire se développe réellement» présente les choses comme si le parti révolutionnaire se contentait de prendre acte d'une situation révolutionnaire. La grève générale britannique est même citée en exemple, et «c'est précisément là que la question du leadership devient décisive». Mais ce leadership ne peut être décisif que dans la mesure où il a rassemblé autour de lui une force suffisamment importante dans la classe ouvrière, entraînée à reconnaître les traîtres de gauche pour ce qu'ils sont et à chaque tournant.
Le mouvement des travailleurs britanniques fut immense. Il fut cependant «dicté par la logique de la situation bien plus que par celle de la conscience», selon les mots de Trotsky. « La classe ouvrière britannique n'avait pas d'autre choix», pas plus que les faiseurs de discours de gauche, contraints d'exprimer leur soutien. C'était là «la force de la grève, mais aussi sa faiblesse», précisément parce que la classe ouvrière n'avait pas une idée claire de son programme politique et de qui étaient ses alliés et qui étaient ses ennemis.
Comme en a averti Trotsky:
Ce serait une honte absolue de balayer d'un revers de la main la lutte contre l'opportunisme au sommet de la direction en faisant allusion aux profonds processus révolutionnaires en cours dans la classe ouvrière. Une telle approche prétendument «profonde» découle entièrement d'une incompréhension du rôle et de l'importance du parti dans le mouvement de la classe ouvrière, et plus particulièrement dans la révolution. Car c'est toujours le centrisme qui a masqué et continue de masquer les péchés de l'opportunisme sous de solennelles références aux tendances objectives du développement. Vaut-il la peine de perdre du temps et de l'énergie à combattre des esprits confus du type Wheatley, Brailsford, Purcell, Kirkwood et autres, maintenant que les aspirations révolutionnaires se multiplient au sein du prolétariat, que les syndicats se tournent vers la coopération avec les syndicats soviétiques, etc.? Mais en réalité, ce prétendu objectivisme révolutionnaire ne se traduit que par une tentative de se dérober aux tâches révolutionnaires en les transférant au soi-disant processus historique.
Le même objectivisme opportuniste transparaissait dans les documents fondateurs du RCP et de son Internationale, malgré tous les discours radicaux sur le discrédit total de toutes les autres forces de gauche. Il se manifeste aujourd'hui dans son attitude envers le nouveau parti corbyniste.
Armer la classe ouvrière pour les luttes à venir
Exprimant sa position à l'égard du parti de Corbyn et Sultana, le Parti de l'égalité socialiste a expliqué qu'objectivement, il s'agissait « d’une étape importante dans la désintégration en cours du Parti travailliste (Labour). Des millions de travailleurs et de jeunes ont tiré la conclusion que le Parti travailliste dirigé par Keir Starmer est un parti résolument à droite, pro-patronal, composé de va-t-en-guerre et de défenseurs du génocide de Gaza ».
Mais nous avons également souligné :
Bien que Corbyn ait été contraint de rompre avec le Labour, son nouveau parti ne représente pas une rupture politique avec le Labourisme. Il ne prône que des réformes limitées, à obtenir à travers le Parlement – un Parti travailliste numéro deux.
Rien de tout cela ne change ou changera à l'avenir dû au soutien immédiat et universel apporté à cette initiative par de nombreuses tendances de la pseudo-gauche se disant partisanes de la révolution. Le rôle de groupes tels que le SWP (Socialist Workers Party), le RCP (Parti communiste révolutionnaire) et le SP (Parti socialiste) sera de soutenir et servir d'apologistes à ce nouveau parti réformiste. Ce sont eux qui s'adapteront à la politique de Corbyn, et non l'inverse.
Nous avons expliqué:
La classe ouvrière, en Grande-Bretagne et à l'international, est confrontée à un monde où l'oligarchie des super-riches monopolise une part toujours plus grande des richesses mondiales, et où les puissances impérialistes renforcent leurs armées pour des guerres de territoire et de ressources. L'effondrement du niveau de vie des travailleurs est le prix à payer, et des mesures d'État policier sont déployées et des partis d'extrême droite créés pour réprimer la résistance.
Toute tentative de mise en œuvre des réformes prônées par le parti de Corbyn se heurtera à un mélange de guerre économique et de violences d'extrême droite et militaires. Rien que la possibilité de voir un Premier ministre Corbyn – encadré qu’il était par son groupe parlementaire majoritairement blairiste – avait alors suffi à susciter des menaces d'assassinat et de coup d'État militaire.
La classe dirigeante répondra à toute opposition à la destruction du niveau de vie et à la guerre impérialiste par une féroce répression. Cela fut démontré par l’arrestation par le gouvernement Starmer de centaines de manifestants anti-génocide et par l’interdiction de Palestine Action en vertu des Lois anti-terroristes. La victoire nécessitera une mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière: nationalisation des industries essentielles, confiscation des richesses des milliardaires et mise en œuvre d'une stratégie socialiste internationale pour assurer la victoire.
Terrifiés par un tel mouvement, Corbyn et la direction de son nouveau parti suivraient l'exemple de Syriza, probablement de manière encore plus prostrée. Le rôle du SWP, du RCP et du SP est de désarmer la classe ouvrière face à ces réalités politiques.
Et nous nous sommes fixés comme tâche politique :
Le Parti de l'égalité socialiste fera tout son possible pour alerter les travailleurs sur la situation et leur fournir le programme et la direction nécessaires. Nous ne serons pas les défenseurs de « Votre Parti » et n’en ferons pas l’apologie. Ce n'est pas le nôtre. Nous nous engagerons activement auprès des nombreux travailleurs et jeunes qui comptent actuellement sur Corbyn pour les guider et nous nous efforcerons de les instruire sur les expériences historiques fondamentales de la dernière décennie et au-delà, qui montrent la nécessité d'une perspective et d'un parti révolutionnaires, internationalistes et socialistes.
C'est cette perspective trotskyste qui est nécessaire pour guider le travail révolutionnaire des travailleurs et des jeunes ayant des idées socialistes. Contactez le SEP dès aujourd'hui.
(Article paru en anglais le 22 août 2025)