Le Parti québécois (PQ) a remporté l’élection partielle dans la circonscription surtout rurale d’Arthabaska-L'Erable mardi dernier. Le candidat péquiste, l’ancien animateur de Radio-Canada, Alex Boissonneault, a raflé 46,3% des votes dans ce qui était considéré comme un «château fort» de la Coalition Avenir Québec (CAQ) actuellement au pouvoir.
Avec un maigre 7,2% des votes, soit une chute de 44 points de pourcentage comparativement aux dernières élections, la CAQ a subi une débâcle, terminant au quatrième rang de la course.
Le chef du Parti conservateur du Québec, le libertaire d’extrême-droite Éric Duhaime, a terminé au deuxième rang avec 35,1% des suffrages exprimés. Le parti supposément «de gauche» Québec solidaire (QS) a terminé bon dernier avec un piètre 1,5% des votes, une chute majeure comparativement à 2022 où sa même candidate avait obtenu 9,2% des votes.
Ces résultats témoignent d’une profonde insatisfaction populaire à l’égard de la CAQ et du Premier ministre François Legault. Son gouvernement d’hommes d’affaires, au pouvoir depuis 2018, a intensifié les mesures d’austérité de ses prédécesseurs péquistes et libéraux.
Ses coupures budgétaires massives ont laissé les services publics au bord de l'effondrement, comme en témoignent le taux élevé d’épuisement professionnel parmi les travailleurs, la pénurie chronique d'enseignants et d'infirmières ainsi que la vétusté des infrastructures vitales comme les écoles et les hôpitaux.
Au même moment, dans un contexte d’inflation galopante, l'accès au logement est devenu hors de prix pour les jeunes et les travailleurs, tandis que les indices de détresse sociale comme l’itinérance ou les demandes pour les banques alimentaires ont grimpé en flèche.
Après une série d’aventures financières où le gouvernement Legault a versé des centaines de millions en fonds publics à de grosses compagnies qui les ont dilapidées, ce dernier est vu à juste titre comme un fidèle serviteur de la grande entreprise et des riches.
Consciente de la grogne populaire que génère sa politique pro-patronale, la CAQ a répondu en attisant le chauvinisme québécois pour diviser la classe ouvrière tout en adoptant la loi 89 qui supprime de facto le droit de grève au Québec.
Parlant comme un chef en fin de régime, Legault a admis que «les Québécois sont déçus de notre gouvernement» et promis «des changements», y compris un remaniement de son cabinet. C’est un signal à la grande entreprise qu’il a l’intention d’approfondir l’assaut contre les travailleurs et d’intensifier ses attaques contre les droits des immigrants et des minorités ethniques.
Mais les doutes s’accumulent dans la grande entreprise sur la capacité de la CAQ – maintenant loin en troisième place dans les sondages – à imposer l’assaut renouvelé sur la classe ouvrière qui est jugé nécessaire pour assurer les profits face à une concurrence internationale plus féroce.
Certaines sections de la classe dirigeante, historiquement associées au nationalisme québécois le plus débridé, préparent le retour au pouvoir d’un gouvernement péquiste pour mener à bien cette mission réactionnaire.
Ce sont avant tout leurs efforts qui sont derrière la montée du PQ dans les sondages – et non un regain d’intérêt parmi les travailleurs pour ce parti de la grande entreprise et porte-étendard du chauvinisme québécois le plus virulent.
Mais faire renaître de ses cendres le PQ, un parti pratiquement rayé de la carte il y a seulement quelques années et largement détesté parmi la classe ouvrière pour ses politiques anti-travailleurs et anti-immigrants, est une opération politique délicate.
Celle-ci n’aurait jamais obtenu un tel élan, au point de faire du PQ le principal bénéficiaire de la déroute de la CAQ avec une troisième victoire d’affilée en élection partielle, sans la complicité des syndicats et de Québec solidaire.
La bureaucratie syndicale agit systématiquement pour isoler toute lutte lancée par une section de travailleurs afin de bloquer un soutien plus large parmi la classe ouvrière qui aurait le potentiel de galvaniser un mouvement unifié pan-canadien contre l'austérité. Son mot d’ordre est le maintien de la «paix sociale», c’est-à-dire du système d’exploitation capitaliste.
C’est pourquoi les syndicats ont torpillé le vaste mouvement de grève dans le secteur public québécois en 2023-24 et la grève des 55.000 postiers canadiens en 2024, pour ne citer que deux exemples récents de l’opposition grandissante de la base qui a été étouffée par la bureaucratie syndicale.
Sans surprise, la bureaucratie syndicale, qui défend pleinement le capitalisme et entretient des liens étroits avec la classe politique, a travaillé d'arrache-pied avec les divers paliers de gouvernement au Canada, y compris celui de Legault au Québec, pour imposer des ententes pourries ou encore prétendre que rien ne peut être fait contre les lois spéciales de retour au travail.
Au Québec, les syndicats ont travaillé main dans la main avec le gouvernement droitier de la CAQ tout en maintenant leur alliance de longue date avec le PQ.
Plus tôt cette année, Magali Picard, la présidente de la FTQ, la plus grande centrale syndicale au Québec, a admis être en discussion avec le Parti québécois pour lui apporter un soutien politique ouvert s’il promettait d’abroger la loi 89 – une promesse qui ne vaudrait rien de la part d’un parti de la grande entreprise qui a imposé son propre lot de lois spéciales anti-grèves chaque fois qu’il était au pouvoir.
Quelques semaines après, les chefs des centrales syndicales ont rencontré le ministre du Travail Jean Boulet et signé un communiqué dans lequel ils offraient au gouvernement de «reconstruire des ponts à la suite de l'adoption du projet de loi 89» afin de promouvoir le «dialogue social», c’est-à-dire le complot de la grande entreprise et des syndicats contre les membres de la base.
Dans ses efforts acharnés pour étouffer la lutte des classes et faire renaître le Parti québécois, la bureaucratie syndicale redouble d’ardeur pour répandre le poison du nationalisme québécois qui sert à diviser les travailleurs du Québec de leurs frères et sœurs de classe dans le reste du Canada. Elle bénéficie en cela de l'appui de Québec solidaire, un parti de sections aisées de la classe moyenne qui appuient le projet nationaliste réactionnaire de l’indépendance du Québec.
Opposé à toute critique du rôle anti-ouvrier de la bureaucratie syndicale, QS minimise le tournant chauvin et anti-immigrants du Parti québécois et de toute la classe dirigeante en affirmant que le PQ et la CAQ ne sont «pas racistes». Il sépare le tournant anti-immigrants au Québec de la tendance internationale dans laquelle il s’inscrit, insistant pour dire, devant la montée de Trump et de l'extrême-droite en Europe, qu'«au Québec, ce n’est pas pareil».
Quoi qu’en dise Québec Solidaire, ce tournant s'est exprimé au Québec par l'adoption de la loi 21 de la CAQ, profondément discriminatoire envers les femmes musulmanes, et par des tirades régulières des ultra-droitistes du Journal de Montréal, reprises par Legault et St-Pierre Plamondon, qui ciblent les immigrants pour les problèmes causés par le capitalisme, comme le manque de logement abordable, la crise dans les services publics ou encore la criminalité.
Le rôle de QS pour masquer les efforts systématiques de la classe dirigeante pour attiser le chauvinisme anti-immigrants s’est poursuivi dans le cadre de l'élection partielle, alors que la candidate de QS, Isabelle Fortin, a dit qu'elle «comprenait» les gens qui votent pour le PQ pour soi-disant «barrer la voie» au populiste Duhaime, un hurluberlu des milieux de droite et de certains médias qui sert à pousser toute la politique encore plus vers la droite. Elle a ajouté après l'élection qu'elle s’est «réjouie» de la défaite de Duhaime et a félicité le PQ pour sa victoire.
Mais une telle tactique pragmatique et opportuniste a échoué maintes fois, notamment aux États-Unis où des tendances de la pseudo-gauche comme les DSA (Democratic Socialist of America) ont prétendu qu’un vote pour le Parti démocrate, le parti qui a donné le feu vert au génocide contre le peuple palestinien, pourrait «barrer la voie» à Trump.
La faillite d’une telle politique s’est révélée tout de suite après l'élection partielle d’Arthabaska lorsque St-Pierre Plamondon a noté, dans un appel à la droite conservatrice, qu'il voulait faire siens les enjeux soulevés par Duhaime lors de la campagne électorale, notamment en ce qui a trait aux dépenses sociales «hors de contrôle».
Le chef péquiste a aussi accueilli chaleureusement les commentaires de Maxime Bernier, ex-ministre conservateur et politicien d’extrême-droite au niveau fédéral, le qualifiant d’«homme de principe» pour son soutien à un futur référendum sur l’indépendance du Québec.
En fait, c'est de plus en plus difficile de distinguer la CAQ du Parti québécois ou du Parti conservateur du Québec de Duhaime. Ils représentent différentes variétés de xénophobie et font tous des appels à l'extrême-droite, en blâmant les immigrants pour la crise sociale causée par le capitalisme.
Les travailleurs au Québec doivent prendre garde. La classe dirigeante profite de la suppression de la lutte de classe par les syndicats, aidés de QS, pour cultiver l'extrême-droite et faire revivre des partis capitalistes discrédités.
Pour s'y opposer, il faut construire un mouvement unifié de la classe ouvrière nord-américaine dans une lutte commune pour la défense des emplois, des services publics et des droits démocratiques. Une telle lutte doit être animée par une perspective socialiste, c’est-à-dire la réorganisation de l'économie mondiale sur la base des besoins humains.