Perspectives

Les travailleurs d’Air Canada défient l’ordre de retour au travail du gouvernement : un tournant dans la lutte des classes mondiale

Les agents de bord d'Air Canada en grève font du piquetage à l'aéroport international Pierre-Elliott Trudeau de Montréal. [Photo: WSWS]

Cet article a été rédigé en réponse à la courageuse prise de position des agents de bord d'Air Canada face au décret anti-grève du gouvernement libéral. Confirmant les avertissements du WSWS sur le rôle perfide de la bureaucratie syndicale nationaliste et procapitaliste, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) a conclu un accord de trahison avec Air Canada et le gouvernement, mettant fin à la grève. Le mardi 19 août au matin, la direction du SCFP a mis fin à la grève, sans fournir aux travailleurs aucun détail sur l’entente de principe conclue avec la direction, et encore moins leur permettre de voter sur le retour au travail ordonné par le syndicat. L'étouffement de cette puissante lutte ne fait que souligner l'analyse développée ci-dessous sur la nécessité pour les travailleurs de construire de nouvelles organisations de lutte de classe et de faire de l'internationalisme socialiste l'axe de leurs luttes.

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Dans une action courageuse défiant la volonté de la classe dirigeante canadienne d'abolir effectivement le droit de grève, 10 500 agents de bord d'Air Canada défient l'ordre de retour au travail du gouvernement libéral fédéral.

Leur défi au gouvernement et à « l'ordre public » bourgeois annonce une intensification de la lutte des classes à l'échelle mondiale. La lutte des puissances impérialistes, menée par les États-Unis, pour redécouper le monde économiquement et territorialement par le biais de guerres commerciales et de conflits militaires se fait sur le dos de la classe ouvrière, la poussant à la lutte de masse.

Moins de quatre mois après le retour au pouvoir des libéraux sous la houlette de leur nouveau chef, l'ancien banquier central Mark Carney, un mouvement militant de la classe ouvrière conteste le diktat du gouvernement et le plonge dans une crise politique.

Les agents de bord ont débrayé peu après minuit vendredi pour s'opposer au refus d'Air Canada de les rémunérer pour le travail effectué avant le départ et après l'atterrissage – soit en moyenne 35 heures de travail non rémunérées par mois – et pour lutter contre la baisse des salaires réels imposée depuis des années dans le cadre du contrat de dix ans que leur syndicat, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), a imposé en 2015.

Moins de 12 heures après le début de la grève, la ministre de l'Emploi, Patty Hajdu, a invoqué l'article 107, une disposition obscure du Code canadien du travail que le gouvernement a récemment « réinterprétée » pour s'arroger le pouvoir d'interdire unilatéralement les grèves, contournant ainsi le Parlement. Conformément à la réinterprétation concoctée par le gouvernement, Hajdu a ordonné au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) non élu de déclarer la grève illégale et d'imposer un arbitrage exécutoire.

D'abord sous Justin Trudeau, puis maintenant sous Carney, le gouvernement libéral a utilisé à plusieurs reprises l'article 107 au cours des douze derniers mois pour déclarer illégales les grèves des travailleurs. Parmi les précédentes cibles figuraient les cheminots, les débardeurs et 55 000 employés de Postes Canada. À chaque fois, les appareils syndicaux bureaucratiques, y compris le SCFP, ont collaboré avec le gouvernement pour faire respecter les interdictions de grève.

Si, cette fois-ci, les bureaucrates du SCFP se sont sentis obligés de sanctionner le non-respect de l'ordre de retour au travail du gouvernement, c'est parce qu'ils craignaient de perdre toute crédibilité et tout contrôle politique auprès d'une base militante et indignée. Les agents de bord d'Air Canada avaient voté à 99 % en faveur de la grève, avec un taux de participation de plus de 94 %.

Le CCRI a désormais officiellement déclaré que le défi lancé par les travailleurs à son ordre anti-grève en vertu de l'article 107 constituait une «grève illégale ». Cela ouvre la voie au gouvernement ou à Air Canada pour obtenir des injonctions judiciaires contre la grève, exposant ainsi les travailleurs individuels, les responsables syndicaux et le SCFP à de lourdes amendes. Les dirigeants syndicaux pourraient être condamnés à des peines d'emprisonnement.

La confrontation entre le gouvernement et les agents de bord d'Air Canada exprime le conflit irréconciliable entre l'élite capitaliste au pouvoir et la classe ouvrière, qui atteint son paroxysme au Canada et dans le monde entier.

Le défi lancé par les agents de bord a brisé le mythe de « l'unité nationale » promu par la classe dirigeante canadienne, ses représentants politiques et la bureaucratie syndicale en réponse à la guerre commerciale du président américain Donald Trump et à ses menaces d'annexion du Canada.

Tout au long de l'année 2025, la vie politique officielle a été dominée par une campagne nationaliste et patriotique, dans laquelle l'appareil syndical, le Nouveau Parti démocratique social-démocrate et la pseudo-gauche se sont tous ralliés derrière l’« Équipe Canada » de la classe dirigeante, exhortant « tous les Canadiens » à s'unir pour « sauver » le pays.

De hauts responsables syndicaux ont rejoint le Conseil du premier ministre sur les relations entre le Canada et les États-Unis, chargé d'élaborer la stratégie de la classe dirigeante canadienne en réponse au rejet par Trump du partenariat traditionnel entre les États-Unis et le Canada. Dans le même temps, l'ensemble de l'appareil syndical a été mobilisé pour défendre les droits de douane de rétorsion visant les travailleurs américains, chinois et autres.

Comme le montre l'attaque contre la grève d'Air Canada, derrière un discours nationaliste agressif, la classe dirigeante canadienne adopte des politiques à la Trump. Cela inclut des méthodes autoritaires pour renforcer la «compétitivité » économique et la position militaire et stratégique de l'impérialisme canadien et ainsi garantir, selon les termes de Carney, qu'il soit un prédateur et non une proie dans le redécoupage impérialiste du monde.

Le gouvernement Carney s'est engagé à augmenter les dépenses militaires de plusieurs centaines de milliards de dollars au cours de la prochaine décennie, a lancé une vaste campagne d'austérité, a introduit une législation qui élimine les droits des réfugiés et a courtisé Trump – flattant l’aspirant dictateur et lui offrant son soutien politique – dans l'espoir de conclure une nouvelle alliance économique et militaire avec Washington et Wall Street.

En contestant l'attaque de la classe dirigeante contre le droit de grève, les agents de bord d'Air Canada ont porté un dur coup au nom de l'ensemble de la classe ouvrière.

Mais pour que cette lutte militante devienne le catalyseur d'une véritable contre-offensive de la classe ouvrière, son rejet implicite d’« Équipe Canada » et de la subordination de la classe ouvrière aux impératifs stratégiques de l'impérialisme canadien doit être rendu explicite : par le développement d'un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière, basé sur une stratégie socialiste et internationaliste.

Les classes dirigeantes rivales attisent le nationalisme et le chauvinisme anti-immigrés afin de diviser les travailleurs dans leur pays et de les rallier à leurs guerres commerciales et à leurs conflits militaires. Mais les travailleurs sont plus unis que jamais par le processus mondial de production, sous l'égide des sociétés transnationales dont les activités s'étendent à l'ensemble de la planète. De plus, les travailleurs sont les principales victimes des luttes prédatrices des puissances capitalistes.

Un appel des travailleurs du Canada à une lutte commune avec leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis, au Mexique et ailleurs serait accueilli avec un immense soutien. Le travail non rémunéré est une question tout aussi brûlante pour les agents de bord aux États-Unis. Grâce aux nouvelles technologies, telles que la planification précise des horaires sur les réseaux ferroviaires nord-américains ou l’acheminement dynamique chez Postes Canada et les entreprises de livraison américaines, les travailleurs de tous les secteurs sont poussés à bout dans la poursuite du profit capitaliste.

Le principal obstacle à la conduite d'une telle lutte est la bureaucratie syndicale nationaliste et pro-capitaliste. Les dirigeants syndicaux redoublent d'efforts pour appeler le gouvernement Carney à une coopération étroite.

Dimanche, le Congrès du travail du Canada a publié une déclaration à l'issue d'une réunion d'urgence dans laquelle il suppliait Carney de lever l'interdiction de grève et de s'efforcer de parvenir à un « accord équitable » pour les travailleurs d'Air Canada dans le cadre du processus de négociation. Mais il ne peut être question d'un « accord équitable » pour les travailleurs dans le cadre de négociations impliquant un gouvernement qui mène une guerre de classe au nom des patrons. Ce que les bureaucrates demandent réellement à Carney, c'est de reconnaître leur rôle dans la mise en œuvre de nouvelles attaques sauvages contre les agents de bord et les autres travailleurs.

La déclaration comprenait l'affirmation nationaliste odieuse selon laquelle Carney – qui a passé toute sa vie adulte au service de l'oligarchie financière – avait été « élu pour lutter contre Trump, [...] pour protéger nos emplois et nos communautés ». C'est un mensonge, visant à monter les travailleurs les uns contre les autres dans une guerre commerciale nationaliste menée par les mêmes capitalistes et leurs porte-parole politiques qui s'attaquent aux emplois, aux salaires et aux conditions de travail.

Le rôle joué par l'appareil syndical canadien dans l'intensification de la propagande nationaliste à mesure que la lutte des classes s'intensifie est loin d'être unique. Aux États-Unis, l'United Auto Workers (UAW) et d'autres syndicats se sont rangés derrière les droits de douane réactionnaires « America First » de Trump. Le président de l'UAW, Shawn Fain, a revêtu des t-shirts arborant des bombardiers B-24 et le slogan « arsenal de la démocratie » : une référence directe à l'alliance des syndicats avec la classe dirigeante pour réprimer les grèves pendant la Seconde Guerre mondiale dans l'intérêt de l'impérialisme américain.

En Europe, l'appareil syndical est en première ligne de la vaste campagne de réarmement des puissances impérialistes, qui alimente l'assaut de l'élite dirigeante contre ce qui reste des droits démocratiques et sociaux des travailleurs à travers le continent.

La grève d'Air Canada montre que les travailleurs s'efforcent de faire valoir leurs intérêts de classe. Pour réussir, ils doivent abolir l'appareil syndical bureaucratisé et redonner le pouvoir à la base, où il doit être.

Le Comité international de la Quatrième Internationale et ses Partis de l'égalité socialiste ont lancé l'Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC) afin de fournir les moyens organisationnels et politiques nécessaires à cette lutte. Grâce au développement de comités de base, les travailleurs peuvent faire valoir leurs revendications en fonction de leurs besoins, et non des profits des entreprises ; contrer le sabotage mené par la bureaucratie syndicale ; et mobiliser leur immense pouvoir social dans des luttes coordonnées à travers les industries, les frontières et les continents.

Le développement de l'IWA-RFC est un élément crucial dans la lutte pour armer la montée en puissance de la classe ouvrière avec un programme socialiste et internationaliste, qui doit guider la lutte contre la guerre impérialiste, la dictature et la destruction des droits sociaux et démocratiques des travailleurs, et pour le pouvoir de la classe ouvrière.

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