Le rapport suivant a été présenté par David North, président national du Parti de l’égalité socialiste (États-Unis) et président du comité de rédaction international du World Socialist Web Site, pour introduire l’école d’été du SEP, tenue du 2 au 9 août 2025. Le WSWS publiera toutes les conférences données lors de cette école dans les semaines à venir.
1. Je suis très heureux d'accueillir les membres du Parti de l'Égalité Socialiste (SEP – Socialist Equality Party) aux États-Unis ainsi que les camarades des sections du Comité International de la Quatrième Internationale qui participent partout dans le monde à l'école d'été biennale du SEP. Au cours des sept prochains jours, nous consacrerons cette école à une étude approfondie de La sécurité et la Quatrième Internationale.
2. Le Comité International de la Quatrième Internationale (CIQI) a lancé il y a un demi-siècle son enquête sur l'assassinat de Léon Trotsky. La résolution qui a initié cette enquête, connue sous le nom de La sécurité et la Quatrième Internationale, a été adoptée au sixième congrès du Comité International, en mai 1975.
3. Les questions politiques qui ont précipité l'enquête émanaient de la décision du comité national de la Workers League (précurseur du SEP), le 31 août 1974, de démettre Tim Wohlforth de ses fonctions de secrétaire national après la découverte que sa compagne, Nancy Fields, avait un lien familial direct avec un haut responsable de la CIA. Wohlforth avait délibérément dissimulé ce fait à la direction du parti.
4. De plus, Wohlforth avait choisi Fields pour l'accompagner au cinquième congrès du CIQI en avril 1974. Elle circulait parmi les délégués, parmi lesquels il y avait des camarades travaillant dans des conditions d'illégalité, dans des pays – tels que le Pérou, l'Espagne, le Portugal et la Grèce – gouvernés par des dictatures policières. En subordonnant ses responsabilités politiques à ses affaires privées, Wohlforth a compromis la sécurité des délégués et celle de l’ensemble du congrès.
5. En plus de la révocation de Wohlforth de son poste de secrétaire national et de la suspension de Nancy Fields en tant que membre, la Workers League et le Comité International ont lancé une commission d'enquête sur les antécédents personnels de Nancy Fields (alias Nancy Cornreich, alias Nancy Freuden) afin de déterminer, sur la base des preuves disponibles, si elle entretenait, au-delà de ses liens familiaux, des rapports avec la CIA. Mais juste au moment où l'enquête commençait, Wohlforth et Fields ont déserté la Workers League. Dans sa lettre de démission, Wohlforth a dénoncé la commission d'enquête en cours comme une « inquisition ».
6. Quelques mois après sa démission, Wohlforth – reniant ses quatorze années de lutte contre la trahison du trotskysme par le Socialist Workers Party – a réintégré le SWP. Il a rédigé un long document publié en série dans le numéro de février-mars 1975 de Intercontinental Press, dont le rédacteur en chef était Joseph Hansen, principal architecte de la réunification du SWP avec le Secrétariat international pabliste en 1963 et du rejet des principes fondateurs de la Quatrième Internationale.
7. Wohlforth, ignorant les conséquences de son mépris pour la sécurité politique de son propre parti, a dénoncé l’intervention de Healy dans la crise politique de la Workers League comme «une forme de folie qui réorganise le monde selon l’individu. Il devient convaincu d’être entouré d’agents de la CIA et agit en conséquence.»
8. Suite à la diatribe de Wohlforth, Hansen publia dans l’édition du 31 mars 1975 de Intercontinental Press une dénonciation du dirigeant du Workers Revolutionary Party intitulée «Le secret de la dialectique de Healy». Il écrivait :
Wohlforth décrit l’attitude de Healy comme une « folie ». Ne serait-il pas préférable, et peut-être plus précis, d’utiliser un terme moderne comme « paranoïa » ?
Si ce terme convient, alors la véritable explication des obsessions de Healy concernant les agents de la CIA, les complots contre sa vie, ainsi que ses colères, ses « réactions extrêmes » et son étrange version de la dialectique, ne se trouve ni dans sa politique, ni dans sa méthodologie philosophique, ni dans des modèles comme Pablo ou Cannon, mais dans le fonctionnement d’un esprit que seuls des psychiatres peuvent comprendre.
9. Pour replacer la dénonciation par Hansen de la préoccupation de Healy pour la sécurité dans le contexte approprié, il faut rappeler qu’en 1973, des informations avaient révélé une infiltration massive du Socialist Workers Party par le FBI. La publication des documents infâmes du programme COINTELPRO avait révélé que le FBI avait engagé jusqu’à 1 300 indicateurs pour espionner l’organisation. Selon les révélations officielles, au moins 301 indicateurs avaient été infiltrés dans le parti. Les documents indiquaient que l’infiltration d’agents dans le SWP remontait à 1941.
10. Que Hansen tourne en dérision la préoccupation de Healy pour la sécurité en la qualifiant de « paranoïa » au moment même où était révélée publiquement l’infiltration massive du SWP par le FBI était, pour le moins, politiquement répréhensible et irresponsable. Cela affaiblissait même la plainte déposée en 1973 par le Socialist Workers Party et son organisation de jeunesse, la Young Socialist Alliance, contre le programme d’infiltration du gouvernement américain. Après tout, pourquoi faire tout un scandale de l’infiltration du FBI si la préoccupation pour la sécurité du parti était une manifestation de « paranoïa » ?
11. Il y avait un autre élément sinistre dans la dénonciation de Healy par Hansen. Dans les années 1960 et au début des années 1970, le régime stalinien en Union soviétique justifiait sa répression des dissidents politiques en affirmant qu’ils souffraient de troubles mentaux. Le KGB, successeur de la GPU et du NKVD, envoyait fréquemment les opposants politiques chez des psychiatres. Nikita Khrouchtchev, dans un discours public, avait explicitement lié la délinquance et l’opposition face au régime soviétique à la maladie mentale.
12. Cette calomnie préparait le terrain à l’utilisation de l’internement psychiatrique comme outil de répression politique. Parmi ceux qui ont été soumis à cette forme de répression figuraient le scientifique Zhores Medvedev, l’écrivain Yuli Daniel et les poètes Iossif Brodsky et Natalia Gorbanevskaïa. Les dissidents qui critiquaient le régime étaient souvent diagnostiqués comme souffrant de « délires paranoïaques de réformisme » voire d’un « développement paranoïaque de la personnalité ».
13. En dénonçant Healy comme souffrant de «paranoïa», Hansen recourait à des calomnies de style stalinien. Les origines de sa formation à de telles méthodes allaient finir par devenir évidentes.
14. Plus important encore que les causes immédiates de la décision de lancer « La sécurité et la Quatrième Internationale » était le contexte historique plus large. Dans sa réponse à l’article de Hansen intitulé « Le secret de la dialectique de Healy », publié en avril 1975, le Comité politique du Workers Revolutionary Party déclarait :
Notre insistance sur la formation à la sécurité est entièrement conforme aux traditions et principes du mouvement révolutionnaire tel que défendu par Marx, Engels, Lénine et Trotsky.
La sécurité n’est pas une question abstraite ou secondaire. Un parti qui n’est pas fondé sur une discipline révolutionnaire dans ses propres rangs ne peut pas obtenir le soutien de la classe ouvrière pour affronter la machine d’État capitaliste, la renverser et instaurer la dictature du prolétariat.
Il ne s’agit pas de présenter la sécurité de manière unilatérale. Elle doit être considérée comme une question politique centrale dans la formation d’un cadre révolutionnaire au sein de la classe ouvrière. Un parti révolutionnaire sérieux ne cède pas à la panique lorsqu’il traite des questions de sécurité dans ses rangs, car il ne peut organiser ses forces correctement pour repousser l’infiltration policière dans la panique.
Cela signifie une vigilance constante sur les questions de sécurité, avec la conscience qu’un parti révolutionnaire formé, profondément ancré dans la classe ouvrière, est le meilleur garant contre les conspirations contre-révolutionnaires de la CIA, du FBI, du MI5, du MI6, etc.
L’article de Hansen nous permet de rouvrir des pages essentielles de l’histoire du trotskysme. Nous sommes obligés de présenter cette histoire, avec toutes ses fautes, car notre mouvement a, par le passé, payé un prix terrible pour avoir ignoré et moqué la formation à la sécurité dans ses rangs. Ce sont ces pages que Hansen veut supprimer.
Trotsky a été assassiné par la GPU de Staline parce que les conditions objectives mettaient la Quatrième Internationale dans un grand isolement par rapport aux masses et, par conséquent, sa sécurité personnelle était continuellement menacée. Bien qu’il fût entouré des partisans politiques les plus dévoués de l’histoire, certains furent néanmoins négligents en matière de sécurité, ce qui permit à l’assassin de la GPU de frapper. …
Le Comité International de la Quatrième Internationale ne se laissera pas intimider par les cris et les hurlements des révisionnistes. Ils peuvent nous traiter de « sectaires » et de « paranoïaques » jusqu’à en perdre haleine. En utilisant ces étiquettes, ils attaquent en réalité le combat du CI pour les principes et son attention à la discipline et à la vigilance en matière de sécurité dans nos rangs. Nous ne construisons pas une boutique de pacotille pour aventuriers petits-bourgeois, ce qui est la marque des groupements internationaux de Hansen. Cette voie est une invitation ouverte à la CIA et à la pénétration policière, car c’est précisément parmi ces éléments que les agents opèrent avec tant d’aisance.
Hansen veut occulter la question de la sécurité; nous voulons l’élever au rang de priorité dans la formation et la construction de notre mouvement. C’est pourquoi nous jugeons nécessaire de rouvrir les pages de l’histoire du trotskysme pour expliquer les raisons qui ont conduit à la mesure prise contre Wohlforth et pourquoi des mesures similaires seront prises à nouveau à l’avenir si la nécessité s’en fait sentir.
15. Lorsque le Comité International a tenu son sixième congrès en mai 1975 et a voté à l’unanimité pour adopter la résolution proposée par Gerry Healy visant à lancer l’enquête « La sécurité et la Quatrième Internationale », cela faisait presque exactement 35 ans que l’assassinat avait eu lieu. L’assassinat de Léon Trotsky était, en termes relatifs, aussi récent que l’année 1990 l’est pour nous aujourd’hui. De nombreuses personnes qui avaient été actives dans la Quatrième Internationale et le SWP au moment de la mort de Trotsky étaient encore en vie. Beaucoup d’entre elles n’étaient pas particulièrement âgées.
- Jean Van Heijenoort, qui avait été le secrétaire de Trotsky de 1932 à 1939, avait 63 ans lorsque je l’ai interviewé en septembre 1975.
- Harold Robins, qui avait servi à Coyoacan en 1939-1940 comme capitaine de la garde de Trotsky, avait 67 ans lorsqu’il fut contacté par la Workers League à l’été 1975.
- Felix Morrow, membre influent du comité politique du SWP en 1939-1940, avait 71 ans lorsque je l’ai rencontré en 1976.
16. Beaucoup des principaux acteurs de la conspiration contre Trotsky étaient également encore dans leur soixantaine.
- Ramón Mercader, l’assassin de Trotsky, avait 61 ans et vivait en URSS lorsque l’enquête a commencé.
- Mark Zborowski, le plus important des agents du GPU opérant au sein de la Quatrième Internationale, avait 67 ans lorsqu’il fut photographié avec sa femme devant leur immeuble à San Francisco en août 1975.
- Joseph Hansen avait 65 ans.
- Sylvia Callen, agente de la GPU devenue secrétaire personnelle du dirigeant du SWP James P. Cannon, avait 63 ans.
- Sylvia Ageloff, qui avait présenté Jacson à Trotsky, avait 65 ans.
17. Je mentionne ces individus et leur âge en 1975 pour souligner qu’au moment où l’enquête a commencé, l’assassinat n’était pas une « vieille histoire ». En termes historiques, l’assassinat de Trotsky, sans être un événement récent, relevait encore de la mémoire politique de nombreuses personnes vivantes. Et pourtant, à cette époque, des membres du SWP et des défenseurs de Joseph Hansen s’étonnaient que le CIQI soit si préoccupé par, voire simplement intéressé par l’assassinat de Léon Trotsky, survenu « il y a si longtemps ». Pourquoi « parlions-nous encore» de cet assassinat ?
18. Encore une fois, pour donner une idée de l’échelle temporelle, la scission de 1985-1986 et la mort de Gerry Healy en 1989 sont aujourd’hui des événements plus éloignés que ne l’était l’assassinat de Trotsky en 1940 par rapport au lancement de « La sécurité et la Quatrième Internationale » en 1975. Et si je peux évoquer l’assassinat du président John F. Kennedy en novembre 1963, il y a presque 62 ans, les circonstances de sa mort restent l’objet de controverses intenses. Ce n’est que ces derniers mois qu’un nouveau lot de documents liés à l’enquête du FBI sur l’assassinat de Kennedy a été rendu public. Ces documents, loin de clore toutes les questions sur la mort du président, ont soulevé de nouvelles questions sur la conspiration qui a mis fin à la vie de John F. Kennedy.
19. Avant le lancement de « La sécurité et la Quatrième Internationale », aucune enquête systématique sur l’assassinat de Léon Trotsky n’avait été menée par le mouvement qu’il avait fondé. C’était d’autant plus inexplicable que Trotsky était une figure d’importance « mondiale et historique », le co-dirigeant de la révolution socialiste d’Octobre 1917 qui influença profondément tout le cours du XXe siècle. De plus, l’impact de son assassinat sur la Quatrième Internationale – et donc sur le développement de la lutte des classes internationale et le destin de l’humanité – était incalculable. On pourrait dire de la mort de Trotsky ce qu’Engels déclara aux funérailles de Marx: sa disparition a laissé l’humanité plus courte d’une tête, et de sa plus grande tête encore.
20. Au sein de la Quatrième Internationale, la présentation historique de l’assassinat de Trotsky n’avait pratiquement pas changé depuis le 21 août 1940. Et celle-ci disait: Trotsky avait été tué par un seul agent de la GPU, Ramón Mercader, alias Frank Jacson, qui s’était introduit dans la villa de Trotsky à Coyoacán en exploitant la naïveté de la bien intentionnée Sylvia Ageloff. Il n’était absolument pas question d’une conspiration plus vaste impliquant des agents de la GPU opérant au sein de la Quatrième Internationale et du SWP. Les preuves indiquant que Robert Sheldon Harte, le garde qui avait ouvert les portes de la villa de Coyoacán le 24 mai 1940 – date de la première tentative d’assassinat contre Trotsky – à l’escouade de tueurs dirigée par David Siqueiros, était lui-même un agent du GPU, furent écartées.
21. Dans la mesure où une enquête sur l’assassinat de Trotsky avait eu lieu, elle n’avait pas été menée par la Quatrième Internationale, mais bien plutôt par le gouvernement des États-Unis dans le cadre de ses investigations et poursuites contre les agents de l’espionnage soviétique après la Seconde Guerre mondiale. Ces enquêtes étatiques ont mis au jour le réseau d’agents de la GPU qui avait organisé l’assassinat de Trotsky ainsi que le meurtre de dirigeants trotskystes en Europe en 1937-1938, dont Erwin Wolf, Ignace Reiss, Lev Sedov et Rudolf Klement.
22. La révélation des activités des frères Sobolevicius – Jack Soble et Robert Soblen – de Mark Zborowski, Floyd Cleveland Miller, Thomas Black et Sylvia Callen fut le fait du gouvernement américain. Les inculpations, arrestations, procès et témoignages des membres du réseau d’agents anti-trotskystes de la GPU firent la une des journaux à travers les États-Unis. Mais la révélation au grand jour de ces agents et les informations cruciales révélées sur l’infiltration de la Quatrième Internationale furent ignorées par le Socialist Workers Party, bien que nombre des accusés aient été jugés à New York, à quelques kilomètres du siège du SWP.
23. Je ne vais pas anticiper sur les conférences que les camarades présenteront cette semaine. Toutefois, il est indéniable que La sécurité et la Quatrième Internationale a transformé la vision historique de l’assassinat de Trotsky. Tous les récits sérieux sur la conspiration stalinienne contre la Quatrième Internationale et l’assassinat de Léon Trotsky prennent pour point de départ l’enquête et les conclusions de La sécurité et la Quatrième Internationale, ainsi que leur confirmation irréfutable lors du procès intenté contre le SWP et le gouvernement américain par Alan Gelfand en 1979, avec le soutien de la Workers League et du Comité International.
24. À ce stade, seuls la racaille du stalinisme, les organisations radicales petites-bourgeoises liées aux pablistes, et le milieu universitaire intellectuellement corrompu de la pseudo-gauche continuent d’ignorer, de dénigrer et de nier les preuves accablantes montrant que l’infiltration du SWP par des agents de la GPU a joué un rôle déterminant dans l’assassinat de Trotsky. Le rôle de Sylvia Callen (alias Sylvia Franklin, Sylvia Caldwell, Sylvia Doxsee), secrétaire personnelle de James P. Cannon, en tant qu’espionne de la GPU, a été définitivement démontré. Il en va de même pour Robert Sheldon Harte.
25. Par-dessus tout, le rôle de Joseph Hansen en tant qu’agent de la GPU et, après l’assassinat de Trotsky, comme informateur du FBI, a été démontré de manière concluante. Cela n’est contesté que par ceux qui estiment qu’il est acceptable pour un membre d’une organisation socialiste révolutionnaire de tenir des réunions secrètes avec la GPU et la police politique d’un État capitaliste ; que la demande formulée par Hansen en septembre 1940 pour obtenir le nom d’un agent du FBI à New York «à qui des informations confidentielles pourraient être transmises en toute impunité» ne signifie pas exactement ce que les mots impliquent clairement; et que les esquives et les mensonges flagrants de Hansen concernant ses relations avec la GPU et le FBI ne constituent pas une preuve de culpabilité.
26. L'importance de La Sécurité et Quatrième Internationale va bien au-delà de ce que des individus spécifiques aient été démasqués. Ce travail n’a jamais été un simple travail de détective politique. Dès ses débuts, le Comité International a inscrit La sécurité et la Quatrième Internationale dans un cadre historique et international plus vaste.
27. Dans sa résolution de perspective de 1978 (modifiée en juin 1979), la Workers League, prédécesseur du Parti de l’Égalité Socialiste, déclarait :
La lutte pour former un cadre révolutionnaire sur la base de la continuité historique du trotskysme a atteint une force et une portée sans précédent grâce à l’enquête menée par le Comité International – commencée au printemps 1975 lors du sixième congrès mondial – sur les circonstances entourant l’assassinat de Trotsky en 1940.
La sécurité et la Quatrième Internationale représente rien de moins que la reconquête par la Quatrième Internationale et le Comité International de toute la continuité historique du bolchévisme, arrachée ainsi à l’emprise maléfique de la contre-révolution et de la falsification staliniennes. Tous les mensonges, les déformations et les crimes commis par le stalinisme contre le trotskysme – l’incarnation politique de la lutte pour l’Octobre mondial – toutes les monstruosités perpétrées pour embrouiller et désorienter des générations de travailleurs sur la véritable histoire de la révolution d’Octobre et le rôle de Trotsky – ont reçu un coup dont le stalinisme et toutes les agences de la contre-révolution impérialiste ne se relèveront jamais.
Par son enquête, dévoilant sans relâche les assassinats, provocations et sabotages perpétrés par un vaste appareil d’agents staliniens et impérialistes infiltrés dans le mouvement trotskyste, le Comité International a fait la lumière sur toute l’histoire de la Quatrième Internationale.
28. Pendant des décennies, le pouvoir de la bureaucratie stalinienne fut implacablement utilisé en Union soviétique et à l’international pour étouffer la révélation de ses crimes. Cependant, la mort de Staline en 1953 coïncida avec la crise du régime bureaucratique et l’accéléra. La dénonciation des crimes de Staline dans le « discours secret » de Nikita Khrouchtchev, prononcé en février 1956, fut suivie un peu plus de six mois plus tard par le soulèvement des travailleurs hongrois contre le régime stalinien à Budapest. Une décennie plus tard, les régimes staliniens furent ébranlés par des mouvements de masse en Tchécoslovaquie et en Pologne.
29. Ces développements objectifs, combinés à la faillite du programme d’autarcie économique nationale de la bureaucratie, ont profondément modifié la relation entre le stalinisme et le trotskysme. Avec le lancement de l’enquête sur La sécurité et la Quatrième Internationale, le mouvement trotskyste est passé à l’offensive contre les bureaucraties contre-révolutionnaires.
30. Mais il faut reconnaître que cette lutte fut engagée à une époque où les bureaucraties staliniennes, bien qu’en crise, conservaient encore un pouvoir et un prestige politique considérables. De plus, depuis 1953, les tendances pablistes avaient agi comme alliées politiques des partis staliniens, faisant tout leur possible pour entretenir l’illusion d’une auto-réforme et même d’un potentiel révolutionnaire de la bureaucratie.
31. Le lancement de l’enquête La sécurité et la Quatrième Internationale – qui mettait en lumière le rôle meurtrier et contre-révolutionnaire du stalinisme – allait à l’encontre de l’orientation des pablistes vers les bureaucraties. De plus, en soulevant la question de l’infiltration de la Quatrième Internationale par des agents de la police – qu’ils soient issus des États staliniens ou impérialistes – le Comité International menaçait sérieusement des intérêts étatiques fondamentaux.
32. Dans sa réponse initiale à la dénonciation virulente lancée par Hansen contre la défense par le Comité International de sa propre sécurité politique, le Workers Revolutionary Party a attiré l’attention sur les antécédents d’infiltration à haut niveau des organisations pablistes par l’État capitaliste. L’enquête de La sécurité et la Quatrième Internationale a également rassemblé des preuves impliquant Hansen et le Socialist Workers Party dans une conspiration continue contre le mouvement trotskyste.
33. Le développement de La sécurité et la Quatrième Internationale fut reconnu comme une menace sérieuse par l’impérialisme et ses agences politiques. Ils réagirent par la publication en septembre 1976 dans Intercontinental Press du tristement célèbre « Verdict », qui dénonçait les conclusions sur le camouflage systématique de la GPU par Hansen comme une « machination éhontée ». Les principaux représentants de pratiquement toutes les organisations pablistes du monde ont apposé leur signature à ce document. Comme cela fut établi plus tard au procès Gelfand, aucun des signataires n’avait vraiment lu les documents qu’ils attaquaient.
34. La publication du « Verdict » fut suivie, le 14 janvier 1977, d’un rassemblement à Londres convoqué par les dirigeants des groupes pablistes internationaux pour dénoncer Healy et « La sécurité et la Quatrième Internationale ». Réunis sur ce que le Comité International a décrit de manière mémorable et appropriée comme la « Plateforme de la honte » figuraient, entre autres, Ernest Mandel, Tim Wohlforth, George Novack (qui avait été mis en cause par le CIQI comme complice de Hansen au sein de la GPU) et Pierre Lambert. La réunion était présidée par le radical petit-bourgeois totalement dépourvu de principes, Tariq Ali (qui finit par renier toute association avec le trotskysme).
35. Devant une audience d’environ 1 500 pablistes, Gerry Healy – accompagné de tout au plus cinq membres du Workers Revolutionary Party – écouta patiemment pendant que Mandel, Wohlforth, Novack et Lambert lançaient des insultes virulentes à son encontre. Lorsque les orateurs furent tous à bout de paroles, Healy se leva et indiqua en levant la main qu’il voulait parler. Malgré les protestations de nombreux membres du public attachés aux procédures démocratiques ou, à tout le moins, au traditionnel «fair play» britannique, Tariq Ali refusa de lui donner la parole. Plus de deux heures avaient été consacrées aux attaques contre Healy. Mais pas une minute ne fut accordée pour qu’il puisse réaffirmer publiquement l’appel du Comité International à une commission d’enquête internationale sur les preuves révélées par l’investigation de La sécurité et la Quatrième Internationale. La réunion s'est terminée dans le chaos.
36. Il vaut la peine de citer les mémoires de Wohlforth, dans lesquelles il décrit sa propre réaction à la présence de Healy:
Bien que j’aie sûrement paru calme en apparence, au fond de moi, j’étais envahi par une peur presque incontrôlable. C’était stupéfiant de voir comment cet homme, accompagné d’une dizaine de partisans et entouré par un millier de personnes favorables à ce que j’allais dire, pouvait tout de même susciter une telle réaction en moi. Quoi qu’on dise d’autre sur Healy, personne, après cette nuit-là, ne devrait remettre en question son courage ou son sens du drame.
37. À ce stade de l’enquête, le Comité International n’avait pas encore retrouvé Sylvia Caldwell-Callen, identifiée pour la première fois comme agent de la GPU par Louis Budenz en 1947 et, plus tard, en 1960, désignée comme co-conspiratrice non inculpée dans le procès de l’agent de la GPU Robert Soblen, l’un des deux frères Sobolevicius. Ce n’est qu’en mai 1977 que Caldwell – nom de jeune fille Callen, précédemment mariée à Zalmond Franklin – fut localisée et interrogée à Wheaton, dans l’Illinois. À cette époque, elle avait divorcé de Franklin, s’était remariée et portait le nom de Sylvia Doxsee.
38. En outre, ce n'est qu'en juillet 1977 que le Comité international a obtenu, sur la base d'une demande de liberté d'information, une nouvelle série de documents déclassifiés qui ont révélé la bien plus grande ampleur des contacts de Hansen avec le FBI au lendemain de l'assassinat de Trotsky, notamment les lettres faisant référence à la demande susmentionnée de Hansen pour un «contact confidentiel» auquel des informations «pourraient être communiquées en toute impunité».
39. C’est sur la base des documents et éléments factuels obtenus au printemps et à l’été 1977 que le Comité International conclut qu’il existait suffisamment de preuves pour accuser publiquement Hansen d’avoir opéré au sein du SWP en tant qu’agent de la GPU et indicateur du FBI. Dans une déclaration datée du 29 juillet 1977, le CIQI affirmait :
Le Comité International a depuis longtemps prouvé que Joseph Hansen, du fait de sa dissimulation d’agents staliniens comme Sylvia Franklin, Floyd Cleveland Miller et Mark Zborowski, était un complice de la GPU.
Le Comité International apporte à présent la preuve qu’il a établi un contact secret avec le FBI et transmis des documents internes du SWP aux agents de celui-ci.
Le Comité International démontre devant le mouvement trotskyste mondial et devant un public international de travailleurs, d’intellectuels et de jeunes que Joseph Hansen n’est pas et n’a jamais été trotskyste.
40. En réaction à l’interview de Sylvia Doxsee, qui mêlait des affirmations d’amnésie concernant ses années au SWP à des expressions de mépris envers James P. Cannon, Hansen poursuivit sa politique de mensonges, d’inventions et d’esquives. Il avertit également que le Comité International « refusait de reconnaître les conséquences mortelles auxquelles le WRP était désormais confronté », et ajouta avec malveillance que « les healyistes étaient tout à fait capables de déclencher des violences contre d’autres secteurs du mouvement ouvrier… »
41. Mais la seule violence qui eut lieu fut dirigée contre la Workers League. Le 16 octobre 1977, Tom Henehan, membre du comité politique de la Workers League, fut assassiné alors qu’il supervisait une soirée dansante des Jeunes socialistes. Aucune organisation pabliste dans le monde ne dénonça ce meurtre politique.
42. Hansen est décédé subitement le 18 janvier 1979, une semaine exactement après avoir assisté à la réunion du comité politique du SWP qui a expulsé Alan Gelfand pour avoir déposé un mémoire Amicus Curiae (« Ami de la cour ») en soutien à la plainte du Socialist Workers Party concernant l’infiltration d’agents pendant le programme COINTELPRO. Le mémoire de Gelfand soutenait que le tribunal devait contraindre le ministre de la Justice des États-Unis à identifier les indicateurs du gouvernement au sein du SWP. Le mémoire de Gelfand déclarait:
Ces informateurs ne sont certainement pas dans le SWP pour aider à construire ce parti. Leur objectif ultime est de le détruire. La multitude des « sales coups », cambriolages et vols commis par ces informateurs est bien documentée, tant dans cette affaire que dans d’autres cas récents. De telles activités confirment de manière accablante le rôle sinistre joué par les informateurs.
43. Le mémoire de Gelfand fut perçu par la direction du SWP comme une menace sérieuse. Alors que ses propres avocats menaient la procédure de manière passive, sans aucune intention de forcer une révélation des agents infiltrés, Gelfand, lui, était absolument déterminé à contraindre le gouvernement à identifier et à retirer ses agents du SWP – ce qui risquait de démasquer des membres de la direction du parti. Le comité politique du SWP décida qu’il ne pouvait plus retarder l’expulsion de Gelfand. La motion d’expulsion fut présentée au comité par le secrétaire national du SWP, Jack Barnes.
44. Exactement six mois plus tard, le 18 juillet 1979, Alan Gelfand déposa une plainte devant un tribunal fédéral de district de Los Angeles, affirmant que son expulsion avait été orchestrée par des agents du gouvernement américain opérant au sein de la direction du Socialist Workers Party. Le développement du procès Gelfand sera abordé en détail dans les conférences à venir.
45. Mais deux points doivent être soulignés. Premièrement, dans leurs efforts pour discréditer Gelfand, les dirigeants du SWP ont constamment affirmé que le but de la plainte était de permettre au gouvernement de décider qui pouvait être membre du SWP. En réalité, l’objectif clairement énoncé de la plainte était d’interdire au gouvernement d’infiltrer la direction du SWP, puis d’utiliser son contrôle sur l’appareil du parti pour expulser toute personne tentant de les démasquer.
46. Les principes démocratiques affirmés par le procès intenté par Gelfand ont été explicitement reconnus par la juge du tribunal de district Mariana Pfaelzer lorsqu’elle a rejeté la requête du SWP visant à faire annuler l’affaire. Elle a écrit: «Il est clair que la manipulation et la prise de contrôle du parti politique du plaignant par le gouvernement constituent une atteinte grave aux droits d’association de ses adhérents et ne peuvent être considérées comme conformes à la Constitution.»
47. Deuxièmement, il n’y aurait eu aucune raison pour les dirigeants du SWP, s’ils avaient été ce qu’ils prétendaient être – c’est-à-dire de véritables socialistes – de s’opposer à la plainte de Gelfand. Ils auraient accueilli favorablement l’occasion de réfuter publiquement les accusations de Gelfand concernant une prise de contrôle du SWP par le gouvernement. Mais Barnes et ses associés savaient parfaitement que la plainte reposait sur des faits irréfutables et que sa poursuite mènerait à la confirmation non seulement des allégations de Gelfand, mais aussi de l’ensemble de l’enquête de La sécurité et la Quatrième Internationale.
48. Alors que ce procès commençait à se développer, le Comité International découvrit que pratiquement toute la direction centrale du Socialist Workers Party était issue de Carleton College, une petite institution conservatrice située à Northfield, dans le Minnesota. Toutes ces recrues, à commencer par le secrétaire national du SWP Jack Barnes, furent – pour reprendre les mots du président de cette université Richard Gilman dans une interview menée en 1979 – «plantés dans» le SWP via le Comité Fair Play pour Cuba, largement infiltré par la CIA.
49. Je ne vais pas tenter ici de résumer le déroulement du procès Gelfand, qui s’est étendu sur près de quatre ans. Cela fera l’objet de plusieurs conférences plus tard cette semaine. Cependant, je dois souligner que l’issue de cette affaire a permis de confirmer totalement, par des dépositions sous serment et des documents légalement vérifiés, les preuves révélées et les accusations formulées par le Comité International. En réalité, les informations supplémentaires cruciales obtenues par Alan Gelfand et son avocat principal John Burton ont démasqué de manière définitive les mensonges racontés par Hansen, Novack et la direction du SWP concernant les contacts de Hansen avec le FBI et la GPU. L'importance politique et le caractère héroïque de la lutte menée par Alan vivront à jamais dans l'histoire du mouvement trotskyste.
50. En préparant cette école, même ceux qui avaient participé personnellement à l’enquête ne pouvaient s’empêcher d’être quelque peu stupéfaits de l’ampleur monumentale de La sécurité et la Quatrième Internationale, dont l’affaire Gelfand constitue une partie intégrante. Cette enquête a été menée malgré l’opposition acharnée, les menaces et même la violence.
51. Il ne fait aucun doute que l’impulsion politique initiale pour le lancement de l’enquête est venue de Gerry Healy. Ayant rompu avec le mouvement stalinien dans les années 1930, au moment des procès de Moscou et de la campagne de terreur menée par la GPU contre le mouvement trotskyste, Healy était en mesure de saisir les implications sinistres de l’attitude méprisante de Hansen envers la sécurité dans la Quatrième Internationale.
52. Lorsque Hansen lui lança l’accusation de « paranoïa », Healy ne la considéra pas comme une simple insulte personnelle. Au contraire, le rejet cynique par Hansen du danger que représentait l’infiltration d’agents dans la Quatrième Internationale amena immédiatement Healy à se rappeler les exemples de Mark Zborowski et Ramón Mercader. Et il se demanda comment Hansen, qui avait été témoin de l’assassinat de Trotsky à Coyoacán, pouvait rejeter la nécessité de la vigilance dans le mouvement révolutionnaire.
53. Gerry Healy était assurément un « homme dur ». Mais il appartenait à une génération qui avait été politiquement formée au cœur des événements brutaux et des tragédies des années 1930. L’ouvrage qui avait conduit à sa rupture d’avec le stalinisme était le pamphlet de Max Shachtman, Derrière le procès de Moscou. Healy n’avait jamais oublié l’avertissement lancé par Trotsky dans sa « Lettre ouverte aux organisations ouvrières » du 2 novembre 1937:
Jamais encore le mouvement ouvrier n’a connu dans ses propres rangs un ennemi aussi vil, aussi dangereux, aussi puissant et aussi perfide que la clique stalinienne et son agence internationale. La négligence dans la lutte contre cet ennemi équivaudrait à la trahison. L’indignation pathétique peut suffire aux bavards et aux dilettantes, mais pas aux révolutionnaires sérieux. Il faut un plan et il faut une organisation. Il faut créer des commissions spéciales afin de suivre les manœuvres, les intrigues et les crimes staliniens, afin d’avertir les organisations ouvrières contre le danger et d’élaborer les meilleures méthodes pour s’opposer et pour résister aux gangsters de Moscou.
54. L’évocation par Healy de l’expérience historique du mouvement trotskyste était exprimée dans la réponse du WRP à « Le secret de la dialectique de Healy » de Hansen, dans la résolution lançant La sécurité et la Quatrième Internationale, ainsi que dans la rédaction de Comment la GPU a assassiné Trotsky.
55. L’intervention de Healy suscita une réaction puissante au sein du jeune cadre de la Workers League. Comment l’expliquer? D’abord, ce cadre avait été gagné à la perspective et au programme du trotskysme à travers la lutte menée par le Comité international contre le pablisme. La lettre ouverte rédigée par Cannon en 1953, ainsi que les documents critiques produits par la Socialist Labour League entre 1961 et 1963, en opposition à la trahison du trotskysme par le SWP, avaient façonné les conceptions politiques du cadre du parti.
56. L’accent mis par le Comité international sur la continuité du mouvement trotskyste a inculqué au cadre de la Workers League une attitude sérieuse envers les questions historiques. Le sentiment d’un lien politique profond entre les tâches actuelles et l’expérience antérieure de la Quatrième Internationale, et au-delà, de la Révolution d’Octobre, les quatre premiers congrès de l’Internationale communiste, ainsi que les questions ayant conduit à la fondation de l’Opposition de gauche et à ses luttes ultérieures, était présent dans la conscience politique du cadre de la Workers League.
57. Cela, je crois, explique la détermination et même la férocité avec laquelle la Workers League a mené l’enquête sur La sécurité et la Quatrième Internationale, alors même que le Workers Revolutionary Party se retirait progressivement de cette lutte.
58. La préoccupation pour l’expérience historique, les principes politiques et les fondements programmatiques de la Quatrième Internationale, qui formaient la base de l’éducation du cadre du Comité international, était à l’exact opposé du pragmatisme grossier, de l’opportunisme et de l’atmosphère de cynisme qui régnaient au sein du Socialist Workers Party et du Secrétariat unifié pablistes (en particulier dans les sections placées directement sous l’influence de Hansen, comme l’International Marxist Group en Grande-Bretagne et la Socialist Workers League en Australie).
59. Les dirigeants de ces organisations ne pouvaient être influencés par les preuves révélées par le Comité international, aussi accablantes soient-elles. Comme l’indiquait la déclaration du CIQI du 29 juillet 1977: « Ils sont consumés par une telle haine politique envers le Comité international qu’ils feraient avec Hansen l’aller-retour en enfer. » Il n’y avait rien d’autre à attendre de la part d’opportunistes invétérés et de chercheurs de publicité comme Tariq Ali, sans parler des nombreux agents infiltrés par la police, opérant confortablement dans les groupes pablistes.
60. Mais ce n’était pas seulement la corruption politique qui maintenait Hansen à la direction du SWP. Les éléments de la classe moyenne qui formaient la majorité de ses membres soutenaient Hansen non par conviction, mais parce qu’ils n’étaient pas intéressés par les expériences historiques et les questions politiques soulevées par La sécurité et la Quatrième Internationale et y étaient indifférents
61. Préoccupés par les problèmes à court terme de la politique de protestation et concentrés par conséquent sur l’application de pressions visant à réformer l’État capitaliste plutôt qu’à le renverser, les membres pablistes ne voyaient aucune raison de s’inquiéter particulièrement de l’infiltration étatique de leur organisation. Les réponses courantes des membres de base du SWP, lorsqu’ils rejetaient les déclarations des militants de la Workers League révélant les liens de Hansen avec la GPU et le FBI, étaient: « Et alors? » et « On s’en fiche! » Une autre formule devenue une sorte de devise politique parmi les membres du SWP était: « Les agents font du bon travail ».
62. Cette dernière sagesse politique provenait de la déformation, promue par Hansen, des leçons tirées par les bolcheviks de la révélation que Roman Malinovsky, un membre dirigeant du parti, était un agent de l’Okhrana, la police secrète tsariste.
63. L’impact de cet agent sur le travail du parti fut dévastateur. Les informations qu’il fournit à l’Okhrana conduisirent à d’innombrables arrestations et morts. Dans leur examen du cas de Malinovsky, les bolcheviks ont plus tard noté que cet agent, qui était un porte-parole important du parti au parlement russe avant la révolution, fut contraint de prononcer des discours qui faisaient connaître les positions des bolcheviks. Afin d’accomplir ses tâches insidieuses en tant qu’informateur, Malinovsky exerça involontairement certaines fonctions politiques qui firent progresser les intérêts du parti.
64. Mais cette déclaration ne visait pas à approuver le rôle joué par les agents infiltrés dans le mouvement révolutionnaire sous le prétexte fallacieux qu’ils pouvaient faire du « bon travail. » Après tout, une fois au pouvoir, le régime bolchevik a instauré la Tchéka pour combattre les activités des espions contre-révolutionnaires. Les espions n’étaient pas récompensés pour leurs contributions involontaires à la cause révolutionnaire. Comme Harold Robins le commenta sèchement à propos du sort de Malinovsky: « Quand les bolcheviks l’ont attrapé, ils l’ont fusillé ».
65. La déformation du cas de Malinovsky par Hansen visait à semer la complaisance politique parmi les membres du SWP, à promouvoir l’idée que les agents font à la fois du bon et du mauvais travail, et que le premier, le bon travail, pourrait s’avérer plus important que le second. Les véritables révolutionnaires n’adoptent pas une attitude d’équilibre, de fifty-fifty, envers les agents et leurs activités. Dans ses mémoires, Victor Serge décrivait l’agent de la police comme un « provocateur », qui n’était « pas seulement un indicateur; [mais] un séducteur, un stratège de la ruine ».
66. Il y avait encore un autre argument avancé par la direction du SWP, qui fut accepté par ses membres de base ignorants et complaisants. Dans sa lettre du 7 avril 1978 à Alan Gelfand, le dirigeant du SWP Larry Seigle écrivait: « Le Parti ne peut pas et ne permettra pas la chasse aux agents dans ses rangs. » L’utilisation de ce terme chargé – « chasse aux agents », comme s’il était comparable à la « chasse aux rouges » ou à la « chasse aux juifs » – visait à interdire toute remise en question de la légitimité politique de n’importe quel membre du parti, indépendamment des preuves d’associations avec la police ou les services de renseignement. L’application pratique de cette règle garantissait aux agents de la police une protection absolue contre toute révélation.
67. Au cours d’un demi-siècle, l’attitude adoptée envers la sécurité et la Quatrième Internationale par les tendances, leurs dirigeants et leurs membres s’est révélée être une indication très précise, voire infaillible, de leur orientation politique. Invariablement, la dénonciation de La sécurité et de la Quatrième Internationale était étroitement liée au rejet du trotskysme.
68. Pendant une décennie entière, Cliff Slaughter et Michael Banda, dirigeants du WRP, furent des partisans ardents de La sécurité et la Quatrième Internationale. Ils rédigèrent de nombreux articles condamnant ceux qui attaquaient et diffamaient l’enquête. Mais au cours de la crise qui éclata au sein du WRP durant l’été et l’automne 1985, alors qu’ils préparaient leur rupture d’avec le Comité International, Slaughter et Banda – oubliant tout ce qu’ils avaient écrit auparavant – publièrent des dénonciations acerbes de La sécurité et la Quatrième Internationale. Banda, reprenant les mots de Hansen, décrivit l’enquête comme « une chasse aux sorcières maniaque, une diversion médico-légale désespérée, pour être précis, destinée à satisfaire la schizophrénie paranoïaque de Healy ainsi que son empirisme anti-théorique». Quelques semaines après avoir rédigé ce réquisitoire hystérique, Banda alla jusqu’à renier Trotsky et déclarer son admiration sans réserve pour Joseph Staline.
69. Slaughter approuva la dénonciation de la Sécurité et de la Quatrième Internationale faite par Banda, et l’accompagna de l’affirmation que ce travail avait servi de substitut à la lutte théorique contre le stalinisme et le pablisme. L’absurdité de cette affirmation, qui contenait une part d’ironie, réside dans le fait qu’elle fut formulée alors que Banda et Slaughter rejetaient consciemment le trotskysme. Tandis que Banda dégénérait en défenseur du stalinisme et apologiste du sionisme, Slaughter entamait sa longue dérive vers la droite politique, qui le conduisit au rejet du concept léniniste du parti et à l’adoption d’une forme d’humanisme anarchiste petit-bourgeois.
70. En réponse à l’affirmation que La sécurité et la Quatrième Internationale aurait marqué un éloignement de la lutte contre le pablisme et du développement du marxisme, l’histoire du Comité International entre 1975 et 1985 démontre exactement le contraire. L’implication intense de la Workers League dans La sécurité et la Quatrième Internationale était indissociable de sa défense, contre le WRP, du programme du trotskysme et des fondements philosophiques du marxisme.
71. En réalité, les principaux documents de la Workers League s’opposant à la dérive opportuniste du WRP et à la déformation de la méthode dialectique par Healy ont été rédigés pendant la phase la plus intense de l’affaire Gelfand, c’est-à-dire au moment où les préparatifs du procès étaient en cours.
72. La sécurité et la Quatrième Internationale constitue un chapitre majeur dans l’histoire du mouvement trotskyste. Non seulement ses conclusions ont résisté à l’épreuve du temps – tout un demi-siècle – mais son travail se poursuit. L’analyse rédigée par le camarade Eric London sur les interactions de Hansen avec le FBI, à la lumière des poursuites de 1941 contre 18 dirigeants du SWP, ainsi que l’examen du rôle joué par Sylvia Ageloff dans l’assassinat de Léon Trotsky, sont des contributions importantes à la compréhension des conspirations conjointes dirigées contre la Quatrième Internationale par l’impérialisme et le stalinisme.
73. Pour conclure cette introduction à l’école internationale, je dois souligner que la sécurité du parti est avant tout une question politique. La reconnaissance de la nécessité de la sécurité découle d’une compréhension marxiste de la nature de l’État capitaliste, des lois de la lutte des classes, du caractère de l’époque impérialiste, de la crise objective du capitalisme mondial et d’un engagement profondément ancré envers le programme du parti. Le niveau de conscience théorique et politique requis pour comprendre le problème complexe du maintien de la sécurité organisationnelle exige un cadre marxiste hautement formé et politiquement solide.
74. Le développement d’un cadre révolutionnaire exige des relations internes fondées sur des principes politiques clairs, permettant un régime démocratique, discipliné et capable de résister aux attaques de l’État. Il faut éviter à la fois la complaisance opportuniste et l’hystérie dictée par la peur. La vigilance politique est incompatible avec la panique. La meilleure défense contre l’infiltration est un cadre politiquement instruit et bien informé, essentiel au maintien de la démocratie interne et d’un programme de sécurité soigneusement organisé. C’est l’une des leçons les plus vitales de La sécurité et la Quatrième Internationale.
75. Nous avons devant nous une semaine très exigeante. Les conférences couvriront une quantité considérable de sujets liés à l’histoire, à la politique et même au droit. Mais nous vivons une époque difficile et dangereuse, et les événements objectifs imposeront d’immenses responsabilités à notre cadre. Il est presque évident que la question de la sécurité politique acquiert une importance immense à une époque où les assassinats ciblés et le génocide sont normalisés et où les fondements constitutionnels de la démocratie bourgeoise se désintègrent. Ce sont là les manifestations d’une escalade immense de la lutte des classes à l’échelle mondiale et de la transition vers la guerre civile et la révolution sociale. Le but de cette école internationale est d’élever le niveau politique du cadre du Socialist Equality Party et du Comité International de la Quatrième Internationale afin de répondre aux défis posés par l’accélération de la crise du capitalisme mondial et de préparer la classe ouvrière américaine et internationale à la conquête du pouvoir et à la construction d’une société socialiste mondiale. Merci camarades pour votre attention.
(Article paru en anglais le 14 août 2025)