Selon un rapport publié le mois dernier, le nombre de sans-abri à Toronto, la plus grande ville du Canada, a plus que doublé au cours des trois dernières années et demie.
Le Toronto Street Needs Assessment (SNA) est un recensement ponctuel mené à l'échelle de la ville auprès des personnes en situation d'itinérance, dont la dernière édition remonte à octobre 2024.
L'enquête a révélé que 15 418 personnes étaient sans domicile fixe dans tous les contextes et que plus de 10 % d'entre elles, soit 1615, vivaient à l'extérieur. Cela représente une augmentation considérable par rapport au précédent SNA d'avril 2021, qui avait abouti à une estimation choquante de 7300 personnes sans domicile fixe à Toronto, dont 742 vivaient à l'extérieur et dans des campements.
Ces résultats ne devraient surprendre personne qui connaît un tant soit peu la crise de plus en plus grave du logement abordable dans la plus grande ville du Canada, une ville qui compte pourtant environ 108 000 millionnaires et 20 milliardaires.
Le SNA est utilisé par la ville et les organisations communautaires pour planifier les services et les programmes, et servira de base au « plan stratégique pour les services aux sans-abri ». Il s'agit en fait du sixième Street Needs Assessment mené par la ville. Malgré les efforts bien intentionnés de ceux qui défendent les sans-abri, il est clair qu'ils sont en train de perdre la bataille contre le système capitaliste, incapable de résoudre la crise du logement et de l’itinérance.
Le SNA déclare : « L’itinérance est le résultat de défaillances de plusieurs systèmes, tels que le logement, les soins de santé, la santé mentale, l'aide au revenu et le système judiciaire. Le système d'hébergement est le dernier recours lorsque les gens n'ont nulle part où aller. »
En octobre 2024, le système d'hébergement était décrit comme étant soumis à une « pression importante », avec 12 304 personnes hébergées. Parmi celles-ci, 1596 étaient des familles, et 767 autres familles étaient sur la liste d'attente pour un hébergement.
Sans surprise, l'enquête a révélé que l'insuffisance des revenus et le manque de logements abordables figuraient parmi les principales causes de l’itinérance. La mention de ces facteurs spécifiques par les personnes interrogées a doublé depuis 2021, 41 % d'entre elles les citant comme raisons de leur situation.
Les problèmes de santé mentale ont également été cités par 44 % des personnes interrogées comme un facteur contributif.
L'enquête a révélé que les personnes ayant grandi en famille d'accueil ou dans des foyers pour jeunes avaient tendance à connaître leur première expérience de l'itinérance à un âge plus précoce. Certains groupes spécifiques, tels que les Autochtones, les Noirs et les personnes 2SLGBTQ+, continuent d'être surreprésentés en pourcentage de la population parmi les personnes sans domicile fixe.
Le SNA d'avril 2021 a révélé que 77 % des personnes incluses dans le décompte étaient « sans domicile fixe de façon chronique », ce qui signifie qu'elles ont été sans domicile fixe pendant six mois ou plus au cours de l'année écoulée, et plus d'un tiers ont déclaré être sans domicile fixe depuis plus de 5 ans. Le rapport publié il y a quatre ans indiquait également : « Au cours des dix dernières années, le loyer moyen du marché pour un appartement d'une chambre a augmenté de 51 %, tandis que les taux des prestations d'hébergement d'Ontario Works (OW) n'ont augmenté que de 7 %. L'écart entre les prestations d'hébergement d'OW et les loyers est passé de 585 dollars en 2010 à 1041 dollars en 2021. Cette situation est aggravée par le manque de nouveaux logements locatifs et abordables. »
L'enquête SNA de 2013 a recensé environ 5253 sans-abri à Toronto en avril de cette année-là, dont 447 personnes, soit 9 %, vivaient à l'extérieur. Cette enquête a également révélé que les personnes interrogées souhaitaient avoir un logement et que « c'est avant tout le manque de logements abordables qui les en empêche ».
La tendance est évidente, tout comme les symptômes, que les rapports ont fortement soulignés pendant de nombreuses années. Mais les rapports de l'enquête sur les sans-abri évitent d'aborder la cause fondamentale du logement inabordable, du mauvais accès aux services de santé, des emplois mal rémunérés et d'autres facteurs contribuant à la crise des sans-abri : le système capitaliste axé sur le profit.
Presque toutes les personnes sans domicile fixe appartiennent à la classe ouvrière : elles vivent d'un salaire précaire à l'autre ou survivent grâce à des aides gouvernementales délibérément insuffisantes. Et l'écart entre les revenus et les richesses, qui ne cesse de se creuser au Canada, expose davantage de personnes au risque de se retrouver sans domicile fixe. Les politiques d'austérité et d’imposition mises en place à tous les niveaux du gouvernement favorisent la concentration des richesses entre les mains des plus riches et des entreprises, au détriment des travailleurs à faibles revenus et des plus démunis.
Les politiques menées par tous les partis politiques depuis des décennies ont fait d'un toit au-dessus de la tête, l'un des droits humains les plus fondamentaux, un luxe inabordable pour des centaines de milliers de personnes à travers le Canada.
En mars 2007, la Commission ontarienne des droits de la personne a publié un rapport accablant et prophétique intitulé « The Rental Housing Landscape In Ontario » (La situation du logement locatif en Ontario). Elle y déclarait :
En 1995, le gouvernement de l'Ontario a mis en œuvre une série de politiques en matière de logement qui ont considérablement réduit à la fois l'offre de logements locatifs abordables et les protections juridiques accordées aux locataires en Ontario. Par exemple, en 1995, le gouvernement a réduit de 21,6 % les taux d'aide sociale, y compris les allocations de logement. Toujours en 1995, le gouvernement a supprimé environ 17 000 logements coopératifs et sans but lucratif qui étaient alors en cours de construction. En outre, il a cessé de financer les projets de logements sociaux existants et a transféré aux municipalités les coûts et la gestion liés aux logements sociaux. La Loi sur la protection des locataires de 1997, adoptée par le gouvernement en 1998, a supprimé le contrôle des loyers des logements vacants et a rendu beaucoup plus facile pour les propriétaires d'expulser leurs locataires.
Le rapport poursuit :
On peut affirmer avec force que la diminution de l'offre de logements abordables et adéquats, combinée à des niveaux d'aide sociale insuffisants, à des salaires insuffisants et à la discrimination à l'égard des groupes identifiés dans le Code, a contribué de manière très significative à l'augmentation du nombre de sans-abri dans les villes de l'Ontario. Le rapport Golden a reconnu cet effet lorsqu'il a recommandé qu’« au moins 5000 logements supplémentaires avec services de soutien soient construits à Toronto au cours des cinq prochaines années, principalement pour accueillir les sans-abri souffrant de maladies mentales ou de toxicomanie ».
Publié il y a près de deux décennies, ce rapport avertissait que le Canada violait ses obligations en vertu du droit international.
À plusieurs reprises, les Nations Unies ont exprimé leur profonde préoccupation quant au bilan du Canada en matière de mise en œuvre des droits sociaux et économiques. Plus récemment, en mai 2006, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, qui supervise le PIDESC, a publié son examen de la conformité du Canada avec le Pacte. Le Comité a critiqué le fait que 11,2 % de la population canadienne vivait encore dans la pauvreté en 2004, compte tenu notamment de la richesse économique et des ressources du Canada. Le Comité a noté avec préoccupation que les taux de pauvreté restaient très élevés parmi les personnes et les groupes défavorisés et marginalisés tels que les Autochtones, les Afro-Canadiens, les immigrants, les personnes handicapées, les jeunes, les femmes à faible revenu et les mères célibataires.
Le Comité a également noté avec préoccupation « l'insuffisance du salaire minimum et de l'aide sociale pour garantir la réalisation du droit à un niveau de vie suffisant ».
Au cours des 18 années qui ont suivi, les gouvernements à tous les niveaux ont mené des politiques qui ont encore exacerbé ces problèmes. À la suite de la crise financière mondiale de 2008, un transfert massif de richesses du bas vers le haut a été orchestré par l'élite au pouvoir et ses représentants politiques. Cela s'est fait par le biais de réductions des salaires réels, de réductions du financement des services publics et de subventions aux riches. Un processus similaire, à une échelle bien plus grande, a été mis en œuvre au début de la pandémie de COVID-19 en 2020. Soulignant que la protection de la vaste richesse de l'oligarchie financière par l'exploitation de la classe ouvrière et des pauvres est une stratégie adoptée par l'ensemble de la classe politique, le gouvernement libéral dirigé par Justin Trudeau a procédé au transfert de 650 milliards de dollars aux banques et aux grandes entreprises. À l'époque, le gouvernement minoritaire dépendait du soutien du Nouveau Parti démocratique social-démocrate pour obtenir la majorité au Parlement. En dehors du Parlement, les libéraux comptaient sur leurs partenaires syndicaux pour étouffer l'opposition de la classe ouvrière à cet énorme plan de sauvetage des riches, qui a été suivi d'une campagne sauvage de retour au travail qui a propagé la pandémie mortelle dans toute la population.
Le programme de guerre de classe de l'élite dirigeante imprègne la politique gouvernementale, du niveau fédéral jusqu'au niveau municipal. Le SNA 2024 souligne que le retard pris par Toronto dans l'attribution de l'aide au logement Canada-Ontario (COHB) entre avril et octobre 2024 pourrait avoir influencé la forte augmentation du nombre de sans-abri recensés récemment. La COHB est un programme financé conjointement par les gouvernements provincial et fédéral qui offre à quelques milliers de ménages éligibles, parmi les 90 000 ménages inscrits sur la liste d'attente pour un logement à loyer indexé sur le revenu, une allocation destinée à couvrir les frais de location de logements privés.
Pendant six mois, alors que les gouvernements municipal et provincial étaient en désaccord sur les objectifs en matière de logement, le financement de la COHB a été épuisé, ce qui a conduit des personnes à se retrouver à la rue. Le programme COHB n'est guère plus qu'une mesure provisoire qui, tout en offrant une aide temporaire à certains, constitue tout autant une énorme subvention aux propriétaires fortunés provenant des deniers publics.
En renonçant à leur responsabilité d'assurer un logement adéquat à tous, les gouvernements ont également créé un environnement d'investissement très favorable qui facilite l'achat par de grandes entreprises de biens locatifs en tant qu'actifs financiers. Les sociétés de capital-investissement, les institutions financières et les fonds de placement immobilier (REIT), qui ont pour objectif d'offrir le meilleur rendement possible à leurs investisseurs, ont été autorisés à acquérir d'énormes portefeuilles de biens locatifs, ce qui leur permet de façonner le marché en fonction de leurs propres objectifs de profit.
Le rapport 2024 Toronto Street Needs Assessment (Évaluation des besoins de la rue à Toronto en 2024) indique qu'« une approche multisectorielle et intergouvernementale coordonnée entre les différents systèmes de services reste nécessaire pour lutter contre l’itinérance ».
Sous le capitalisme, ce vœu pieux restera une chimère. Les seules approches « multisectorielles et intergouvernementales » que la classe dirigeante est capable d'organiser sont celles qui visent à réarmer l'armée canadienne pour mener des guerres dans le monde entier et transférer les richesses de la société dans les poches de l'oligarchie financière.
La résolution de la crise de l’itinérance, comme tous les maux sociaux enracinés dans le capitalisme, ne peut être accomplie que par la mobilisation politique de la classe ouvrière dans la lutte pour la transformation socialiste de la vie sociale. En plaçant les vastes ressources de la société sous contrôle démocratique, la classe ouvrière préparera le terrain pour faire des besoins humains, et non du profit privé, le principe moteur de toute politique sociale.
(Article paru en anglais le 12 août 2025)