Des voix sans visages est une nouvelle série d’articles du World Socialist Web Site. Notre objectif est de mettre en lumière et de donner la parole aux travailleurs immigrés qui sont isolés et invisibles aux yeux des autres travailleurs et de la presse capitaliste, en abordant leurs conditions de vie réelles ainsi que, surtout, les questions politiques. Les lecteurs et les travailleurs sont encouragés à participer. Votre anonymat sera garanti.
Depuis janvier, entre 150 000 et 200 000 immigrants ont été expulsés sous le second mandat de Trump, selon les chiffres officiels conservateurs. Alors que le discours fasciste de l’administration prétend que ces expulsions visent les « criminels dangereux », la réalité est que les principales cibles sont les travailleurs immigrés, ceux-là mêmes qui récoltent les fruits et légumes, nettoient les bâtiments, s’occupent des personnes âgées et travaillent dans les entrepôts et les usines qui font tourner l’économie.
Veronica, une immigrante sans papiers originaire du Mexique, vit et travaille aux États-Unis depuis 34 ans. Sa fille Nancy, citoyenne américaine, a hérité de la peur constante de l’expulsion et de la détermination à se battre pour les autres. Ensemble, leurs histoires mettent en lumière le coût humain de l’assaut bipartite contre les immigrés et la dignité humaine qui anime les travailleurs malgré les conditions les plus répressives et les plus exploitantes.
Franchir la frontière : « Je n’avais aucune idée de ce que c’était que de traverser une frontière »
Veronica est arrivée aux États-Unis en juillet 1991, à l’âge de 24 ans, après s’être vu refuser un visa.
« J’étais avec une femme salvadorienne et un garçon guatémaltèque, je pensais que nous étions seuls, mais il y avait en fait des milliers de personnes. Nous avons escaladé le mur près de Tijuana, je me suis dit que je ne referais jamais ça, c’était trop dangereux », se souvient-elle. « Nous avons traversé une autoroute en courant. Je ne savais même pas ce qu’était une autoroute. C’était terrifiant. »
Sa première vision de Los Angeles fut à l’angle de Third Street et Union Street, où la police menottait de jeunes « Cholos » contre un mur. « J’étais sale et affamée. Cette nuit-là, j’ai dormi dans un garde-robe dans un appartement miteux où s’entassaient dix hommes.
« Je viens d’une famille où nous n’avons jamais manqué de nourriture ou d’endroit où loger, dit-elle. Ici, j’ai souffert de la faim. J’ai même mangé dans les poubelles. Je n’aurais jamais imaginé vivre cela. »
L’exploitation dès le début
Comme des millions d’autres immigrants, Veronica a été immédiatement propulsée dans les emplois les moins bien rémunérés et les plus exploitants.
« Mon premier emploi était dans une usine de confection, où je devais couper les fils qui dépassaient des vêtements. Nous étions payés à la pièce, pas à l’heure. Je pouvais y rester de 8 h du matin à 8 h du soir et ne faire que 15 dollars dans ma journée. Mes collègues repassaient les vêtements par temps chaud, c’était horrible. »
Elle a une fois travaillé dans la cuisine d’un petit restaurant pour manger, mais le propriétaire lui a fait des avances.
« J’ai été élevée avec des principes, dit-elle. J’étais naïve quand je suis arrivée ici, mais à ce moment-là, j’ai immédiatement compris ses intentions malveillantes. Il m’a dit qu’il me donnerait de l’argent si je restais avec lui. J’ai refusé et je me suis enfuie. »
Dans une autre usine, son employeur déduisait des « impôts » de son salaire, mais ne les déclarait jamais. « Je n’ai rien accumulé pour la sécurité sociale. Toutes ces années de travail, rien à mon nom. »
Élever une fille dans un contexte de violence et de pauvreté
Nancy a grandi en voyant sa mère subir des violences domestiques. « J’étais juste une enfant, je jouais par terre, et soudain, mon père étranglait ma mère sur le canapé », raconte-t-elle. « Quand on voit des choses comme ça, on ne les oublie jamais. »
Veronica a caché ces abus par honte et par peur. « Parfois, il n’y avait pas de lait pour elle, alors je lui donnais de l’eau avec du sucre », dit-elle. « Je ne voulais pas que les voisins le sachent. J’avais peur qu’ils l’emmènent. »
Lorsque Nancy avait six ans, Veronica a quitté son compagnon et a commencé à travailler comme femme de ménage de nuit. « Je l’ai laissée seule parce que je ne faisais confiance à personne pour s’occuper d’elle, explique-t-elle. Un jour, elle m’a demandé un hamburger McDonald’s. J’ai refusé, car il fallait d’abord payer le loyer. Mais je l’ai vue pleurer en silence dans sa chambre, et je lui ai dit : “Mets tes chaussures, on va t’acheter ton hamburger.” C’est à partir de ce jour-là que je me suis juré qu’elle n’aurait jamais faim, qu’elle ne vivrait jamais ce que j’avais vécu. »
La vie sous l’administration Trump : « Nous sommes traquées »
Veronica vit sans statut légal depuis plus de trois décennies. Sous le mandat actuel de Trump, la peur est constante.
« Quand je vois des camions noirs aux vitres teintées, je me dis : “Est-ce l’immigration ?” Certains de mes amis ne quittent plus leur domicile. Nous nous envoyons des messages : il y a des descentes ici, des contrôles là-bas. Même les citoyens américains d’origine hispanique ont peur. »
L’occupation militarisée d’espaces publics tels que MacArthur Park, un endroit dont elle a découvert la beauté il y a 34 ans, symbolise ce changement. « On a l’impression d’être des animaux traqués », dit-elle. Mon foyer est ici, mais ici, je ne suis pas reconnue comme un être humain. Le Mexique était mon foyer, mais que ferais-je là-bas si j’y étais renvoyée ? À 57 ans, quelles sont mes options dans une petite ville ? Je n’existe pas là-bas, pas plus que je n’existe ici. »
Nancy : apprendre des sacrifices de sa mère
Malgré leurs difficultés, Nancy a compris très tôt que les luttes de sa mère visaient à assurer sa sécurité et son éducation.
« Ma mère a traversé des épreuves difficiles pour m’offrir un environnement sûr et tout ce dont j’avais besoin quand j’étais enfant », explique-t-elle. « J’ai étudié au LACC (Los Angeles City College), où j’ai obtenu deux grades d'associée (baccalauréat mineur), puis une licence (baccalauréat majeur) à Cal State Northridge. »
Après avoir étudié les sciences de l’information, elle s’est engagée à offrir aux adolescents un espace sûr où ils peuvent explorer leurs centres d’intérêt sans crainte. « Je veux qu’ils sachent qu’il n’y a pas de mal à ne pas encore savoir ce qu’ils veulent faire. Il n’y a pas de mal à aimer ce qu’on aime. » Tout comme sa mère, elle déclare : « Je ne veux pas qu’ils vivent ce que j’ai vécu. »
La menace de perdre la citoyenneté
Au début de l’année, Nancy a vu le terme « droit du sol » faire le tour des réseaux sociaux sur Internet. L’administration Trump tente de la révoquer pour les enfants d’immigrants sans papiers.
« Au début, je me suis dit : “C’est impossible”, raconte-t-elle. Puis j’ai réalisé qu’ils étaient sérieux. Je suis née ici. S’ils me retirent cela, qui suis-je ? Je ne suis pas Mexicaine. Je n’ai pas de passeport mexicain. Aucun pays ne m’accepterait. Je serais apatride. »
« J’ai enfin de nouvelles opportunités, et maintenant je dois penser que je pourrais tout perdre. Comment puis-je protéger mes proches si je perds quelque chose avec lequel je suis née ? »
Solidarité et division
Veronica a été témoin à la fois de solidarité et de trahison. « J’ai rencontré des travailleurs afro-américains, asiatiques et blancs qui nous soutiennent », dit-elle. « Une femme m’a dit : “Ils sont d’abord venus chercher les gens de ma couleur, puis les Asiatiques, et maintenant les Hispaniques.”
« Mais d’autres immigrants, des gens qui ont traversé la frontière comme moi mais qui ont obtenu des papiers, m’ont dit que je devrais repartir. Cela fait encore plus mal que tout ce qu’un Blanc pourrait dire. »
L’atmosphère pour les jeunes : « Nous avons perdu la chance de mener une vie normale »
Nancy établit un lien entre la répression au pays et les guerres menées par les États-Unis à l’étranger, notamment le soutien de Washington à l’attaque israélienne contre Gaza. « On dit aux jeunes d’accepter la guerre, les expulsions et la censure comme étant normales, dit-elle. Les réseaux sociaux regorgent de mauvaises nouvelles : rafles, frappes de missiles, nouvelles lois. Nous sommes censés parler de nos loisirs, mais au lieu de cela, nous parlons en code pour ne pas perdre nos emplois ou être bannis. »
« Je veux que les jeunes aient un endroit où ils peuvent parler librement, sans crainte. En ce moment, cela est en train de disparaître. »
Aucun être humain n’est illégal
« Je travaille ici depuis plus de trois décennies, dit Veronica. J’ai payé des impôts tous les ans, sauf quand mon patron les a volés. J’ai élevé ma fille sans l’aide du gouvernement. Je n’ai fait que travailler et contribuer à la société américaine. Pourtant, je vis dans la peur tous les jours. Et maintenant, ils parlent de retirer la citoyenneté à des personnes comme ma fille. Il ne s’agit pas de criminels. Il s’agit de criminaliser les travailleurs. »
Nancy ajoute : « Personne ne devrait vivre ce que ma mère a vécu. Personne ne devrait avoir à se demander s’il sera expulsé de chez soi simplement pour exister. »
Un combat pour toute la classe ouvrière
Leurs expériences démolissent le mensonge selon lequel les expulsions de masse sont motivées par la « sécurité publique ». Elles s’inscrivent dans le cadre d’une attaque plus large contre les droits démocratiques et sociaux de toute la classe ouvrière, qu’elle soit native ou immigrée.
Comme le dit Veronica, « Si nous sommes restés, c’était pour une raison : pour offrir à nos enfants une chance de réussir. » Cette chance de réussir, pour tous les travailleurs, ne peut être atteinte que par l’unité au-delà des frontières, des ethnies et du statut de citoyenneté, dans une lutte pour une société socialiste où aucun être humain ne sera illégal et où la richesse produite par le travail servira à répondre aux besoins de l’humanité, et non à accumuler des profits privés.