Jeremy Corbyn et Zarah Sultana ont accordé leurs premières interviews au sujet de leur nouveau parti annoncé la semaine dernière. Ils affirment clairement que l'organisation, au nom provisoire de «Votre Parti», n'apportera à la classe ouvrière aucun changement par rapport à la mollesse politique affichée par Corbyn à la tête du Parti travailliste.
Le rôle de Sultana est de présenter un visage plus militant que ce que Corbyn peut offrir. Elle a déclaré à Novara Media: «Pour moi, le Parti travailliste est mort. Il est mort moralement, il est mort politiquement, et il est mort électoralement aussi.»
Il s’agit d’un trompe-l’œil. Elle a consacré une grande partie du reste de l'entretien à souligner ses «préférences» et son «opinion» – car tout sera censé être décidé démocratiquement par les membres lors d'une conférence fondatrice à l'automne – selon laquelle le parti suivra une «méthode d'alliance tactique» pour « empêcher [le dirigeant de Reform UK d’extrême droite, Nigel] Farage d'accéder au pouvoir, car cela doit être le principe directeur».
« Votre Parti» devrait «identifier où nous pouvons gagner et où d'autres, qui ont les mêmes objectifs et valeurs en matière de politique progressiste, et de défaite de Reform, peuvent travailler ensemble... ce qui fera, je suppose, l’objet d’une négociation.»
C'est là une recette pour subordonner les intérêts des travailleurs à des alliances «Stop Farage» avec toutes sortes de formations dites de «moindre mal», allant des indépendants, des Verts, du Plaid Cymru [nationalistes du Pays de Galle] et du Parti national écossais en passant par la «gauche» travailliste, et qui ne fera que préparer le terrain aux trahisons.
Sultana a cité en exemple le «Nouveau Front populaire comme on l’a vu en France». Le NFP, créé par la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, a étouffé l'opposition au «président des riches» Emmanuel Macron et a permis au Parti socialiste (membre du NFP) de soutenir les Premiers ministres choisis par Macron et leur programme d'austérité, tout cela au nom de la lutte contre le Rassemblement national d'extrême droite.
Ce à quoi Sultana fait allusion au milieu de ses déclarations intrépides en disant: Nous sommes la gauche; nous allons prendre toute la gauche», Corbyn l'admet sans la moindre gêne politique. Prônant une structure «d’une manière ou d’une autre fédérale» pour le nouveau parti, il déclare: «Je suis très conscient qu'il existe de nombreux groupes indépendants dans le pays, des groupes indépendants de conseillers municipaux, des militants indépendants […] Il y a aussi l'Assemblée du peuple et bien d'autres groupes […] Nous n'allons pas nous engager dans une guerre de territoire».
Il ne s'agit pas d'un plan pour un nouveau type de parti, encore moins d'un parti socialiste, mais d'une organisation parapluie pour l'ancienne politique de pression sur le Parti travailliste. Interrogé spécifiquement par Owen Jones, «Pensez-vous que le Parti travailliste est mort?», Corbyn a refusé de le dire. Au lieu de cela, il a décrit comment «beaucoup de députés travaillistes viennent me chercher à la bibliothèque» [du Parlement] et chuchotent furtivement, «Jeremy, je pense que vous faites la bonne chose»... Vont-ils rejoindre mon parti? Non. Mais vont-ils travailler avec nous ? Oui.»
Corbyn est toujours tellement attaché au Parti travailliste qu’il peut parler de Tony Blair sur un ton presque mélancolique, disant à Jones que son gouvernement de 1997 – que Margaret Thatcher a qualifié de sa plus grande réussite – était une «énigme intéressante».
Il se souvient avoir voté contre Blair au sujet des allocations familiales et s'être entendu dire par le chef de file Nick Brown: «Je suis ici pour vous assurer que demain, il y aura toujours un Parti travailliste et que demain, vous en ferez toujours partie.» Les sentiments affectueux étaient clairement réciproques, Corbyn poursuivant: «Jusqu'à ce qu'il [Blair] s'implique dans l'Irak, etc., le système de justice sociale était une amélioration.» Avec l'Irak, Blair avait tout simplement «complètement perdu la tête».
Les arrangements proposés par Corbyn seront rendus possibles par un flou délibéré et l'occultation des questions de classe. «Pour maintenir l'unité d'un parti», affirme Corbyn, «il faut faire campagne sur des questions fondamentales», comme la «paix», la «justice sociale», la «durabilité environnementale», la «protection des droits humains et la lutte contre l'extrême droite».
En réalité, il entend mener campagne sans aborder les questions fondamentales. Un parfait exemple en est la description qu'il fait, avec Sultana, du militarisme britannique, auquel ils s'opposent sans jamais le relier à l'intensification de la lutte impérialiste pour le nouveau partage du monde. Il est présenté comme la faute des «marchands d'armes» qui «peuvent dicter leur conduite aux gouvernements», selon les termes de Sultana – comme si l'impérialisme britannique était un pion et n'agissait pas dans son propre intérêt.
De même, les inégalités sociales et l'appauvrissement ne sont jamais liés aux intérêts, non seulement de quelques grandes entreprises cupides, mais de toute une classe capitaliste. Une classe qui a orchestré une contre-révolution de plusieurs décennies contre tous les acquis sociaux de la classe ouvrière, aidée par la bureaucratie syndicale, ne peut être contrée que par une mobilisation sociale et politique massive des travailleurs et de la jeunesse.
Sultana et Corbyn adhèrent à la politique du juste milieu, un contrat social équitable qui peut être conclu au Parlement tout en évitant les luttes de classes. Aucune ligne de démarcation politique n'est tracée, sauf avec Farage, ce qui désarme la classe ouvrière face à ses adversaires politiques, à qui «Votre Parti» tendra la main de l'amitié.
Corbyn a résumé l'approche en décrivant sa relation avec l'Alliance indépendante au Parlement. Ils avaient décidé: «Là où nous sommes d'accord, nous travaillerons ensemble. Là où nous ne sommes pas d'accord, nous n'en dirons pas plus, nous le mettrons de côté et passerons à autre chose.» Cela était valable même lorsqu'Ayoub Khan, membre de l'Alliance, a appelé le Premier ministre Keir Starmer à mobiliser l'armée pour mettre fin à la grève des éboueurs de Birmingham.
L'esquive de ces questions cruciales qui définissent le caractère d'un parti est renforcée par la politique absurdement bornée et de clocher de Corbyn. Dans un moment d'autodérision involontaire, il déclare à Jones: « Je considère toujours Finsbury Park [quartier de Londres], situé dans sa circonscription d'Islington Nord, comme le centre de mon univers.»
Il affirme avoir résisté à la pression de ses alliés pour former un nouveau parti en 2021-22, en prévision des élections de 2024, car «cela m'aurait obligé de passer deux ans à voyager beaucoup», ce qui «n'aurait pas été bien accueilli par la communauté locale» d'Islington Nord. Son propre siège au Parlement comptait davantage pour lui que de lancer un défi national au nouveau gouvernement de Starmer, marqué par la répression, la guerre et l'austérité.
Quels que soient les discours de Corbyn et Sultana sur la démocratie au sein du nouveau parti – et quelles que soient les procédures mises en œuvre pour la conférence fondatrice –, ce sont leurs opinions politiques qui le définiront. Ceux qui ont déclaré leur intention d’adhérer à «Votre Parti» ne contestent pas leur rôle de tutelle, un rôle qui sera appuyé par leur milieu représenté par leurs interlocuteurs médiatiques.
Owen Jones, journaliste du Guardian, a joué un rôle clé dans la campagne contre «l’antisémitisme de gauche» qui a conduit, avec l'aide de Corbyn, à l'expulsion de nombre de ses partisans du Parti travailliste, et finalement à sa propre éviction. Il a initialement soutenu Starmer à la tête du Parti travailliste et l'année dernière a passé son temps à soutenir l'initiative « Nous méritons mieux» (article en anglais), appelant à une «alliance électorale diffuse de la gauche» incluant «des candidats verts et indépendants de gauche, ainsi que des députés travaillistes socialistes».
Novara, qui s'est imposé lors de l'accession de Corbyn à la direction du Parti travailliste comme le journal interne de la gauche travailliste, a insisté davantage sur la nécessité d'un nouveau parti de gauche, mais a également défendu les Verts comme une voie possible à suivre.
Tous deux seront ravis de la déclaration de Corbyn concernant le futur chef du Parti vert, Zack Polanski: «Allons-nous collaborer avec lui? Oui, sur certains points, généralement, nous serions d'accord sur les questions environnementales et sur les questions de justice sociale.»
Le Socialist Equality Party (Parti de l'égalité socialiste) rejette l'idée que les aspirations de gauche et anti-guerre de millions de travailleurs et de jeunes puissent être défendues par ces tendances, résidus semi-réformistes issues d'une longue période de réaction politique. Ce qu'il faut, c'est un parti révolutionnaire fondé sur les principes d'une lutte de classe sans compromis et d'un internationalisme socialiste.
(Article paru en anglais le 3 août 2025)