L'Histoire de Souleymane (écrit et réalisé par Boris Lojkine) est une œuvre française superbe et émouvante, l'un des meilleurs films de l'année.
Il est sorti le 1er août à New York et sera diffusé dans d'autres villes d'Amérique du Nord dans les semaines à venir, notamment à Los Angeles, Boston et Cleveland aux États-Unis, ainsi qu'à Halifax, Toronto et Hamilton au Canada.
L'œuvre de Lojkine a remporté des prix au Festival de Cannes, aux César (les plus prestigieuses récompenses cinématographiques françaises), aux European Film Awards et a reçu d'autres distinctions internationales, notamment le prix du public au Festival du film de San Francisco. Ces récompenses sont amplement méritées.
Les gouvernements du monde entier ont déclaré la guerre aux immigrants et aux réfugiés. Le programme de l'administration Trump est peut-être l'un des plus effrontés, sadiques et manifestement illégaux, mais la persécution des membres les plus vulnérables de la communauté humaine est la politique, déclarée ou non, de tous les régimes capitalistes et de tous les partis dominants, qu'ils soient d'extrême droite ou prétendument « de gauche ».
Partout, les gouvernements présentent leurs programmes racistes et chauvins anti-immigrés comme une défense des travailleurs natifs, mais rien n'est plus éloigné de la vérité. Ces politiques visent simplement à diviser les opprimés et à monter une partie des travailleurs contre une autre dans une lutte pour les miettes que les milliardaires laissent tomber.
Les conditions auxquelles est confronté Souleymane Sangaré (Abou Sangaré), un livreur de repas à Paris, dans L'Histoire de Souleymane, sont effroyables, mais typiques. L'expression « travail précaire » peut être métaphorique dans certains cas, mais dans l'existence instable et périlleuse que mène Souleymane, la « précarité » est réelle et omniprésente.
Cette œuvre de fiction raconte deux jours désespérés dans la vie de cet immigrant guinéen sans papiers, qui lutte héroïquement pour gagner sa vie tout en se préparant à un entretien crucial pour sa demande d'asile, qui déterminera en grande partie son sort officiel en France.
Il paie en espèces, dont il manque cruellement, pour se faire aider par un compatriote guinéen à rédiger un faux récit de persécution politique. Il doit se souvenir (faussement) qu'il a été arrêté pour avoir résisté à des expulsions, qu'il est membre de l'UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée), la coalition d'opposition bourgeoise, etc. Tout cela dans le but de faire reconnaître Souleymane comme réfugié politique. En réalité, comme nous l'apprenons, sa situation réelle est bien plus bouleversante que l'histoire qu'il apprend par cœur avec difficulté.
Souleymane livre des repas, mais en réalité, il « loue » un compte UberEats à un autre immigrant africain, qui prend la moitié ou plus de ses gains chaque semaine. Les sans-papiers sont souvent réduits à cela. Finalement, son « collègue » refuse de lui payer ce qu'il lui doit et le pousse même dans les escaliers.
Un petit incident suffit à précipiter Souleymane vers le désastre : un accident mineur à vélo endommage un sac de nourriture, qu'un client refuse d'accepter. La vie est dure. Souleymane est toujours pressé, courant après les gens qui lui doivent de l'argent ou des services. Manquer le bus signifie perdre une place dans un refuge pour sans-abri et passer la nuit dans les rues froides et humides de Paris.
Le réalisateur Boris Lojkine précise que l'absence de musique dans le film
était ma décision dès le départ. Pas d'artifice. Le but n'était pas de s'en tenir à une esthétique documentaire, mais plutôt de tirer le meilleur parti de la bande sonore de la ville, des klaxons et des sirènes, du vacarme des trains, du rugissement des moteurs. L'absence de musique nous a obligés à être plus radicaux dans le montage : il n'y avait pas de place pour des moments vides, jolis et paisibles. Nous avançons sans cesse, suivant Souleymane, retenant notre souffle, sans relâche, jusqu'à la scène finale qui nous enferme dans le petit bureau dépouillé.
Souleymane téléphone à sa petite amie en Guinée au milieu de la nuit, blotti dans la rue, pour lui dire qu'elle devrait épouser un « ingénieur » qui a demandé sa main. Il n'a aucun avenir à lui offrir. « La douleur de te quitter me brûle [...] Je te souhaite une vie heureuse. Je ne t'oublierai jamais. » C'est une séquence émouvante et difficile.
« Je ne sais pas pourquoi je suis venu en France », dit Souleymane d'un air désespéré, mais sans apitoiement, à un autre moment.
La dernière partie du film est consacrée à l'entretien effrayant et crucial pour la demande d'asile avec une fonctionnaire du gouvernement « dans le petit bureau dépouillé ». Elle est parfaitement compréhensive, mais elle sait que son histoire concernant son appartenance à l'UFDG et tout le reste est complètement fausse. Que se passera-t-il lorsqu'il dira la vérité ?
L'Histoire de Souleymane est très forte et pleine de compassion. Elle va droit au but et décrit les circonstances cauchemardesques, épuisantes et débilitantes auxquelles sont confrontés les immigrants sans papiers, sans amis et isolés.
Lojkine explique que lui et un collaborateur
ont rencontré de nombreux livreurs de repas. Ils nous ont parlé des coulisses de leur travail : les problèmes avec leurs donneurs d'ordre, les arnaques dont ils ont été victimes, leurs interactions avec les clients ; ils nous ont parlé de leurs difficultés à trouver un logement, de leurs relations avec leurs collègues livreurs, qui ne sont pas nécessairement leurs amis. Dans tous leurs récits, la question des papiers occupait une place particulière. C'était particulièrement le cas chez les Guinéens à qui nous avons parlé. Presque tous étaient ou avaient été demandeurs d'asile, et ils étaient obsédés par la procédure de demande, car l'obtention de l'asile pouvait changer radicalement leur vie.
Lojkine observe que lui et sa co-scénariste, Delphine Agut, « ont construit une dramaturgie plus proche du thriller que de la chronique sociale ». Voici « les efforts d'un personnage qui se débat comme une mouche dans un bocal, en proie à un système oppressant ».
Pendant ces deux jours où il devrait se reposer avant son entretien, notre protagoniste n'a pas une minute pour reprendre son souffle. Il court dans tous les sens, essayant de régler des problèmes qui s'accumulent, aux prises avec le système impitoyable d'une société européenne que nous croyons douce, mais qui est terrible pour ceux qui n'en sont pas citoyens.
Les interviews et les recherches ne suffisent pas à elles seules à produire une œuvre esthétiquement aboutie. Loin de là. Mais les cinéastes, dans ce cas précis, apportent sensibilité, réflexion et talent artistique à leur travail.