La controverse autour du nouveau Superman, écrit et réalisé par James Gunn, est révélatrice.
Le film fait l’objet d’attaques concertées de la part de la droite en raison de son attitude sympathique à l’égard de l’immigration et de questions connexes, et son créateur est dénoncé pour avoir suggéré que « la bonté humaine élémentaire est une valeur et [...] quelque chose que nous avons perdu ». C’est sans doute en partie à cause de ces sentiments que le film a du succès auprès du public.
La réaction hostile de certains milieux à l’égard de Superman, film relativement inoffensif basé sur une bande dessinée populaire, n’est pas directement liée au caractère artistique ou dramatique et à la qualité du travail de Gunn. Elle découle plutôt du niveau élevé des tensions sociales et politiques aux États-Unis et, en particulier, de l’extrême sensibilité des forces politiques réactionnaires à toute critique ou remise en question des rafles de l’ICE, semblables à celles de la Gestapo, contre la population immigrée et des politiques de Trump dans leur ensemble.
Ces questions se posent tout d’abord à propos de Superman, car l’« homme d’acier » est un « étranger », littéralement, envoyé par ses parents sur Terre lorsque leur propre planète, Krypton, fait face à la destruction.
Cette dernière version suit certaines lignes familières. Superman (David Corenswet) dissimule son identité « métahumaine » sous les traits du journaliste du Daily Planet Clark Kent (qui porte des « verres de lunettes hypnotisants » pour tromper les observateurs), travaillant aux côtés de Lois Lane (Rachel Brosnahan) et de Jimmy Olsen (Skyler Gisondo), tous deux journalistes et amis, sous la direction de Perry White (Wendell Pierce), un rédacteur en chef pragmatique.
L’ennemi juré de Superman, Lex Luthor (Nicholas Hoult), le richissime PDG de LuthorCorp, est à l’origine de l’invasion par la fictive Boravie de son pays voisin le Jarhanpur, que Superman est déterminé à empêcher. Luthor a fourni des milliards en armement au gouvernement corrompu de la Boravie et s’est vu secrètement promettre la moitié du territoire du Jarhanpur en cas de guerre et de conquête réussies.
Le super-héros est confronté à de sérieux défis et dangers, et passe une bonne partie du film sur la défensive, voire pire. Luthor, un « génie scientifique », dispose de nombreuses armes et technologies. Il parvient à convaincre le gouvernement américain et la population que « le Kryptonien » est une menace et qu’il doit être détenu dans un « univers de poche » et interrogé. Les projets fous de Luthor menacent finalement de détruire Metropolis et ses habitants.
Superman est aidé par d’autres métahumains, dont Green Lantern (Nathan Fillion), Hawkgirl (Isabel Merced) et Mister Terrific (Edi Gathegi), ainsi que Metamorpho (Anthony Carrigan), qui peut transformer son corps en diverses formes. Parmi les humains, Lois et Jimmy font leur part du travail. Il en va de même pour Krypto, le super-chien indiscipliné et amusant.
Gunn s’est fait un nom en particulier avec sa trilogie cinématographique des Gardiens de la Galaxie (2014, 2017, 2023), des films appréciés du public pour leur vision et leur approche décalées, irrévérencieuses et anti-establishment. Il a été renvoyé de la série par Disney en 2018 après avoir critiqué Donald Trump et qu’un commentateur de droite ait déterré des tweets offensants écrits par Gunn dix ans auparavant. Une pétition en ligne appelant Disney à réembaucher Gunn avait alors recueilli quelque 400.000 signatures. Il a finalement été réintégré en tant que réalisateur des Gardiens de la Galaxie Vol. 3 en 2021.
Gunn apporte à ce Superman une partie de sa touche personnelle relativement légère, avec son absence de prétention et son élégance visuelle. Fillion dans le rôle de Green Lantern et Gathegi, né au Kenya, dans celui de « Mister Terrific », pince-sans-rire et souvent exaspéré, sont charmants. Pourtant, en fin de compte, ses qualités attachantes ne suffisent pas à sauver Superman du fait que le film reste une affaire banale et largement caricaturale.
Pourquoi la droite fasciste pro-Trump s’insurge-t-elle alors ?
Tout d’abord, Gunn, dont le père est issu d’une famille d’immigrés irlandais, a eu l’audace de se moquer de Trump et de le condamner pour son attisement de la xénophobie et du chauvinisme en 2018.
James Gunn a en effet émis des commentaires après la rencontre de Trump avec les soi-disant « Angel Families », dans le cadre de ses efforts pour attirer l’attention du public sur les crimes prétendument commis par des immigrés. Le scénariste-réalisateur avait alors fait remarquer que Trump avait signé les photos des victimes, commentant, selon Deadline :
« Cet imbécile insensible a en fait autographié des photos d’enfants assassinés », a écrit Gunn sur Twitter. « Je ne sais pas pourquoi je suis si surpris qu’il ait signé ces photos. Or vous SAVEZ très bien que Trump se réveille tous les matins en espérant que davantage d’enfants soient assassinés par des immigrés afin que cela puisse l’aider dans les sondages. »
Les partisans flagorneurs du président-Führer n’ont jamais pardonné à Gunn ce commentaire entre autres.
L’incident relatif à Superman qui a suscité une colère immédiate de la droite est un commentaire que Gunn a fait dans le cadre d’une interview accordée au Sunday Times.
« Superman, c’est l’histoire de l’Amérique, dit Gunn. Un immigré qui est venu d’ailleurs pour peupler le pays. Mais pour moi, c’est surtout une histoire où faire preuve de bonté humaine élémentaire est une valeur que nous avons perdue. »
Dans un autre commentaire, Gunn dit :
« Nous pouvons nous attendre à ce que le personnage de Superman fasse preuve de compassion et d’humanité, qu’il parle de bonté, d’amour et de compassion, tout en étant un personnage très fort. Il représente le meilleur de l’humanité, même s’il est un étranger venu de l’espace. »
Face à des propos aussi scandaleux, Fox News s’est bien sûr emparé de la question. Sur des titres tels que « James Gunn : Superman est un immigré » et « Un héros de film emblématique embrasse des thèmes pro-immigration », l’ancienne conseillère principale de Trump et coanimatrice de Fox, Kellyanne Conway, a affirmé : « Nous n’allons pas au cinéma pour recevoir des leçons et pour que quelqu’un nous jette son idéologie à la figure, ajoutant, je me demande si ce film aura du succès ». Jesse Watters, de Fox, s’est moqué en disant que la cape de Superman devait porter l’inscription « MS13 », en référence au gang criminel.
Un autre coanimateur de Fox, Greg Gutfeld, s’en est pris personnellement à Gunn, affirmant : « Il crée autour de lui une ceinture de force constituée d’opinions woke. Il a un bouclier woke. »
L’éditorialiste d’extrême droite Clay Travis a réagi pour sa part à un titre de Variety, « James Gunn dit que son film Superman parle d’un “immigré qui est venu d’ailleurs” et que “faire preuve de bonté humaine élémentaire” est une valeur que nous avons “perdue”. “Oui, c’est politique” », en commentant de façon remarquable : « Je ne vais pas aller voir Superman maintenant. Le réalisateur est un crétin fini pour faire de telles déclarations publiques une semaine avant la sortie du film. Les États-Unis ont désespérément besoin de divertissements apolitiques, et Hollywood est incapable d’en fournir. »
Un autre commentateur droitiste a publié en ligne :
« Gunn est manifestement contrarié par le fait que le président Donald Trump déporte des immigrants illégaux par millions. Il considère que la conviction de Trump de protéger les États-Unis est peu aimable [...] Si une position ferme sur l’immigration illégale doit briser le faible cerveau d’un gauchiste hollywoodien, qu’il en soit ainsi. Le dévouement de Gunn à l’idéologie woke va probablement nuire encore plus à ses revenus. »
La vie politique a tellement basculé vers la droite aux États-Unis que des secteurs de l’establishment associés à l’administration actuelle trouvent les références aux immigrés et à la « bonté humaine » incroyablement exaspérantes, « gauchistes » et dangereuses.
Personne parmi eux n’avait apparemment vu le film. Ils étaient simplement et stupidement tous en train de s’agiter autour de ce qu’ils imaginaient ou s’attendaient à trouver dans le film.
En fait, il y a certaines scènes ou certains moments de Superman qui s’élèvent au-dessus du prévisible et qui sont troublants. L’une des séquences les plus troublantes se déroule dans la prison privée de Luthor, une imposante et effrayante série de cellules ou de cages en verre impénétrables, où le PDG de la technologie enferme tous ceux qui se mettent en travers de son chemin ou loue des unités « à des gouvernements qui veulent garder secrètes l’incarcération d’agitateurs politiques ». L’imagerie est inquiétante et efficace.
Rex Mason, ou Metamorpho, y est détenu dans le cadre du plan de Luthor visant à affaiblir Superman. De manière significative, Luthor fait chanter Mason/Metamorpho en le séparant de son fils, une référence claire à la politique de Trump qui consiste à briser les familles d’immigrés.
Malik Ali, un vendeur de falafels travaillant dans les rues de Metropolis, qui a aidé Superman dans ses combats, est menacé et finalement assassiné par Luthor dans le cadre de ses efforts pour forcer Superman à fournir des informations sur ses associés sur la Terre. Plus tôt, Malik lui avait rappelé : « Une fois, je t’ai donné des falafels gratuits. Tu avais alors sauvé une femme qui allait être frappée par un taxi. » Les sympathies du film sont ici évidentes.
Lorsque Superman est arrêté par Luthor et ses hommes de main, il se plaint : « Je suis venu de mon propre chef. Personne ne m’a lu mes droits. » Ce à quoi Luthor lui rétorque : « Ces droits ne s’appliquent pas aux organismes étrangers. Par conséquent, à ce stade-ci, Superman, aucun droit n’a à vous être lu. »
Lors de leur dernière confrontation, Luthor éclate :
– Espèce d’étranger de merde !
Et Superman de répondre :
– C’est là que tu t’es toujours trompé à mon sujet, Lex. Je suis aussi humain que n’importe qui. J’aime, j’ai peur. Je me réveille tous les matins et même si je ne sais pas quoi faire, je mets un pied devant l’autre et j’essaie de faire les meilleurs choix possibles. Je me plante tout le temps. Mais c’est cela être humain. Et c’est ma plus grande force.
Le film s’attaque également à la propagation des rumeurs sur les médias sociaux et l’atmosphère de réaction qui y règne. Dans une brève scène, on voit une armée virtuelle de singes contrôlés par ordinateur diffuser en ligne de la propagande négative et des informations erronées sur Superman. Lois lui dit à un moment donné : « Les gens sur les réseaux sociaux sont méfiants parce que tu es un étranger, n’est-ce pas ? »
Bien que l’invasion perpétrée par la Boravie contre son voisin soit une possible référence confuse au conflit entre la Russie et l’Ukraine, la vue de soldats et de chars lourdement armés affrontant des civils pratiquement sans défense dans le désert fait inévitablement penser aux horreurs de Gaza.
Il est presque devenu banal à ce stade-ci de dépeindre au cinéma et à la télé les milliardaires sous les couleurs les plus sombres possible (Succession, Mountainhead, etc.) et de les identifier à l’inégalité maligne, à la répression politique et à la violence. Luthor prend toute sa place dans cette catégorie, décrit dans le film comme quelqu’un qui « veut devenir roi ».
Encore une fois, tous ces éléments admirables de Superman ne produisent pas le type de critique sociale plus complète et plus élaborée que l’on peut trouver, par exemple, même dans une autre œuvre de divertissement populaire comme Andor de Tony Gilroy, mais l’hystérie de droite n’est pas simplement que de la paranoïa. Ces forces sentent, à juste titre, que leurs mesures fascistes sont largement méprisées et qu’elles sont de plus en plus attaquées sur le plan artistique et politique.
Gunn, qui a été élevé dans la religion catholique, a déclaré qu’il était, « d’une certaine manière, anti-religion ». On a cependant parfois l’impression que son Superman, qui est plus souvent qu’à son tour battu et puni, voire « flagellé » dans ce film, prend une coloration légèrement christique. La bonté humaine élémentaire et naïve, dans la lignée du Sermon de la Montagne, est le credo de notre héros. Le film laisse entendre que « faire confiance à tout le monde » et « penser que tout le monde est beau, tout le monde est gentil » constituent un point de vue véritablement avant-gardiste et radical dans notre cynique monde contemporain.
Or, tel n’est pas le cas. Mais la réaction consternée et exaspérée des partisans de Trump devant un tel concept – à savoir essentiellement que le fait de simplement suggérer que l’on devrait faire preuve de décence élémentaire envers les autres, y compris les « étrangers », comme étant quelque chose qui s’apparente à un « discours » bolchevique – révèle le gouffre social et moral béant qui prévaut aux États-Unis et les inévitables confrontations politiques féroces qui vont s’ensuivre.