Sahra Wagenknecht, ex-dirigeante du Parti de gauche ayant fait scission pour former le BSW (Bündnis Sarah Wagenknecht), un parti anti-migrants, appelle à une coopération politique plus étroite avec le parti d'extrême‑droite et fasciste AfD (Alternative pour l’Allemagne) et à faire participer ce dernier aux gouvernements des Länder (régions). Dans plusieurs interviews et déclarations vidéo, elle a affirmé que la politique d'exclusion politique menée jusqu'alors à l’égard de l’AfD et les discours de «pare-feu» étaient «erronés, antidémocratiques et contre-productifs».
Pour les prochaines élections régionales en Saxe-Anhalt, Wagenknecht a proposé une coalition entre les chrétiens-démocrates (CDU) et l'AfD. Elle a qualifié d'absurde le fait qu'à Magdebourg, la capitale du Land, la CDU forme une coalition tripartite avec les sociaux-démocrates (SPD) et les libéraux-démocrates (FDP) – qui ont tous deux obtenu moins de 10 pour cent des voix (SPD 8,4 pour cent; FDP 6,4 pour cent) – simplement pour empêcher l'AfD, qui a obtenu 20,8 pour cent, d'accéder au gouvernement.
Ce ne serait pas la première fois que le gouvernement du Land de Saxe-Anhalt donne le coup d’envoi d’un renversement politique. Au début des années 1990, le «modèle de Magdebourg» porta le PDS – rebaptisé plus tard Die Linke (Parti de gauche) – au gouvernement pour la première fois dans cette région peu peuplée bordant l'Elbe et englobant d'anciens centres industriels comme Halle et Bitterfeld-Wolfen.
Aujourd'hui, Wagenknecht propose un nouveau modèle pour Magdebourg afin d'amorcer la participation de l'AfD au gouvernement. Elle insiste à qui veut bien l’entendre sur sa volonté de dialoguer avec l' AfD, même au niveau national. Elle a déclaré à l'agence de presse allemande DPA: « Si vous me demandez si je parlerais à M. Chrupalla pour une raison précise, comme ce fut le cas dans la conversation entre chefs de groupe parlementaire en Thuringe, je réponds par l'affirmative, bien sûr. »
Fin juin, Frank Augsten, président du groupe parlementaire du BSW en Thuringe, s'est entretenu pendant deux‑heures avec Björn Höcke, chef du groupe parlementaire de l'AfD et chef de file de l'aile extrémiste de droite de l' AfD qu’on est autorisé, par décision de justice, à qualifier de fasciste. Augsten, un ex-dirigeant du Parti vert pendant plus de 30 ans, n'a rejoint le BSW que l'année dernière.
Höcke et Augsten ont tous deux qualifié la réunion de constructive et axée sur la recherche de solutions. Ils auraient discuté de la levée des blocages de l'AfD lors de la nomination de juges à vie. Le dialogue devait se poursuivre après les vacances d'été, mais aucun autre détail n'a été divulgué.
En Thuringe, l'AfD obtient 32,8 pour cent des voix, ce qui en fait de loin le parti le plus fort avec 32 sièges au parlement du Land, disposant ainsi d'une minorité de blocage. Le BSW y fait partie d'une coalition avec la CDU et le SPD. Wagenknecht s'est opposée à entrer dans ce gouvernement après les élections de septembre dernier, car les voix combinées de l'AfD et du BSW constituaient une majorité supérieure à celles de la CDU, du SPD et du Parti de gauche réunis. Depuis l'opposition, l'AfD et le BSW pourraient effectivement dominer la politique gouvernementale.
Wagenknecht traite de «discussion fantôme» les récits de collaboration avec l’AfD mais insiste en même temps pour dire que la mise à l’écart politique de l’AfD doit prendre fin.
Les médias ont décrit le dialogue entre l'AfD et le BSW ainsi que leurs démentis simultanés de collaboration plus étroite comme du « théâtre estival ». Selon eux, Wagenknecht cherche à attirer l'attention des médias pendant la période calme des vacances, après avoir perdu sa tribune nationale suite à son échec de justesse à atteindre le seuil des 5 pour cent de voix aux législatives – le BSW ayant obtenu 4,98 pour cent.
Cette interprétation est toutefois très superficielle. Le rapprochement de Wagenknecht avec l'AfD est réel et reflète la rapide marche à droite de tous les partis comme de l'ensemble de l'establishment politique.
Depuis que le gouvernement fédéral a adopté le plus vaste programme de réarmement depuis l'ère nazie et a axé tous les aspects de sa politique sur les préparatifs de guerre et le soutien militaire à l'Ukraine dans le conflit de l'OTAN avec la Russie, il ne se passe pas un jour sans annonces de coupes sociales massives et de mesures d'austérité dans tous les secteurs de la société. Cette politique de réarmement, financée par la casse sociale, est incompatible avec des structures démocratiques et transforme les relations politiques traditionnelles.
L' AfD a été délibérément construite, promue par les médias et soutenue par des réseaux d'extrême droite au sein de l'appareil de sécurité et de renseignement de l’État, dans le but de faire prendre à l'opposition populaire croissante au réarmement et aux coupes sociales une trajectoire raciste et nationaliste, et de la réprimer. Cette évolution a été rendue possible par la politique droitière de partis prétendument «de gauche» – le SPD et les Verts – qui s'opposaient jadis à la guerre et prônaient des améliorations sociales. Aujourd'hui, ces partis sont les principaux fauteurs de guerre, et le Parti de gauche ne s'en distingue que par le fait qu'il dissimule son soutien à la politique gouvernementale derrière des phrases sur la diplomatie plutôt que la guerre et sur plus de justice sociale.
Que l'AfD soit désormais plus amplement intégrée au gouvernement par l'intermédiaire d'un groupe dissident du Parti de gauche n'est pas si surprenant qu'il n’y paraît à première vue. Des collaborations entre des partis se qualifiant de gauche, voire de socialistes, et des partis d'extrême droite ont déjà existé. Syriza, le parti frère de Die Linke en grèce, en est le meilleur exemple.
Il y a dix ans, en janvier 2015, Syriza, la «Coalition de la gauche radicale», est arrivée au pouvoir grâce à un soutien massif, ayant promis de mettre fin aux mesures d’austérité brutales de l’UE – en particulier celles imposées par le gouvernement allemand – mises en œuvre par les gouvernements précédents du PASOK et de la ND.
Immédiatement après sa victoire électorale Syriza a abandonné toute prétention d’être de gauche, a formé une coalition avec le parti d'extrême droite ANEL (‘‘Grecs indépendants’’) et a promptement mis en œuvre tous les plans d'austérité exigés par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international (la « troïka »). Ces mesures comprenaient 15 coupes dans les retraites, des baisses de salaires, des hausses d'impôts, des suppressions d'emplois et des coupes budgétaires dans les services sociaux, l'éducation et la santé. Les conséquences catastrophiques subies par la classe ouvrière grecque persistent encore aujourd'hui.
À l’époque, nous avions écrit:
Il est difficile de trouver, même dans toute l’histoire sordide de la politique petite-bourgeoise «de gauche », un exemple de duperie, de cynisme et de lâcheté positivement répugnante qui égale celui du premier ministre Tsipras. Du point de vue du temps écoulé entre les élections et la trahison, le gouvernement Syriza a probablement établi un nouveau record du monde.
Aujourd'hui, le Parti de gauche et son rejeton, le BSW, jouent un rôle similaire, chacun se concentrant sur des aspects différents. Tandis que Sahra Wagenknecht et son BSW prônent une plus grande implication de l'AfD au gouvernement, le Parti de gauche se présente en adversaire supposé de l'AfD et cherche à conduire l'opposition croissante au fascisme et à la chasse aux réfugiés dans le cul-de-sac politique d'une imaginaire réforme du capitalisme.
Des responsables du Parti de gauche comme Heidi Reichinnek dont le discours politique se limite à des platitudes de gauche, tentent de donner l’impression que tous les problèmes – réarmement militaire, coupes sociales massives, licenciements massifs, destruction de l’environnement, etc. – peuvent être résolus dans le cadre des conditions capitalistes existantes.
Comme s’il cherchait à réfuter la brochure Réforme ou Révolution? de la grande marxiste Rosa Luxembourg, le Parti de gauche prône l’humanisation de l’exploitation capitaliste et complète la politique de guerre par des appels à plus de diplomatie, tout en rejetant résolument toute perspective socialiste révolutionnaire.
Wagenknecht lie sa défense du capitalisme à un nationalisme extrême et une xénophobie hystérique. Son approche l'aligne directement sur l'idéologie de l'AfD. Lors du congrès de son parti en janvier, elle a attaqué les partis du Bundestag (Parlement allemand) depuis la droite, les accusant de trahir les intérêts allemands et de se soumettre à Washington. Il est frappant qu’elle n'ait pas à l’époque condamné le programme fascisant de l'AfD mais son étroite collaboration avec Donald Trump et son conseiller d’alors, le multimilliardaire Elon Musk.
Wagenknecht avait déclaré sous les applaudissements: «Peut-être que l'AfD devrait se renommer d'Alternative pour l'Allemagne en 'réarmer pour Donald'.» Car, en substance, c’était «à peu près ce qu'est leur programme actuel: s'armer pour Donald.»
On ignore encore jusqu'où s'étendra la collaboration entre le BSW et l'AfD, mais Wagenknecht a déjà clairement indiqué qu'elle était prête à tout pour mettre en œuvre son programme nationaliste. Le Parti de gauche dont elle est issue n'est pas une alternative, il fait partie du virage à droite.
(Article paru en anglais le 10 juillet 2025)