Richard Colvin, diplomate récemment retraité et lanceur d'alerte, a fourni des preuves détaillées montrant que lors de la première année (2006-2007) de sa mission anti-insurrectionnelle à Kandahar, en Afghanistan, l'armée canadienne a secrètement détenu et transféré plus de 1000 personnes afin qu'elles soient torturées par le régime de Hamid Karzaï, pantin des États-Unis.
Colvin, qui a occupé pendant six ans des postes diplomatiques de haut niveau à Kandahar et dans les ambassades canadiennes à Kaboul et à Washington, a plongé le gouvernement conservateur de Harper dans une crise en 2009 lorsqu'il a témoigné devant une commission parlementaire que les Forces armées canadiennes (FAC) transféraient régulièrement des détenus vers les prisons notoirement brutales du régime néocolonial mis en place à la suite de l'invasion américaine de l'Afghanistan en 2001.
Ses nouvelles allégations, qui sont documentées dans un rapport non publié de 1000 pages soumis à ses supérieurs au ministère des Affaires mondiales il y a treize mois et ensuite partagé avec des journalistes du Globe and Mail, sont encore plus accablantes que son témoignage initial. Les preuves de Colvin, recueillies auprès de « centaines de sources publiques et privées, y compris des rapports d'enquêtes publiques, des déclarations militaires officielles et des mémoires d'anciens soldats », montrent que les FAC ont commis des crimes de guerre systématiques à Kandahar, que le commandement militaire et le gouvernement Harper ont désespérément tenté de dissimuler.
La révélation de ces crimes de guerre impérialistes intervient alors que l'impérialisme canadien et ses alliés américains sont directement complices d'actes criminels à une échelle encore plus grande. Depuis octobre 2023, Ottawa et Washington appuient pleinement le génocide perpétré par le régime sioniste contre les Palestiniens à Gaza et ont œuvré sans relâche pour faire taire toute opposition à cet égard. Ce génocide s'inscrit dans la volonté de l'impérialisme américain de consolider son hégémonie sur l'ensemble du Moyen-Orient, riche en pétrole, qui s'est intensifiée le mois dernier avec le déclenchement d'une guerre illégale contre l'Iran. Le Canada a soutenu sans réserve les bombardements israéliens et américains.
Les recherches de Colvin face à l'hostilité officielle
Basé sur plus d'une décennie de recherches menées personnellement par Colvin, le document présenterait un compte rendu détaillé de la mission militaire et des multiples enquêtes sur le rôle des FAC dans la torture de détenus afghans, qui ont été entravées puis finalement abandonnées sous le gouvernement conservateur de Harper, avant d'être enterrées sans ménagement par les libéraux de Justin Trudeau. Bien qu'il ne soit pas opposé à l'impérialisme canadien, Colvin a persévéré dans son travail pour mettre en lumière les crimes de guerre des FAC, malgré les efforts de l'ensemble de la classe politique pour étouffer la question.
À partir du printemps 2006, l'armée canadienne a joué un rôle de premier plan dans la lutte anti-insurrectionnelle acharnée dans la province de Kandahar, berceau historique des talibans. Au cours de la première année de cette campagne, Colvin affirme que jusqu'à 90 % des Afghans détenus par les FAC ont disparu des registres officiels. Il estime que le Canada a secrètement transféré jusqu'à 1200 détenus au régime fantoche afghan des États-Unis et de l'OTAN, largement connu pour son recours à la torture comme « procédure opérationnelle standard ».
Les prisonniers du régime Karzaï étaient soumis à des violences horribles, allant de coups réguliers, de décharges électriques, de privation de sommeil et d'agressions sexuelles, jusqu'à des meurtres extrajudiciaires. La connaissance de ces pratiques était largement répandue au moment où les FAC ont commencé leur mission à Kandahar, comme l'ont reconnu les rapports de l'ONU, de la Commission indépendante des droits de l'homme en Afghanistan (AIHRC) et même le département d'État américain.
Colvin affirme que ce programme massif de transferts secrets de détenus aux forces de sécurité afghanes constituait un crime de guerre international au sens des Conventions de Genève et du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. « Le transfert délibéré de prisonniers vers un lieu où ils courent un risque important d'abus, de torture ou de meurtre est, à première vue, un crime de guerre grave », a-t-il déclaré. « Il en va de même pour leur disparition forcée. »
« Personnes sous surveillance » plutôt que prisonniers de guerre
Dans une tactique empruntée aux brutales campagnes de contre-insurrection menées par l'armée américaine en Afghanistan et en Irak, les FAC ont qualifié la grande majorité des personnes qu'elles détenaient à Kandahar de « personnes sous surveillance » ou « PUC – Persons Under Control », plutôt que de prisonniers, afin de contourner les conventions de Genève sur le traitement des prisonniers de guerre.
En vertu d'un accord conclu en 2005 entre le régime Karzaï et les responsables militaires canadiens, le Canada devait informer le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) chaque fois que des soldats canadiens transféraient un prisonnier aux forces afghanes. Cet accord ne donnait toutefois au Canada aucun droit d'accès aux détenus placés sous la garde des autorités afghanes. Bien que le CICR ait inspecté les prisons afghanes, il n'a communiqué ses conclusions qu'au régime Karzaï lui-même, car sa propre charte et des décennies de pratique lui interdisaient de divulguer ses évaluations à des tiers.
Néanmoins, l'armée canadienne a cherché à échapper même à ce niveau de contrôle de son traitement des détenus. Sur les 1200 personnes qui, selon les estimations de Colvin, ont été détenues entre le printemps 2006 et 2007, les FAC n'ont signalé au CICR que 129 prisonniers officiels. Au lieu de cela, elles ont classé jusqu'à 90 % des personnes qu'elles détenaient comme PUC afin d'éviter d'informer le CICR qu'elles avaient disparu dans les prisons et les salles d'interrogatoire de la police secrète afghane.
Colvin a qualifié cette pratique de « politique non autorisée et non déclarée » menée à « grande échelle ». Il a noté que le nombre de détenus canadiens était environ 45 fois supérieur à celui des personnes détenues par les forces britanniques dans le sud de l'Afghanistan, alors que les forces militaires britanniques étaient plus importantes. Cet afflux massif de détenus était le résultat des tactiques brutales de contre-insurrection déployées par les FAC à Kandahar, qui terrorisaient la population civile afin d'affirmer leur contrôle sur la province et de réprimer l'insurrection des talibans qui s’intensifiait.
Colvin a décrit un incident qui s'est produit le 17 mai 2006, lorsque des soldats canadiens ont encerclé un village afghan dans le cadre d'une opération de « bouclage et de fouille ». Les FAC ont détenu et transféré au moins 62 personnes aux autorités afghanes ce jour-là, un total basé sur le rapport d'une commission d'enquête ultérieure et les mémoires d'anciens officiers militaires. Tous les détenus ont été classés comme PUC. « Le nombre officiel de détenus canadiens pour cette journée était de zéro », a-t-il noté.
Une fois capturés, les détenus ont été transférés si rapidement que l'armée canadienne n'a jamais su qui ils étaient, ni même s'ils étaient liés à l'insurrection. Comme Colvin l'a déclaré devant une commission parlementaire en 2009, « Certains de ces Afghans étaient peut-être des fantassins ou des combattants occasionnels [des talibans]. Mais beaucoup n'étaient que des gens du coin : des agriculteurs, des camionneurs, des tailleurs, des paysans ; des êtres humains pris au hasard au mauvais endroit au mauvais moment ; des jeunes hommes dans leurs champs et leurs villages qui étaient complètement innocents mais qui ont néanmoins été arrêtés. »
« En d'autres termes, a poursuivi Colvin, nous avons détenu et livré à de graves tortures beaucoup de personnes innocentes. »
Tandis que l'armée gérait le flux de détenus vers le régime Karzaï, les fonctionnaires civils canadiens du ministère des Affaires étrangères (tel qu'il était alors connu) ont activement dissimulé ces crimes de guerre. Lorsque Colvin, qui était diplomate de haut rang à Kandahar en 2006 et à l'ambassade du Canada à Kaboul en 2007, a porté à l'attention de ses supérieurs des informations faisant état de tortures infligées à des détenus, il a été rabroué. Les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères ont ouvertement découragé les diplomates en Afghanistan de signaler le traitement réservé aux détenus par les Forces armées canadiennes (FAC) : ceux qui ont maintenu cette politique du silence ont été promus aux plus hauts rangs, tandis que les diplomates qui ne se sont pas «conformés » ont été punis, privés de promotion et menacés de poursuites par des avocats fédéraux.
Pendant toute la durée du déploiement canadien à Kandahar, les Forces armées canadiennes (FAC) n'ont jamais officiellement informé les autorités civiles des centaines de personnes détenues qu'elles avaient transférées aux autorités afghanes : les hauts diplomates du gouvernement Harper étaient impatients de fermer les yeux.
Les révélations sur la torture provoquent une crise politique et Harper suspend le Parlement
Au début de l'année 2007, les révélations sur les traitements horribles infligés aux détenus par le gouvernement afghan – initialement découvertes dans des documents internes de la police militaire canadienne sur le sort de trois détenus, puis confirmées par les témoignages d'autres détenus dans la presse – ont choqué l'opinion publique et déclenché une crise politique qui a finalement conduit le gouvernement conservateur minoritaire de Stephen Harper à suspendre le Parlement.
À la suite d'une plainte déposée par la BC Civil Liberties Association et Amnesty International, le Parlement a lancé une enquête sur le traitement des détenus des Forces armées canadiennes (FAC) dans le cadre de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire (CEPPM). Les conservateurs de Harper ont réagi par une campagne virulente de mensonges, d'obstruction et d'intimidation à l'encontre de quiconque osait remettre en question les actions de l'armée.
Au départ, le ministre conservateur de la Défense, Gordon O'Connor, ancien brigadier-général et vétéran des FAC depuis 30 ans, a répondu aux allégations de torture des détenus par des mensonges éhontés. Il a déclaré au Parlement que « la Croix-Rouge ou le Croissant-Rouge est chargé de superviser leur traitement une fois que les prisonniers sont entre les mains des autorités afghanes. Si leur traitement laisse à désirer, la Croix-Rouge ou le Croissant-Rouge nous en informeraient et nous prendrions des mesures ».
Cette affirmation était manifestement fausse et, à la lumière des révélations de Colvin sur la manière dont les FAC cherchaient à échapper au contrôle du CICR, tout à fait hypocrite. Les responsables du CICR ont directement contredit O'Connor, soulignant qu'ils n'étaient pas chargés de surveiller l'accord de transfert entre les FAC et le régime Karzaï, et qu'ils n'étaient pas autorisés à révéler au Canada les résultats de leur enquête sur les prisons afghanes.
Malgré le fait que Colvin ait envoyé plus d'une douzaine de rapports sur le traitement des détenus aux hauts responsables des FAC à ses supérieurs au ministère des Affaires étrangères et au cabinet du Premier ministre, ainsi que les nombreux rapports sur les conditions dans les prisons afghanes publiés par l'ONU, la Commission afghane des droits de l'homme et le département d'État américain, le gouvernement Harper a incroyablement prétendu qu'il n'avait aucune raison de croire que les autorités afghanes maltraitaient les détenus avant que des témoignages de torture ne soient publiés dans la presse.
Parallèlement à ses mensonges éhontés au public, le gouvernement Harper a lancé une campagne juridique pour empêcher toute enquête publique sur les crimes de guerre commis par l'armée canadienne. Il a demandé une injonction pour mettre fin à l'enquête de la MPCC sur le traitement des détenus, et lorsque cette tentative a échoué, les conservateurs ont fait tout leur possible pour entraver son travail. Ils ont envoyé des lettres de menace aux témoins qui devaient comparaître devant la CEPPM et ont pris des mesures pour empêcher les témoins, dont Colvin, de comparaître au motif que leur témoignage violerait les dispositions relatives à la sécurité nationale de la Loi antiterroriste de 2001. Le gouvernement a refusé de fournir à la CEPPM les documents qu'elle avait demandés dans le cadre de son enquête ; les quelques documents qu'il a bien voulu remettre étaient largement caviardés, souvent avec des pages entières noircies.
Lorsque Colvin a été empêché de témoigner devant la CEPPM, les députés de l'opposition ont voté pour l'inviter à témoigner devant une commission parlementaire à l'automne 2009, lui accordant ainsi l'immunité contre les poursuites en vertu de la Loi antiterroriste. Les libéraux et le Nouveau Parti démocratique ont alors demandé une enquête publique sur le transfert de détenus des Forces armées canadiennes (FAC) vers des pays où ils risquaient d'être torturés, non pas en tant qu'opposants aux crimes de l'impérialisme canadien, mais comme moyen d'embarrasser les conservateurs et de préserver le mythe des FAC en tant que « gardiens de la paix » et protecteurs des « droits de l'homme ».
Le gouvernement Harper a déployé des efforts extraordinaires pour entraver le travail de cette commission parlementaire : il a refusé de lui fournir des documents relatifs à la question des détenus afghans pour des raisons de sécurité nationale, et les membres conservateurs ont boycotté la commission, la privant ainsi du quorum. Lorsque l'opposition a adopté une motion au Parlement enjoignant au gouvernement de fournir les documents à la commission, le gouvernement Harper l'a ouvertement défiée.
Pendant tout ce temps, les conservateurs ont calomnié les détracteurs des crimes de guerre commis par l'armée canadienne, les qualifiant de « pro-talibans » qui sapaient l'armée et l'effort de guerre. Dans un discours belliqueux prononcé sur un navire de guerre, Harper a déclaré aux soldats des FAC : « Vivant comme nous le faisons, à une époque où certains acteurs de la scène politique n'hésitent pas à lancer les accusations les plus graves contre nos hommes et nos femmes en uniforme, sur la base des preuves les plus fragiles, rappelez-vous que les Canadiens d'un océan à l'autre sont fiers de vous et vous soutiennent, et que je suis fier de vous et je vous soutiens. »
Secoué par les révélations sur la complicité des FAC dans des actes de torture et son propre rôle dans la dissimulation de ces crimes de guerre, et face à la propagation rapide d'un sentiment anti-guerre dans la classe ouvrière, le gouvernement Harper a utilisé ses pouvoirs pour suspendre le Parlement en décembre 2009 et mettre fin aux travaux de la commission parlementaire chargée d'enquêter sur ces abus. C'était la deuxième fois en un peu plus d'un an que Harper prorogeait le Parlement pour endiguer une crise politique. À la fin de 2008, en pleine crise financière mondiale, Harper avait convaincu le gouverneur général non élu de fermer le Parlement afin d'empêcher les partis d'opposition de renverser son gouvernement minoritaire et de le remplacer par une coalition libérale-néo-démocrate. Soulignant le caractère sans précédent des actions de Harper, le World Socialist Web Site les a qualifiées à juste titre à l'époque de coup d'État constitutionnel. Comme en 2008, le court-circuitage antidémocratique du Parlement par le gouvernement Harper en 2009 a été accueilli avec une approbation écrasante par l'élite dirigeante du Canada.
En fin de compte, l'opposition s'est efforcée d'éviter une crise politico-constitutionnelle et s'est jointe à l'effort visant à dissimuler les crimes de guerre commis par les Forces armées canadiennes en acceptant une proposition conservatrice selon laquelle les documents relatifs à la question des détenus afghans seraient examinés par un petit comité de députés spécialement sélectionnés et tenus au secret. Le gouvernement Harper a caché pendant des mois les documents non censurés à ce comité, avant de jeter cyniquement 40 000 pages de documents à un comité d'examen composé de trois personnes, lorsqu'il a été menacé d'être accusé d'outrage au Parlement. Lorsque les conservateurs ont remporté la majorité aux élections de 2011, ils ont purement et simplement dissous le comité.
Bien qu'ils se soient présentés comme les défenseurs des « droits de la personne » et aient demandé une enquête publique sur la torture des détenus afghans lorsqu'ils étaient dans l'opposition en 2009, les libéraux de Justin Trudeau ont adopté sans réserve la position du gouvernement Harper lorsqu'ils sont arrivés au pouvoir en 2015. L'année suivante, le ministre de la Défense de l'époque, Harjit Sajjan, qui avait servi comme officier du renseignement des Forces armées canadiennes pendant la mission de combat en Afghanistan, a répondu à une pétition demandant l'ouverture d'une enquête publique sur la question en blanchissant les activités criminelles de l'armée et en rejetant catégoriquement toute enquête. « Tout au long des opérations militaires en Afghanistan, le gouvernement du Canada a veillé à ce que les personnes détenues par les Forces armées canadiennes soient traitées avec humanité et soient transférées ou libérées conformément à nos obligations en vertu du droit international », a déclaré Sajjan.
La guerre en Afghanistan : l'impérialisme canadien abandonne son masque de « gardien de la paix »
Les crimes de guerre commis par l'armée canadienne en Afghanistan, ainsi que la complicité des responsables gouvernementaux et des politiciens qui ont permis et blanchi ces crimes, étaient une conséquence directe de la nature impérialiste et néocoloniale de la guerre. La guerre en Afghanistan a été la première d'une série interminable de guerres déclenchées par l'impérialisme américain dans le Grand Moyen-Orient sous le prétexte de la « guerre contre le terrorisme », qui ont dévasté des sociétés entières, tué des millions de personnes et chassé des dizaines de millions d'autres de leurs foyers, les transformant en réfugiés. À travers cette explosion de violence impérialiste, les États-Unis ont cherché à établir par la force leur domination sur cette région riche en ressources et stratégiquement cruciale, au détriment de leurs rivaux iraniens, russes et chinois. Le Canada, aux côtés de ses alliés de l'OTAN, s'est profondément impliqué dans les guerres menées par les États-Unis et a joué un rôle clé dans le soutien des opérations militaires américaines.
Le rôle de l'armée canadienne dans la guerre en Afghanistan a été un moyen essentiel pour la classe dirigeante canadienne d'approfondir son alliance de longue date avec les États-Unis lors de cette explosion d'agression impérialiste. Entre le début de la guerre en 2001 et la fin de la dernière mission des Forces armées canadiennes (FAC) en 2014, le Canada a envoyé plus de 40 000 soldats en Afghanistan, ce qui en a fait le plus important déploiement militaire canadien depuis la Seconde Guerre mondiale. 158 membres des FAC ont été tués et plus de 100 se sont suicidés par la suite.
Les navires de la marine canadienne ont soutenu l'invasion initiale de l'Afghanistan par les États-Unis en octobre 2001, tandis que les forces spéciales canadiennes sont arrivées sur le terrain plus tard dans l'année. Les soldats des FAC ont été déployés à Kaboul en 2003 dans le cadre de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) de l'OTAN, et le lieutenant-général canadien Rick Hillier a pris le commandement de la FIAS au début de 2004. En 2005, l'intervention canadienne s'est considérablement intensifiée lorsque le premier ministre libéral Paul Martin a accepté de doubler le déploiement de troupes en Afghanistan et de confier aux FAC le commandement de la guerre contre l'insurrection dans la province de Kandahar. Cette décision s'inscrivait dans le cadre d'un accord avec Washington qui libérait davantage de troupes américaines pour combattre en Irak et visait à expier publiquement la décision du gouvernement libéral précédent de ne pas participer à l'invasion de l'Irak en 2003 – même si, comme l'émissaire canadien de George W. Bush, Paul Cellucci, l'a admis plus tard, l'armée canadienne a fait beaucoup plus en coulisses pour soutenir la guerre américaine en Irak que la plupart des membres de la « coalition des volontaires ».
C'est à Kandahar que les FAC ont mené, pendant cinq ans, les combats les plus sanglants de la guerre. À son apogée, près de 3000 membres des FAC étaient déployés en même temps, combattant aux côtés des forces afghanes dans des descentes de porte à porte et des opérations de bouclage et de fouille. Dans le cadre de la FIAS, les FAC ont travaillé en étroite collaboration avec les forces d'occupation du Royaume-Uni et de l'Australie, qui ont également cherché à nier et à faire disparaitre les preuves des atrocités qu'elles ont commises en Afghanistan, notamment la torture et les exécutions extrajudiciaires de civils. Les crimes de guerre qu'elles ont commis en tentant de réprimer la résistance contre les marionnettes corrompues et brutales mises en place par l'impérialisme américain n'ont fait que renforcer la haine populaire envers le régime néocolonial de Kaboul, qui s'est effondré de manière ignominieuse en août 2021.
Si l'élite dirigeante canadienne a utilisé la mission militaire en Afghanistan pour renforcer son alliance avec l'impérialisme américain – principal moyen de poursuivre ses propres intérêts impérialistes –, elle a également utilisé la guerre sur le plan intérieur pour transformer l'image des FAC, passant de « gardiens de la paix » à une force interventionniste agressive, et pour attiser un nationalisme canadien belliqueux et explicitement militariste. Alors que les nationalistes canadiens avaient longtemps présenté l'armée comme une force bienveillante, l'élite dirigeante a reconnu que, selon les termes du ministre libéral des Affaires étrangères John Manley en 2001, « si vous voulez jouer un rôle dans le monde, cela a un coût ». Le général Rick Hillier a été encore plus direct. « Nous ne sommes pas la fonction publique du Canada », a-t-il déclaré. « Nous sommes les Forces canadiennes, et notre travail consiste à être capables de tuer des gens. »
L'establishment politique et médiatique a pleinement adhéré à la rhétorique de la « guerre contre le terrorisme » de l'impérialisme américain, justifiant l'invasion de l'Afghanistan comme une réponse au 11 septembre et affirmant qu'elle apportait les « droits des femmes » et la « liberté » à un pays dominé par les « barbares » talibans. L'État a renforcé ses pouvoirs répressifs avec une série de lois antidémocratiques, comme la Loi antiterroriste de 2001, et, au nom de la « guerre contre le terrorisme », a facilité la torture de citoyens canadiens comme Maher Arar et Omar Khadr. Les politiciens et les éditorialistes ont calomnié les opposants à la guerre et au militarisme canadien en les qualifiant de « pro-talibans » et de « sympathisants terroristes ». Confronté aux preuves de sa complicité dans les crimes de guerre en Afghanistan, l’establishment politique canadien a défié toutes les normes démocratiques pour étouffer l'affaire.
Au cours des décennies qui ont suivi, l'élite dirigeante canadienne a continué à poursuivre ses ambitions impérialistes de manière aussi agressive que possible, servant de partenaire junior loyal à l'impérialisme américain alors que celui-ci déclenchait une guerre globale sur plusieurs fronts : frappes aériennes lors du renversement du régime de Kadhafi en Libye en 2011, en Irak et en Syrie pendant la guerre civile syrienne en 2014-2015, au rôle clé qu'elle continue de jouer dans l'armement et le soutien des mandataires ukrainiens de l'OTAN dans la guerre contre la Russie.
Alors que la deuxième administration Trump intensifie la guerre au Moyen-Orient, exacerbe le génocide à Gaza et accélère les plans de l'armée américaine pour mener une guerre contre la Chine, toutes les sections de l'élite canadienne cherchent désespérément à préserver leur alliance stratégique avec Washington. Alors que les dernières révélations de Colvin sur les crimes de guerre canadiens en Afghanistan ont été passées sous silence, tous les partis de l'establishment politique – des conservateurs et des libéraux au Bloc québécois, favorable à l'indépendance du Québec, en passant par le NPD, soutenu par les syndicats – se sont engagés à augmenter considérablement les dépenses militaires de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Comme il l'a fait en Afghanistan, l'impérialisme canadien veut revendiquer sa place dans le cadre du nouveau découpage impérialiste du monde – quel qu'en soit le coût – en participant à la troisième guerre mondiale. La seule force sociale capable de mettre fin à cette politique guerrière insensée est la classe ouvrière canadienne et internationale, mobilisée dans la lutte sur la base d'un programme socialiste et internationaliste visant à mettre fin à la guerre impérialiste et au système capitaliste qui l’engendre.
(Article paru en anglais le 8 juillet 2025)