Les négociations entre le premier ministre Mark Carney, les principaux collaborateurs de son gouvernement libéral et la Maison-Blanche sur un nouveau « cadre économique et sécuritaire » entre le Canada et les États-Unis ont repris cette semaine après que le président américain Donald Trump les ait brusquement annulées vendredi dernier.
Dans un bref message publié sur les réseaux sociaux, Trump a mis fin aux négociations en invoquant l'entrée en vigueur imminente de la nouvelle taxe sur les services numériques d'Ottawa. L'administration Trump, comme celle du démocrate Joe Biden avant elle, s'est vivement opposée à cette taxe, qui obligerait Meta, Alphabet (Google), Amazon et d'autres géants technologiques basés aux États-Unis à payer des impôts sur les énormes profits qu'ils génèrent au Canada grâce à leurs services en ligne.
Surpris par l'action de Trump, le Canada a rapidement battu en retraite. Dimanche soir, Carney a annoncé que la taxe était retirée. La Maison-Blanche s'est réjouie des talents de négociateur de Trump, sa porte-parole, Karoline Leavitt, déclarant que le Canada avait « cédé ».
Les détails des négociations entre le Canada et les États-Unis sont entourés de secret, alors même que le Canada cherche à faire respecter par Washington la date limite du 23 juillet pour parvenir à un accord.
Cependant, les responsables canadiens ont indiqué qu'Ottawa était prêt à aligner encore plus étroitement les politiques économiques et la stratégie militaire et sécuritaire du Canada vis-à-vis de la Chine sur celles de Washington, à accélérer la militarisation de l'Arctique et à verser des dizaines de milliards de dollars pour soutenir le projet Golden Dome de Trump, un programme de défense antimissile à l'échelle du continent visant à rendre une guerre nucléaire « gagnable ». L'ambassadeur américain au Canada, Pete Hoekstra, a également souligné l'importance de créer des bases militaires conjointes américano-canadiennes dans le Grand Nord canadien.
La classe dirigeante canadienne a longtemps considéré ses liens étroits avec Washington et Wall Street comme essentiels pour défendre et promouvoir ses intérêts prédateurs à l'échelle mondiale, et comme un pilier de sa stabilité économique et politique. Mais tout cela a été bouleversé.
Non seulement Trump a-t-il effectivement abrogé l'accord commercial entre les États-Unis, le Mexique et le Canada (qui succède à l'ALENA qu'il avait lui-même négocié), frappant le Canada d'une avalanche de droits de douane, mais il a également promis à plusieurs reprises de faire du Canada le 51e État américain et d'utiliser la « force économique » pour y parvenir.
Dans une interview diffusée dimanche dernier sur Fox News, Trump a de nouveau exprimé ses ambitions annexionnistes. Après avoir critiqué les pratiques commerciales canadiennes, notamment son système de gestion de l'offre laitière, Trump a déclaré : « Franchement, le Canada devrait être le 51e État. » Quelques minutes auparavant, le président fasciste américain avait insisté sur le fait que dans toute négociation commerciale avec le Canada, « nous avons toutes les cartes en main, toutes sans exception ».
Carney, ancien banquier central et représentant de longue date de l'oligarchie financière, a mené les libéraux à la victoire lors des élections fédérales du 28 avril. Il l'a fait en affirmant qu'il serait le mieux à même de contrer la tentative de Trump de « nous casser pour que les États-Unis puissent nous posséder », tout en négociant un nouveau partenariat «économique et sécuritaire » avec Washington qui garantirait au Canada un accès privilégié au marché américain.
Comme l'a expliqué à plusieurs reprises le World Socialist Web Site, l'objectif principal de la classe dirigeante canadienne est de s'assurer une place reconnue en tant que partenaire junior de l'impérialisme américain dans une « Forteresse Amérique du Nord » dirigée par Trump : un bloc économique protectionniste et une alliance militaire visant à assurer l'hégémonie mondiale contre tous les concurrents, en particulier la Chine.
Elle n'hésite pas à collaborer avec le fasciste Trump et à le soutenir dans sa tentative d'imposer une dictature présidentielle. En effet, sous Justin Trudeau et maintenant Carney, Ottawa s'est empressé d'approfondir sa coordination avec les politiques frontalières et d'immigration de Washington. Cela dans un contexte où la chasse aux sorcières anti-immigrés de Trump est le fer de lance de sa tentative de renverser les droits démocratiques fondamentaux et de déployer l'armée pour réprimer l'opposition populaire grandissante.
Il existe cependant de profondes appréhensions au sein de la classe dirigeante concernant les négociations actuelles entre le Canada et les États-Unis. Même si Trump acceptait de lever tous les droits de douane, rien ne garantit qu'il ne les réimposerait pas à l'avenir sous un autre prétexte. De plus, la Maison-Blanche insistera probablement pour que le coût des «concessions » commerciales accordées au Canada se traduise par des changements dans ses politiques économiques, étrangères et de sécurité militaire qui approfondiront son intégration avec les États-Unis, le rendant encore plus vulnérable aux pressions de Washington et de Wall Street.
La réponse de la classe dirigeante canadienne à cette situation difficile est de virer radicalement à droite. Sous le couvert du nationalisme canadien toxique qu'elle a attisé, avec l'aide des syndicats et du NPD, elle augmente massivement les dépenses militaires en prévision d'une guerre mondiale et intensifie considérablement son offensive brutale contre la classe ouvrière.
Le 9 juin, Carney a annoncé une augmentation immédiate de 9,3 milliards de dollars, soit 17 %, des dépenses militaires. Cette augmentation considérable du budget de guerre, qui intervient alors que les gouvernements à tous les niveaux serrent la vis pour réduire toutes les dépenses publiques et sociales, signifie que le Canada atteindra l'ancien seuil annuel de dépenses militaires de l'OTAN, fixé à 2 % du PIB, au cours de l'exercice financier actuel. Cela représente cinq ans d'avance sur l'objectif de 2030 fixé par Carney et Pierre Poilievre, le chef d'extrême droite des conservateurs, lors de la campagne électorale qui vient de s'achever.
Pour justifier ce détournement massif de ressources sociales vers la guerre, Carney a affirmé la détermination de la classe dirigeante canadienne à s'assurer sa part du butin dans la course impérialiste pour le contrôle des réseaux de production, des ressources critiques, des marchés et des territoires stratégiques dans un nouveau partage du monde. « Les puissances moyennes, a-t-il déclaré, se disputent les intérêts et l'attention, sachant que si elles ne sont pas à la table, elles sont au menu. »
Aussi massive que soit l'augmentation de 17 % des dépenses militaires cette année, elle n'est qu'un acompte. Avant la fin du mois de juin, Carney s'était joint aux autres chefs de gouvernement de l'OTAN pour convenir de porter l'objectif minimum des dépenses militaires à 5 % du PIB d'ici 2035 au plus tard. Carney a reconnu que cela signifierait une augmentation des dépenses militaires équivalente à 150 milliards de dollars en dollars courants. Pour réunir ces fonds, ce qui reste des concessions accordées par la bourgeoisie à la classe ouvrière après la Seconde Guerre mondiale, notamment tous les programmes sociaux, les protections sur le lieu de travail et les avantages sociaux, devra être supprimé.
La classe dirigeante canadienne s'insurge contre Trump, mais uniquement dans la mesure où il menace ses profits et son « droit » souverain à la part du lion des profits tirés des ressources abondantes du Canada et de l'exploitation de sa classe ouvrière.
Leurs désaccords portent entièrement sur des domaines où les intérêts de l'impérialisme américain et canadien divergent ou s'opposent. Ainsi, Ottawa s'est jointe aux puissances impérialistes européennes pour chercher à garantir que la guerre avec la Russie, déclenchée par les États-Unis et l'OTAN, s'intensifie, et que Trump ne conclue pas d'accord avec Moscou au détriment des partenaires des États-Unis au sein de l'OTAN. Lors de son séjour en Europe pour le sommet des dirigeants de l'OTAN, Carney a inscrit le Canada au programme « Rearm Europe » (Réarmer l'Europe) de l'Union européenne, dans le but de renforcer la base militaro-industrielle du Canada et son influence dans les négociations actuelles et futures avec Washington.
Par ailleurs, la classe dirigeante s'empresse de mettre en œuvre des politiques socio-économiques à la Trump, utilisant son intimidation comme prétexte pour faire passer des changements qu'elle réclame depuis longtemps.
Carney a déclaré une « nouvelle ère de responsabilité fiscale », c'est-à-dire d'austérité. Il a commencé à préciser ce que cela signifie en appelant à des «sacrifices » pour financer le réarmement et la guerre, et en répétant à plusieurs reprises qu'il renoncerait à toute augmentation d'impôts et utiliserait l'intelligence artificielle pour augmenter la « productivité » des fonctionnaires fédéraux.
Soutenu par les conservateurs, le gouvernement a fait adopter à la hâte par le Parlement, avant la pause estivale, une loi qui supprime les restrictions environnementales et autres réglementations sur les projets liés aux ressources et aux infrastructures jugés « d'intérêt national ». Il a également déposé un projet de loi omnibus qui supprime les droits des demandeurs d'asile et accorde à la police et aux agences de renseignement des pouvoirs étendus pour obtenir des informations sur les personnes ciblées et sur les services Internet, médicaux et autres qui leur sont fournis, sans mandat. Carney s'est également engagé à présenter un projet de loi qui interdirait les manifestations dans les écoles, les lieux de culte et d'autres endroits, en réponse directe à l'opposition généralisée à l'attaque génocidaire d’Israël et des impérialistes contre les Palestiniens de Gaza.
La bureaucratie syndicale et les néo-démocrates sociaux-démocrates ont rendu possible le virage à droite dans la vie politique en étouffant systématiquement la lutte des classes et en promouvant le nationalisme canadien et l'État canadien comme une alternative « progressiste » à Trump. Tous les grands syndicats ont été des partisans inconditionnels du gouvernement libéral de Trudeau. La présidente du Congrès du travail du Canada, Bea Bruske, a félicité Carney pour sa victoire électorale en avril, tandis que la présidente du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, Jan Simpson, l'a saluée comme le « meilleur » résultat possible pour les travailleurs. Le régime libéral de Carney a ensuite contraint les postiers à voter sur une entente contractuelle bourrée de reculs rédigée par la direction de Postes Canada.
Les hauts responsables syndicaux ont repris et amplifié la rhétorique nationaliste de l'élite dirigeante au sujet des négociations commerciales avec Trump. Lana Payne, présidente d'Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, a répété le mantra de Carney selon lequel Trump en a après « nous ». Unifor, le CTC et le NPD sont tous représentés au sein du conseil consultatif Canada-États-Unis du gouvernement, aux côtés de personnalités éminentes du monde des affaires canadien.
En opposition à l'alliance corporatiste des syndicats, du gouvernement et des grandes entreprises en faveur de l'austérité et de la guerre, le Parti de l'égalité socialiste est le seul à proposer un programme de lutte pour la classe ouvrière afin de s'opposer à Trump et à toutes les fractions de la classe dirigeante canadienne sur la base d'un programme socialiste internationaliste. Comme l'a déclaré le PES dans sa déclaration sur les élections en avril :
Trump est une menace pour les travailleurs du Canada et du monde. Mais les travailleurs ne peuvent pas le combattre, lui et tout ce qu'il représente – l'oligarchie, la dictature et la guerre impérialiste – en s'alignant sur la bourgeoisie canadienne, l'une ou l'autre de ses fractions rivales ou de ses représentants politiques.
Ils doivent plutôt affirmer leurs intérêts de classe indépendants en forgeant un mouvement pour la prise du pouvoir et en luttant pour fusionner leurs luttes avec l'opposition de masse à Trump qui émerge actuellement au sein de la classe ouvrière américaine. Les travailleurs canadiens doivent aider leurs collègues américains à se libérer du Parti démocrate, qui, pas moins que les Républicains fascistes de Trump, est un parti de Wall Street et de la CIA, et de ses alliés syndicaux.
Le mouvement transfrontalier doit être le fer de lance de la lutte pour une Amérique du Nord socialiste unie.