Le gouvernement ultraconservateur du Premier ministre François Legault a annoncé, juste avant la fin des classes, de nouvelles compressions sauvages dans le réseau de l’éducation. Invoquant un supposé «manque à gagner» d’un milliard de dollars, Legault et sa Coalition Avenir Québec (CAQ) exigent que les centres de services scolaires de la province sabrent une première tranche de 570 millions pour l’année à venir.
Dans un réseau déjà extrêmement fragilisé par des décennies d’austérité capitaliste imposée par le Parti québécois, les libéraux et la CAQ, ces nouvelles coupures entraîneront une véritable catastrophe dans les écoles. Admettant que les services aux élèves seront directement affectés, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a admis ne «pas garantir que chaque élève va avoir tout ce dont il a besoin».
Dans des messages transmis au personnel, les directions de centres de services scolaires ont indiqué qu’elles devront choisir où sabrer: emplois à temps plein, services d’orthophonie, de psychologie, en éducation spécialisée, en surveillance, en classes d’adaptation scolaire, en aide alimentaire, en achat de livre, en sorties scolaires, etc.
Les impacts se feront sentir dès la prochaine rentrée. À titre d’exemple, des enseignants ayant parlé au World Socialist Web Site ont noté que les coupures dans leur école seront de l’ordre de 5% du budget total, soit près de 100.000$ pour une école de quartier de 300 élèves. Des éducateurs spécialisés avec plusieurs années d’expérience ont déjà appris que leurs postes seraient abolis en raison des diminutions d’heures en service aux élèves.
Des pétitions réclamant le retrait des coupures, ou d’autres exigeant la démission du ministre Drainville, ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux, amassant des dizaines de milliers de signatures en quelques jours. Des manifestations, apparemment organisées de manière spontanée par des parents et citoyens, ont déjà eu lieu. Certains ont brandi des casseroles en rappel à la grève étudiante militante de 2012. D’autres actions sont prévues dans les jours et semaines à venir à travers la province.
Bien qu’insuffisantes pour stopper le saccage des services publics, ces actions témoignent d’une vive et grandissante colère sociale envers le gouvernement de droite de Legault. Ces coupures arrivent alors qu’on apprend que le gouvernement a perdu des milliards de dollars d’investissement public dans des projets désastreux, notamment le fiasco du système informatique SAAQClic, la faillite de l’entreprise de batterie Northvolt et celle du fabricant d’autobus Lion électrique.
Ultimement, tout l’argent récupéré avec les coupures en éducation, en santé et dans les services publics sera directement transféré aux grandes entreprises et à l’industrie militaire pour le compte de l’impérialisme canadien. Le gouvernement fédéral de Mike Carney a déjà annoncé des hausses massives dans les dépenses militaires qui pourraient atteindre 5% du PIB (soit environ 150 milliards par année) d’ici 2035. Le Premier ministre québécois Legault, lui, revient d’un voyage d’affaires en Europe où il a conclu une série d’accords commerciaux avec des fabricants d’armement et de transport militaire.
Tout cela s’inscrit dans le contexte d’une dangereuse escalade vers une Troisième Guerre mondiale, intensifiée depuis l’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine. En plus de la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine et le génocide d’Israël à Gaza soutenu par Washington et Ottawa, Trump a lancé avec le plein appui d’Ottawa une attaque illégale contre l’Iran la semaine dernière, exacerbant les tensions géopolitiques au Moyen-Orient et à l’échelle mondiale.
Au même moment où Legault démantèle et privatise ce qui reste des services publics, il mène depuis quelques semaines une campagne vicieuse contre la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), un syndicat se disant militant qui représente quelque 60.000 enseignants, majoritairement de la région cosmopolite de Montréal. La FAE se montre généralement plus critique du gouvernement. Au rebours de la campagne chauvine de la CAQ, la FAE s’est opposée au projet de loi 21 qui, sous couvert de la «laïcité», attaque le droit des minorités ethniques et religieuses, particulièrement les musulmans.
Mais la cible ultime de Legault n’est pas la bureaucratie syndicale, qui rend un grand service à la classe dirigeante en sabotant les luttes ouvrières et en imposant systématiquement des contrats pourris aux membres, mais plutôt les travailleurs de l’éducation opposés aux compressions sociales et au racisme de la CAQ.
Lors de la lutte des 600.000 travailleurs du secteur public en 2023-24, la FAE a été contrainte, sous la pression d’enseignants plus radicaux, de lancer une grève générale illimitée de 22 jours. La direction du syndicat, par sa désastreuse politique de pression qui a isolé ses membres du reste de la classe ouvrière, a finalement trahi la lutte, comme l’ont fait le reste des centrales syndicales du Front commun. Or, le gouvernement est déterminé à intimider toute future opposition parmi la base, et discipliner les chefs syndicaux qui oseraient encore critiquer le gouvernement.
Lorsque la présidente de la FAE, Mélanie Hubert, a donné son appui à la pétition réclamant la démission de Drainville, celui-ci a répondu: «Je n’ai pas de leçons à recevoir d’un syndicat qui a privé nos enfants d’école pendant 5 semaines de grève et qui utilise l’argent de ses membres pour contester la loi sur la laïcité».
Cette dénonciation virulente s’inscrit dans une montée de l’autoritarisme contre la classe ouvrière dans son ensemble. À la fin mai, la CAQ a fait adopter, avec le soutien du parti libéral, le projet de loi 89 qui donne au gouvernement des pouvoirs étendus pour limiter drastiquement le droit de grève. Les travailleurs de l’éducation, comme les travailleurs de la santé, sont maintenant soumis à une forme de «services essentiels» qui empêche pratiquement tout débrayage.
C’est dans ce contexte qu’on peut comprendre le caractère réactionnaire des nouvelles mesures disciplinaires dans les écoles, y compris le vouvoiement obligatoire et l’interdiction pour les jeunes du secondaire d’utiliser un téléphone intelligent. Adoptées sous prétexte de contrer la «violence» et l’«incivilité» dans les écoles, ces mesures, conjuguées aux coupes sociales de la CAQ, ne feront en fait qu’accroître les problèmes sociaux existants.
Les travailleurs de l’éducation doivent se tourner vers le reste de la classe ouvrière et mobiliser sa pleine puissance politique pour contrer le saccage de l’éducation publique par Legault et la classe dirigeante derrière lui. Ce sont tous les travailleurs, leurs enfants et les générations à venir qui vont en payer le prix. Cela nécessite l’organisation d’actions de masse, y compris des manifestations et des grèves à grande échelle.
Les travailleurs ne doivent cependant avoir aucune illusion: les syndicats n’ont aucune intention de mener la lutte nécessaire. Derrière leur posture démagogique, leur rôle est d’étouffer la colère de la base et empêcher le développement d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière.
Les syndicats au Québec enferment l’opposition grandissante de leurs membres dans le cadre de la politique bourgeoise québécoise. Ils avancent une perspective provincialiste qui sépare l’opposition aux mesures d’austérité de Legault d’une lutte plus large contre l’ensemble des coupes sociales menées par le gouvernement fédéral de Mark Carney et toute la classe dirigeante canadienne. Cela contribue à maintenir la division entre les travailleurs du Québec et leurs frères et sœurs de classe dans le reste du Canada.
Rappelons que c’est entre autres leur trahison du puissant mouvement de grève dans le secteur public en 2023 et leur refus de mobiliser la classe ouvrière qui a renforcé Legault dans son assaut contre les services publics et le droit de grève.
Il faut dire les choses comme elles sont. La coalition nouvellement formée «Ensemble, unis pour l’école», qui regroupe des associations syndicales, des directions d’établissement et des comités de parents, avance une perspective menant à un cul-de-sac. Essentiellement, la bureaucratie syndicale dit aux travailleurs de rester à l’écart et qu’avec un peu de pression, exercée aux côtés des directions d’école (les représentants de l’employeur sur le terrain), ils pourront faire «entendre raison» au serviteur de la classe dirigeante qu’est l’ex-PDG Legault.
Les syndicats et le patronat craignent surtout que la colère générée par les coupures ne se transforme en un mouvement politique plus large contre le programme d’austérité du gouvernement et contre tout le système de profit capitaliste. C’est aussi pourquoi ils n’ont pas levé le petit doigt contre le projet de loi 89.
Les travailleurs, au contraire, doivent prendre les choses en main de manière indépendante et avancer leurs propres demandes. Plus que jamais ils sont confrontés à une lutte politique qui implique la question de la distribution des richesses: est-ce qu’elles doivent servir à financer la machine de guerre impérialiste et à enrichir une minorité de super-riches, ou plutôt à répondre aux besoins humains de tous?
La lutte pour défendre l’éducation publique doit faire partie d’un combat plus large pour défendre tous les services publics, les emplois et les acquis de la classe ouvrière. Le tournant vers la privatisation doit être renversé, tout comme les lois dictatoriales qui sapent les droits des travailleurs. Une telle lutte est possible si les travailleurs s’organisent dans des comités de base sur tous les lieux de travail et s’unissent dans un vaste réseau.
Les attaques contre la classe ouvrière sont loin d’être uniques au Québec. Partout au Canada et internationalement, les élites dirigeantes procèdent à un vaste transfert de richesses du bas vers le haut, aux dépens des travailleurs et au profit de l’oligarchie. Ainsi, un appel à la mobilisation doit être lancé à l’ensemble de la classe ouvrière non seulement au Québec, mais à travers le Canada et en Amérique du Nord, dans une lutte commune pour améliorer les conditions d’existence de tous les travailleurs.