L'or est désormais le deuxième actif de réserve du système financier international

Un rapport de la Banque centrale européenne (BCE) publié la semaine dernière souligne le manque croissant de confiance à l’international dans le rôle du dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale.

Selon la BCE, l'or représente 20 pour cent des réserves mondiales détenues par les banques centrales ; il dépasse l’euro, désormais à 16 pour cent, et se classe deuxième derrière le dollar, à 46 pour cent.

Lingots d'or exposés au Musée américain d'histoire naturelle. 8 novembre 2006 [AP Photo/Seth Wenig]

«Les banques centrales ont continué d'acheter de l'or à un rythme record», a déclaré la BCE. En 2024, pour la troisième année consécutive, elles ont acheté plus de 1 000 tonnes d'or. Cela représente un cinquième de la production totale de 2024 et le double du volume annuel de la décennie 2010-2019.

La quantité d'or actuellement détenue par les banques centrales approche les niveaux de 1965, note la BCE. Mais les conditions étaient alors très différentes.

À cette époque, sur la base des accords de Bretton Woods de 1944, qui étaient l’un des fondements du système financier mondial d’après-guerre après la dévastation des années 1930, le dollar était adossé à l’or au taux de 35 dollars l’once.

En août 1971, le président américain Nixon abrogea unilatéralement l'accord en annonçant à la télévision, un dimanche soir, que les États-Unis ne respecteraient plus leur engagement d'échanger des dollars contre de l'or. Déclenchée par un déficit commercial américain croissant, cette décision marquait le début du déclin économique des États-Unis, qui avaient perdu leur position dominante de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le dollar est resté monnaie mondiale, mais sur une nouvelle base. Il s'agissait désormais d'une monnaie fiduciaire, tributaire de la solidité de l'État américain et de son système financier. Mais cette solidité a été de plus en plus remise en question par la série de crises qui ont secoué le système financier américain. La plus notable a été celle de 2008, déclenchée par l'escalade de la spéculation et du parasitisme dans l'économie américaine.

Le nouveau rôle du dollar a conféré aux États-Unis ce qui a été qualifié de «privilège exorbitant». Sans les restrictions imposées par la nécessité de maintenir l'adossement à l'or, ils ont pu accumuler de plus en plus de dettes et de déficits, chose impossible à d'autres pays, car la demande internationale en dollars restait toujours constante. Et ils ont utilisé le besoin d'accès au dollar des autres pays pour imposer leurs exigences.

Les sanctions contre l'Iran et la menace de sanctions contre les entreprises européennes qui tentaient de s'opposer aux États-Unis en sont un parfait exemple. En mars 2022, ce processus a connu un bond majeur lorsque les États-Unis ont exclu la Russie du système de paiements internationaux SWIFT et, en collaboration avec les puissances européennes, ont gelé les avoirs de la banque centrale russe, à hauteur d'environ 300 milliards de dollars.

Cette décision a provoqué une onde de choc dans le système monétaire international. Si les réserves d'une banque centrale pouvaient être saisies de cette manière, alors qu’est-ce-qui constituait une valeur refuge? Certainement pas le dollar américain.

Comme le note la BCE dans son rapport: «La demande d'or pour les réserves monétaires a fortement augmenté à la suite de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie en 2022 et est restée élevée.»

L’or, y déclare-t-on, semble être considéré comme une protection contre les actions et le gel d’actifs.

«Dans cinq des dix plus fortes augmentations annuelles de la part de l’or dans les réserves de change depuis 1999, les pays concernés ont fait l’objet de sanctions la même année ou l’année précédente.»

En 2024, le prix de l'or a augmenté de 30 pour cent et jusqu'à présent cette année, il a augmenté de 27 pour cent supplémentaires, atteignant à un moment donné 3 500 $ l'once, soit 100 fois le niveau qu’il avait quand Nixon a rompu le lien entre le dollar et l'or.

Dans un article sur l'analyse de la BCE, le Financial Times donne une idée de l'ampleur de ces inquiétudes.

«Une enquête menée auprès de 57 banques centrales qui détenaient de l'or l'année dernière a également révélé que les inquiétudes concernant les sanctions, les changements attendus dans le système monétaire mondial et le désir de devenir moins dépendant du dollar américain étaient des facteurs moteurs dans les marchés émergents et les pays en développement», déclare-t-il.

Les données de la BCE couvrent l'année dernière. Depuis, les facteurs à l'origine de l'augmentation des réserves d'or n'ont fait que s'intensifier. Un facteur clé a été le lancement de la guerre économique du gouvernement Trump contre le monde, ciblant principalement la Chine, avec l'annonce de « droits de douane réciproques » massifs le 2 avril, jour dit de la « libération ».

Il en a résulté une flambée des rendements (taux d'intérêt) de la dette américaine à long terme, parallèlement à la baisse du prix des obligations – les deux étant inversement liés. Cette situation reflétait l'attente sur les marchés de turbulences financières croissantes résultant du bouleversement de l'ensemble des relations régissant le commerce international dans l'après-guerre.

Habituellement, dans de telles conditions, on se tourne vers le dollar, considéré comme une « valeur refuge». Dans ce cas précis cependant, la valeur du dollar a chuté sur les marchés internationaux des changes, où il existait une tendance généralisée à «vendre l'Amérique », c'est-à-dire à se désengager des actifs financiers américains.

La guerre tarifaire de Trump a certainement été un facteur majeur dans ce processus, mais elle est loin d'être le seul. L'augmentation de la dette américaine, qui atteint désormais 36 000 milliards de dollars, et les milliers de milliards supplémentaires qui s'y ajoutent grâce au « grand et beau budget » annoncé par Trump, est tout aussi préoccupante. Les paiements d'intérêts sur la dette s'élèvent déjà à près de 1 000 milliards de dollars par an et deviennent rapidement le poste le plus important du budget américain.

Malgré la pause sur les tarifs réciproques annoncée par Trump le 9 avril, lorsqu'il a remarqué que les marchés obligataires commençaient à devenir un peu «agités», le changement s'est confirmé avec la tendance des taux d'intérêt, en particulier ceux de la dette à long terme, à monter tandis que le dollar continue de baisser.

La semaine dernière, le dollar a chuté de près de 1 pour cent par rapport à un panier de devises de ses principaux partenaires commerciaux, dont la livre sterling et l'euro, après que Trump eut annoncé qu'il enverrait des lettres aux pays visés par des tarifs douaniers réciproques pour leur indiquer quel en serait le taux.

Les deux derniers mois étaient censés être une période d'intenses négociations au cours desquelles le gouvernement Trump annoncerait des accords majeurs. Rien n'a abouti, à l'exception d'un accord mineur avec le Royaume-Uni. Les discussions menées depuis des semaines avec le Japon, dont l'industrie automobile risque d’être frappée de plusieurs dizaines de milliards de dollars en tarifs, n'ont pour l'instant abouti à aucun résultat.

Dans le même temps, les inquiétudes sur les marchés financiers se sont accrues, le directeur général de JPMorgan Chase, Jamie Dimon, avertissant que le marché obligataire allait « craquer » à un moment donné.

Cela a provoqué une réponse du secrétaire américain au Trésor Scott Bessent qui a affirmé que les États-Unis ne feraient «jamais, jamais» défaut de paiement sur leur dette – une déclaration qui rappelle le vieil adage qu’il ne faut jamais croire quelque chose tant que cela n’est pas officiellement démenti.

En réalité, des discussions ont eu lieu dans les cercles dirigeants sur la possibilité de convertir la dette à long terme du Trésor en obligations perpétuelles qui ne rembourseraient jamais le principal, mais continueraient seulement à verser des intérêts. En juillet 2023, le Service de recherche du Congrès a publié un rapport examinant cette possibilité.

Une telle décision, régulièrement rejetée, qui serait considérée, notamment par le Japon et la Chine, comme un défaut de paiement, n'a pas été officiellement évoquée dans les principaux cercles financiers internationaux. Mais il convient de rappeler que les mesures prises par Nixon le 15 août 1971 n'avaient pas non plus été discutées. Les partenaires financiers et économiques et les alliés des États-Unis les avaient apprises comme tout le monde en voyant le président à la télévision – tout comme ils ont découvert les droits de douane réciproques.

Quelles que soient les déclarations officielles sur la «résilience» du système financier américain et le rôle continu du dollar comme monnaie de réserve mondiale, le fait demeure que pour la première fois depuis le développement du nouveau système financier après 1971, l’or est désormais en deuxième position comme actif de réserve clé.

(Article paru en anglais le 17 juin 2025)

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