Le projet de loi 89, qui donne au gouvernement du Québec des pouvoirs étendus pour limiter drastiquement le droit de grève a été officiellement adopté la semaine passée. Cette nouvelle offensive contre les travailleurs québécois est en fait une attaque massive contre toute la classe ouvrière canadienne.
Le Premier ministre François Legault, un ancien PDG d’Air Transat, a fait adopter sa loi antidémocratique par l’Assemblée nationale, jeudi dernier, avec le soutien du Parti libéral (PLQ). Le Parti québécois pro-indépendance (PQ), qui a imposé de vastes compressions sociales et criminalisé des grèves ouvrières lorsqu’il a été au pouvoir, a voté contre la loi à des fins purement tactiques.
Toutefois, Legault et sa Coalition Avenir Québec (CAQ) ont pu aller de l’avant surtout grâce à la complaisance et à la complicité des appareils syndicaux. Même si ces derniers ont admis que le PL89 est une «loi spéciale tous azimuts» donnée en «cadeau au patronat», voire une «déclaration de guerre», ils n’ont rien fait pour mobiliser les travailleurs et organiser une contre-offensive.
Avec son orwellienne « Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out », le gouvernement peut intervenir dans la majorité des conflits de travail pour y mettre un terme rapidement. L’objectif est aussi d’intimider les travailleurs à ne même pas chercher à exercer leur droit de grève pour défendre leurs emplois et conditions de travail.
Le PL89 est l’expression d’un tournant vers des politiques dictatoriales à l’échelle internationale en réponse à la résurgence des luttes de classe. Partout les gouvernements sont déterminés à supprimer l’opposition sociale à la domination de l’oligarchie financière et à son programme d’austérité capitaliste, de privatisations et de guerres impérialistes.
En dénonçant une «culture du militantisme au Québec» qui a «des impacts malheureux au plan social, économique», le ministre du Travail, Jean Boulet, a admis que le projet de loi 89 vise uniquement à assurer le flot des profits pour la grande entreprise.
Sous prétexte démagogique de vouloir «assurer la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population», le gouvernement étend la notion de «services essentiels» au secteur privé ainsi qu’à l’éducation pour limiter les débrayages en restreignant le droit de grève de groupes importants de travailleurs.
Les parties patronale et syndicale auront sept jours pour s’entendre sur les services à maintenir, sans quoi le Tribunal administratif du travail pourra trancher. Les travailleurs de la santé en sont exclus, car ils sont soumis à la loi sur les services essentiels qui mine déjà sérieusement leur droit de grève, au point d’en faire un droit bidon pour les infirmières par exemple.
Le gouvernement peut aussi mettre fin à une grève en cours dans le secteur privé et nommer un arbitre pro-patronal pour dicter les termes d’une «convention collective» si l’intervention d’un médiateur ou d’un conciliateur se voit infructueuse. Jusqu’ici, l’arbitrage était un recours ultime et demandé par les parties négociantes sur une base volontaire.
Le projet de loi 89 représente une nouvelle étape majeure dans l’assaut contre le droit de grève au Canada. L’an dernier, le gouvernement libéral fédéral s’est servi du Conseil canadien des relations industrielles et d’une «réinterprétation» montée de toutes pièces de l’article 107 du Code canadien du travail pour briser une série de grèves, notamment la grève militante des 55.000 travailleurs de Postes Canada toujours dans l’impasse.
Dans les dernières années, les cheminots, les débardeurs, les postiers, les éducateurs et d’autres travailleurs se sont fait imposer une loi spéciale après l’autre par les gouvernements provinciaux et fédéraux de toutes les couleurs politiques. Loin d’être une exception, ce processus est maintenant normalisé. Une grève pourra être criminalisée sur simple avis du ministre du Travail.
Les syndicats québécois et canadiens refusent de mobiliser les travailleurs
Depuis des mois, les syndicats n’ont absolument rien fait pour préparer une véritable opposition au PL89. Ils n’ont même pas pris la peine de publiciser sérieusement les deux principales manifestations qu’ils ont organisées.
Les syndicats québécois n’ont jamais lancé un appel de soutien aux travailleurs dans le reste du Canada, tout comme les syndicats canadiens n’ont pas informé leurs membres de la menace représentée par le PL89. Même si des syndicats comme le SCFP, le CTC, les Métallos et Unifor ont des centaines de milliers de membres à travers le pays, ils n’ont pas levé le petit doigt pour venir à la défense des travailleurs québécois en lançant une offensive unifiée à travers le pays pour défendre le droit de grève.
La bureaucratie syndicale, tant au Québec que dans le reste du Canada, craint qu’un mouvement de la base contre le PL89 soit le catalyseur d’une plus vaste rébellion ouvrière contre le statu quo capitaliste. Elle traite la loi comme un acte limité aux frontières provinciales du Québec qui n’aurait rien à voir avec l’assaut des élites dirigeantes au Canada, aux États-Unis et partout au monde contre les droits et acquis de la classe ouvrière.
La bureaucratie craint la colère des travailleurs, défend ses privilèges
Dans un communiqué «dénonçant» l’adoption du PL89, les chefs des grandes centrales syndicales québécoises ont affirmé que «l’encadrement entourant l’exercice du droit de grève, qui était somme toute limitatif, offrait aux travailleuses et aux travailleurs la possibilité d’améliorer leurs conditions à l’intérieur de balises claires».
Quelle distorsion de la réalité! Loin d’«améliorer leurs conditions», les travailleurs ont vu leurs conditions d’existence constamment amoindries par quatre décennies d’attaques patronales contre les emplois, les services publics et le niveau de vie – des attaques grandement facilitées par les appareils syndicaux.
C’est justement par le système de «négociation collective», encadré par le Code du Travail et truqué en faveur du patronat, que les syndicats ont pu assurer à la classe dirigeante la «paix industrielle». Ils ont systématiquement étouffé les luttes ouvrières et imposé des reculs en échange d’une position sociale privilégiée, de gros salaires et d’innombrables sièges sur des comités tripartites et de riches fonds d’investissement.
Pour eux, le système actuel «fonctionne» et la loi était «inutile». Ils ont averti le gouvernement que les nouveaux pouvoirs dictatoriaux qu’il s’est octroyés vont causer des «manifestations et du chaos» qu’ils craignent de ne pouvoir canaliser vers des gestes futiles de protestation. Bien qu’ils fassent tout pour éviter de déclencher des grèves, quand ils sont forcés de le faire sous la pression des membres, les syndicats utilisent celles-ci comme une «soupape» de dernier recours servant à évacuer la colère des travailleurs avant de les forcer à signer des contrats remplis de concessions.
Promotion du Parti québécois pro-patronal
Les syndicats ont clairement indiqué qu’ils ne feront rien pour mobiliser la classe ouvrière au Québec, sans parler du reste du pays, pour défendre le droit de greve et de négociation.
Premièrement, ils ont annoncé vouloir recourir aux tribunaux bourgeois pour faire invalider la loi sur la base des Chartes des droits québécoise et canadienne, un processus qu’ils ont admis prendrait «10 ans». Deuxièmement, ils ont promis de faire de la loi un «enjeu des prochaines élections» prévues en octobre 2026. Plus précisément, ils veulent profiter de la situation pour renouveler et renforcer leur alliance politique de longue date avec le Parti québécois droitier et chauvin.
En entrevue, la présidente de la FTQ (Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec), Magali Picard, a déclaré que «le prochain gouvernement devra s’engager à abroger la loi. Je peux vous dire que les discussions avec un parti qui risque de gouverner le Québec sont très positives». Lorsque l’animateur lui a demandé s’il s’agissait d’un soutien syndical pour le PQ aux prochaines élections, Picard a dit: «Parlez à Paul Saint-Pierre Plamondon [le chef du PQ] … On discute».
Les syndicats tentent de redorer le blason du PQ bourgeois, qui s’est opposé au PL89 pour des fins électoralistes et pour courtiser la bureaucratie syndicale. C’est un avertissement pour tous les travailleurs. La promotion du nationalisme québécois, et du PQ en particulier, est un des mécanismes clés par lequel les syndicats ont historiquement divisé les travailleurs québécois de leurs frères et sœurs de classe dans le reste du Canada et saboté les mouvements militants des travailleurs, notamment au début des années 1970.
Le soutien des syndicats envers le PQ est le résultat de l’orientation nationaliste et pro-capitaliste des syndicats dans leur ensemble. Cette orientation va de pair avec leur sabotage répété des luttes ouvrières, y compris le mouvement de grève militant des 600.000 travailleurs du secteur public en 2023. Ce sont ces trahisons qui ont ouvert la voie aux inégalités sociales croissantes et aux lois antidémocratiques comme le PL89.
Les syndicats veulent raviver un parti chauvin et très à droite, avec un lourd bilan anti-ouvrier. Le PQ a imposé de sauvages coupures sociales lorsqu’il a été au pouvoir, notamment à la fin des années 1990 sous le gouvernement Bouchard-Landry. Après avoir mis la hache dans les dépenses sociales au nom du «déficit zéro», Bouchard a criminalisé la grève des infirmières de 1999.
De 2012 à 2013, le gouvernement de Pauline Marois a sabré l’aide sociale, criminalisé une importante grève dans la construction, et a empoisonné le climat social avec sa «Charte des valeurs» xénophobe. Depuis, le PQ s’est positionné comme le plus ardent promoteur du chauvinisme anti-immigrants et de l’exclusivisme ethnique et linguistique inspirés de l’extrême-droite.
La voie de l’avant
La lutte contre le PL89 n’est pas terminée, mais pour aller de l’avant, les travailleurs doivent comprendre qu’ils font face à une lutte politique. Ils sont confrontés à l’État capitaliste et à tout son arsenal répressif au service de l’oligarchie financière et de la grande entreprise. Le combat contre les lois dictatoriales doit être vu comme un élément d’une lutte plus large pour bâtir un mouvement politique de toute la classe ouvrière contre tout le système de profit capitaliste, qui contient les graines de la dictature.
L’opposition aux lois antigrève ne pourra prendre forme que si les travailleurs prennent le contrôle de la lutte des mains de la bureaucratie syndicale et s’organisent sur une base indépendante dans de nouvelles organisations: des comités de base, par et pour les travailleurs, animés d’une perspective internationale socialiste.