Une cour d'appel ordonne la suspension de la décision de justice prise contre la guerre tarifaire de Trump

Une cour d'appel fédérale américaine a ordonné la pause administrative d’une décision rendue mercredi par le Tribunal de commerce international des Etats-Unis (ITC) qui avait jugé illégaux les tarifs douaniers réciproques annoncés par Trump le 2 avril, son «jour de la libération», affirmant qu’il avait outrepassé ses pouvoirs en les ordonnant.

Le président Donald Trump s'exprime lors d'un événement annonçant de nouveaux tarifs douaniers, le 2 avril 2025. [AP Photo/Mark Schiefelbein]

La cour d'appel ne s'est pas prononcée sur le bien-fondé juridique de la décision, mais a ordonné une pause temporaire «jusqu'à nouvel ordre». Cette décision ouvre la voie à un appel de l'administration Trump, qui pourrait obtenir un examen rapide par la Cour suprême.

C'est la direction que semble prendre l’administration après la suspension de jeudi.

S'exprimant sur la décision de la cour d'appel, la porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, a déclaré: «Les juges du tribunal de commerce international des États-Unis ont abusé de leur pouvoir judiciaire de manière éhontée pour usurper l'autorité du président Trump et l'empêcher d'exécuter le mandat que le peuple américain lui a confié. En fin de compte, la Cour suprême doit mettre un terme à cette situation, au nom de notre Constitution et de notre pays.»

La question de la guerre tarifaire est l’objet d’un conflit intense au sein de la classe dirigeante, dont une partie importante craint les dommages qu’elle cause à l’économie américaine et à la position de puissance mondiale prééminente des États-Unis.

Ces points de vue ont été exprimés dans un éditorial du Wall Street Journal, qui a déclaré que la décision de mercredi avait été entendue dans le monde entier et constituait «un moment important pour l'État de droit autant que pour l'économie».

L’article déclarait que les tarifs douaniers de Trump avaient «créé d'énormes coûts et une incertitude, mais nous savons maintenant qu'ils sont illégaux».

L'action en justice visant l'administration fut intentée par VOS Selections, un importateur de vins new-yorkais, et quatre autres petites entreprises. VOS était représenté par le Liberty Justice Center, décrit comme un cabinet de contentieux public «libertarien».

Elle a été soutenue par une coalition de 12 États menée par l'Oregon qui a demandé une injonction permanente contre les tarifs douaniers de Trump.

Trump a ordonné ces tarifs en vertu de la loi de 1977 sur les pouvoirs économiques d’urgence internationale (IEEPA), qui donne au président le pouvoir de prendre des mesures économiques en cas d’«urgence nationale».

L’administration a affirmé que c’étaient les déficits commerciaux persistants des États-Unis, qui durent depuis des décennies, qui avaient créé une telle situation.

Les avocats des plaignants ont fait valoir que l'IEEPA ne conférait pas au président le pouvoir d'imposer des droits de douane, cette responsabilité relevant du Congrès. Ils ont soutenu que « l'IEEPA ne mentionne même pas les droits de douane» et que les déficits ne constituaient « ni une urgence ni une menace inhabituelle ou extraordinaire», puisqu’ils avaient persisté durant des décennies.

Ils ont soutenu que le Congrès ne pouvait pas déléguer son autorité législative au président.

«S’il existe des limites constitutionnelles à une délégation, elles s’appliquent ici dans un cas où l’exécutif revendique une autorité pratiquement illimitée pour imposer des augmentations de taxes massives et déclencher une guerre commerciale mondiale.»

Le ministère de la Justice de Trump a fait valoir que le président avait historiquement mené les affaires étrangères et traité de la sécurité nationale par la réglementation du commerce, et qu'en approuvant l'IEEPA, le Congrès lui avait délégué des pouvoirs. Il a déclaré qu'en matière d'affaires étrangères, les larges pouvoirs discrétionnaires accordés à l'exécutif étaient courants et que la déclaration d'état d'urgence de Trump était une question politique sur laquelle le pouvoir judiciaire ne pouvait se prononcer.

Le tribunal a statué que les décrets présidentiels émis par Trump «sont déclarés non valides car contraires à la loi». Il a déclaré que les «décrets tarifaires mondiaux et de rétorsion outrepassent toute autorité accordée au président pour réglementer les importations au moyen de droits de douane».

S'agissant de l'argument selon lequel le Congrès aurait délégué son autorité au président, le tribunal a déclaré que céder au président un «pouvoir tarifaire illimité» serait inconstitutionnel. «Une délégation illimitée de pouvoir tarifaire constituerait une abdication abusive du pouvoir législatif au profit d'une autre branche du gouvernement.»

Il a soutenu que le déficit commercial américain ne correspondait pas à la définition de menace inhabituelle et extraordinaire donnée par l'IEEPA.

Le tribunal a également statué que les tarifs imposés par Trump au Mexique et au Canada en raison du trafic de drogue fentanyl à la frontière étaient illégaux car ils ne s'attaquaient pas au problème du trafic de drogue.

Le tribunal a également statué en faveur de la coalition d'États menée par l'Oregon. Lors de l'audience, leur représentant juridique, Brian Marshall, a déclaré que les droits de douane imposés par Trump étaient sans précédent et intenables.

«Le gouvernement soutient que tant que le président affirme être confronté à une menace inhabituelle et extraordinaire, il peut fixer des droits de douane de n'importe quel montant pour n'importe quel pays et pour n'importe quelle durée, sans qu'aucun tribunal ne puisse les réviser», a-t-il déclaré. «C'est une position qu'aucun tribunal n'a jamais adoptée et, jusqu'à cette année, un pouvoir qu'aucun président n'avait jamais revendiqué.»

Il y eut des échanges houleux au cours de l'affaire menée par l'Oregon, qui soutenait que les tarifs augmenteraient le coût des équipements et des fournitures pour les organisations publiques.

Brett Shumate, avocat du ministère de la Justice, a déclaré qu'une injonction contre les droits de douane «paralyserait complètement le président» dans ses tentatives de conclure des accords commerciaux. Jane Restani, juge la plus ancienne du tribunal, a rétorqué que le tribunal ne pouvait, pour des raisons politiques, autoriser le président à faire «quelque chose que la loi ne lui autorise pas».

La question de savoir ce qui constituait une urgence a suscité de nombreux échanges. Shumate a déclaré au tribunal que «le président avait identifié l'urgence et avait décidé des moyens d'y remédier». Il a précisé que l'objectif des mesures tarifaires était de «réunir nos partenaires commerciaux autour d'une table» et de créer les conditions d'un accord.

Restani a répondu: «C’est peut-être un plan très élégant, mais il doit être conforme à la loi.»

La décision des trois juges dit : « Le tribunal ne se prononce pas sur la pertinence ou l’efficacité probable de l’utilisation des droits de douane comme moyen de pression par le président. Cette utilisation est inadmissible non pas parce qu’elle est peu sage ou inefficace, mais parce que [la loi fédérale] ne l’autorise pas. »

L’administration arguait que si une décision donnait gain de cause aux plaignants, celle-ci devrait être bien circonscrite quant à son application. Cela fut rejeté.

«Il n’est pas question ici d’un allègement étroitement adapté; si les ordonnances tarifaires contestées sont illégales pour les plaignants, elles le sont pour tous», ont déclaré les juges.

La décision du tribunal a suscité une réaction prévisible de colère de la part de l’administration Trump.

Le porte-parole de la Maison Blanche, Kush Desai, a déclaré: «Le traitement non réciproque des États-Unis par les pays étrangers a alimenté les déficits commerciaux historiques et persistants des États-Unis. Ces déficits ont créé une urgence nationale qui a décimé les communautés américaines, mis nos travailleurs sur la touche et affaibli notre base industrielle de défense – des faits que le tribunal n'a pas contestés.»

Il a ensuite exposé la théorie du pouvoir exécutif illimité qui constitue la base des efforts de l’administration Trump pour construire un État autoritaire et fasciste.

« Il n'appartient pas à des juges non élus de décider de la meilleure façon de gérer une urgence nationale. Le président Trump s'est engagé à donner la priorité à l'Amérique, et l'administration est déterminée à utiliser tous les leviers du pouvoir exécutif pour résoudre cette crise et restaurer la grandeur américaine. »

Selon cette doctrine, qui a été avancée dans d’autres décisions judiciaires visant l’administration, le président détermine ce qui constitue une crise et une «urgence nationale» et les mesures à prendre pour y remédier sans aucune contrainte judiciaire ou autre.

En réaction aux précédentes décisions défavorables, les membres du régime Trump ont fustigé des « juges activistes », des « fous » et même des « marxistes ». Ils auront du mal à le faire cette fois-ci.

La membre la plus ancienne du panel de juges, Restani, a été nommée au tribunal par Ronald Reagan. Timothy Reif, un démocrate réputé pour son protectionnisme commercial, a été nommé au tribunal par Trump. Le troisième membre, Gary Katzmann, ancien procureur fédéral, a été nommé par l'administration Obama.

La décision du tribunal de commerce international est un coup dur pour l'administration Trump. Mais la question est loin d'être réglée et elle ne concerne pas les droits de douane imposés sur l'automobile, l'acier, l'aluminium et, prochainement, sur les produits pharmaceutiques.

L’administration espère sans aucun doute que la décision du Tribunal de commerce international sera annulée par la Cour suprême, qui a donné en juillet dernier quasiment carte blanche au président pour utiliser son pouvoir exécutif à condition qu’il exerce des «fonctions officielles».

Si cela échoue, d'autres moyens peuvent être utilisés, notamment les articles 232 et 301 de la Loi sur le commerce de 1974. Cette dernière confère au président le pouvoir de «prendre des mesures de rétorsion contre les pratiques commerciales de pays étrangers», qui peuvent inclure des «droits de douane ou des mesures non tarifaires» pour contrer des mesures jugées contraignantes pour les États-Unis.

Après avoir salué ce sursis comme une «grande victoire pour le président» dans une interview avec Fox News, Kevin Hassett, directeur du Conseil économique national, a indiqué que l’administration pourrait se diriger dans cette direction si le recours à l’IEEPA n’aboutissait pas.

Il a déclaré que l'administration pourrait adopter différentes approches pour imposer des droits de douane. «Nous n'envisageons pas de les adopter pour le moment, car nous sommes très confiants», car la décision du Tribunal international du commerce est «vraiment erronée».

(Article paru en anglais le 30 mai 2025)

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