La faillite politique de la réunion anti-guerre du 24 mai à Paris de Révolution Permanente

Paris, France. [Photo by Jiuguang Wang / undefined]

Le 24 mai, Révolution Permanente (RP) organise à Paris une réunion de la Fraction trotskiste-IVe Internationale (FT-QI) moréniste, dirigée par le Parti des travailleurs socialistes (PTS) argentin, sous le titre « Contre le militarisme impérialiste et l'Internationale réactionnaire ». Des représentants des affiliés de la FT-QI en France, en Argentine, en Allemagne, en Espagne et aux États-Unis y assisteront.

Cette réunion intervient sur fond d'indignation croissante face au génocide de Gaza, au bilan qui s’alourdit des guerres en Ukraine et au Moyen-Orient, et à la montée en puissance du président fasciste américain Donald Trump et de ses alliés d'extrême droite. En France, où la guerre commerciale de Trump attise les craintes d'un conflit plus large, 55 pour cent de la population craint le déclenchement d'une Troisième Guerre mondiale.

Mais loin d’offrir une voie à suivre, la réunion du RP représente une impasse politique pour les jeunes et les travailleurs qui cherchent à s’opposer au génocide, à la guerre et au fascisme.

Ce qui manque aux travailleurs et aux jeunes, ce n'est ni la colère ni le mécontentement, mais une perspective claire sur ce qu'il faut faire et qui combattre pour enrayer la spirale mortelle du capitalisme. La FT-QI n'offre aucune perspective. Elle cherche plutôt à concilier des phrases creuses sur la révolution, l'internationalisme et le trotskisme avec ses alliances réelles avec les partis staliniens, sociaux-démocrates et libéraux pro-guerre, ainsi qu'avec les bureaucraties syndicales nationalistes. Elle écrit:

Dans le cadre d’une crise historique des relations transatlantiques, l’ensemble des chefs d’État européens se préparent à accélérer leur tournant vers le réarmement [...] Pour financer le réarmement et imposer leur agenda militariste, il faut donc s’attendre à des attaques brutales contre nos conditions de vie et nos droits démocratiques.

En réalité, les pays impérialistes européens ne se contentent pas de «préparer» un «tournant vers» le militarisme; elles se militarisent à un rythme effréné. L’UE a adopté un plan de réarmement de 800 milliards d’euros, et l’Allemagne, à elle seule de 1.000 milliards d’euros. Ces budgets colossaux rendent inéluctable cette conclusion: la bourgeoisie veut ruiner les masses et ériger des régimes policiers fascisants pour écraser l’opposition de la classe ouvrière.

Les travailleurs et les jeunes ne peuvent pas stopper la spirale militaire par les urnes. Celle-ci progresse quel que soit le parti capitaliste au pouvoir – que ce soient des fascistes comme la première ministre italienne alliée de Trump, Giorgia Meloni, des soi-disant «centristes» (le chancelier allemand Friedrich Merz et le président français Emmanuel Macron, ou des partis dits de « gauche » comme Podemos (aujourd'hui Sumar) en Espagne. RP déclare:

Dans ce cadre, l’extrême-droite séduit de plus en plus les classes dominantes, de Trump et Musk aux États-Unis, en passant par Meloni en Italie, Milei en Argentine mais aussi Le Pen en France. Une véritable internationale réactionnaire se dessine, surfant sur les politiques racistes et anti-ouvrières [...]

Comme toujours avec RP, le plus significatif est ce qui n’est pas dit. Il faut demander: après les horreurs du fascisme, du génocide et de la Seconde Guerre mondiale au XXe siècle, comment la bourgeoisie peut-elle à nouveau porter au pouvoir des gouvernements d'extrême droite? Ce n'est pas que des mouvements fascistes de masse comme les Chemises brunes d'Hitler défilent dans les rues ou mobilisent des millions de personnes en Europe ou aux États-Unis.

Les éléments d'extrême droite exploitent la désillusion des travailleurs et des jeunes, suscitée par les trahisons des partis faussement présentés comme «de gauche» par les grands médias. L’étouffement des luttes ouvrières par ces partis permet aux démagogues d'extrême droite de gagner des voix, y compris parmi des pans entiers de la classe ouvrière.

Comment les travailleurs peuvent-ils lutter contre la guerre impérialiste, le fascisme et le génocide? RP conclut:

Un meeting ouvrier et révolutionnaire, pour souligner que seuls les travailleurs, la jeunesse et les classes populaires ont la force d’arrêter un processus de militarisation qui ne fait que commencer. Alors que toutes les courses à l’armement en Europe se sont terminées par des massacres, ce que les puissants de ce monde craignent bien plus que des chars ou des missiles nucléaires, ce sont les luttes et les révolutions. La meilleure contribution à la paix, la seule mobilisation valable contre la guerre, c’est de combattre notre gouvernement, nos patrons, notre propre impérialisme et ses plans de guerre, dans une perspective internationaliste, ouvrière et révolutionnaire.

Mais quelle « perspective révolutionnaire » RP soutient-elle concrètement, et que veut-elle que les travailleurs fassent? RP reste muette sur ses propres liens avec des organisations pro-impérialistes telles que les Socialistes démocrates d'Amérique (DSA), Die Linke en Allemagne, Podemos en Espagne, le Nouveau Front populaire (NFP) en France et la bureaucratie à direction stalinienne qui contrôle la CGT.

Une véritable perspective révolutionnaire exige une lutte politique irréconciliable contre toutes les organisations qui lient la classe ouvrière à l'État capitaliste. Or, c'est précisément ce que RP et la FT-QI refusent de faire.

Pour comprendre le rôle de la FT-QI, il faut rappeler la lutte de Trotsky contre les centristes des années 1930. Sur fond de crise révolutionnaire après la grève générale française de 1936 et face à la menace d'une Seconde Guerre mondiale, Trotsky a analysé le rôle de Marceau Pivert, un social-démocrate qui critiquait le gouvernement du Front populaire mais refusait de rompre avec le stalinisme et construire la IVe Internationale. Le centrisme, écrivait Trotsky,

craint de rompre ses relations amicales habituelles avec les amis de droite, il «respecte » les opinions personnelles ; c'est pourquoi il porte tous ses coups contre la gauche, s'efforçant ainsi d'élever son prestige aux yeux de l'opinion publique sérieuse. [...] [Il] ne comprend absolument pas qu'une manière impitoyable de poser les questions fondamentales et une polémique féroce contre les hésitations ne sont que le reflet idéologique et pédagogique nécessaire du caractère implacable et cruel de la lutte des classes de notre temps. (Où va le PSOP, Léon Trotsky, 1939)

Un fossé de classe sépare Marceau Pivert du milieu petit-bourgeois dans lequel évolue la FT-QI. Pivert était dirigeant d'un parti ouvrier de masse dont les membres ont lutté pour des réformes importantes, la journée de huit heures et les congés payés. S’il refusait de lutter pour une alternative révolutionnaire au stalinisme, il a permis aux trotskistes de rejoindre son parti, pour qu’ils puissent travailler dans une couche plus large de travailleurs. 85 ans plus tard, la FT-QI gravite non pas autour d'organisations ouvrières réformistes, mais de partis petits-bourgeois pro-impérialistes.

Comment la FT-QI bloque la lutte de classe contre le fascisme et la guerre

Les partis de pseudo-gauche d'aujourd'hui partagent toutefois une similitude indéniable avec les centristes en faillite de la France des années 1930: face à la menace fasciste et au danger imminent d'une guerre mondiale, ils bloquent une lutte révolutionnaire et s'opposent à une lutte pour le trotskisme.

Les différentes sections de la FT-QI remplissent ce rôle dans les pays où elles opèrent. En fait, ce n’est pas une organisation internationale, au sens d'une stratégie mondiale unifiée, mais d'un ensemble d'organisations nationales diverses qui se basent sur des manœuvres tactiques orientées vers les partis bourgeois et les bureaucraties syndicales de leurs pays respectifs.

L'année dernière, le parti espagnol Courant révolutionnaire des travailleurs (CRT) a lancé une campagne électorale orientée vers les Anticapitalistas pablistes, qui avait auparavant participé au gouvernement d'austérité du Parti socialiste espagnol (PSOE)-Podemos.

Left Voice (LV), filiale américaine de la FT-QI, sera représentée à Paris par Julia Wallace, fonctionnaire du syndicat SEIU et dirigeante de Black Lives Matter (BLM), mouvement qui cherche à diviser la classe ouvrière selon des critères ethniques et à entraver une lutte unifiée contre le capitalisme. Alors que Wallace se déplace à Paris, Left Voice défend des responsables syndicaux comme le président de l'UAW, Shawn Fain, qui soutient la guerre commerciale nationaliste de Trump. Après avoir critiqué la déclaration de Fain selon laquelle il était «prêt à collaborer avec Trump» sur la guerre commerciale, Left Voice l'a néanmoins salué comme «l'une des figures les plus importantes de la nouvelle bureaucratie syndicale progressiste».

En Allemagne, bien que n'appartenant pas officiellement au Parti de gauche – un parti pro-impérialiste jouant un rôle crucial au sein de l'État allemand –, l’Organisation révolutionnaire internationaliste (RIO) moréniste s'oriente entièrement vers ce parti et ses satellites. Face à la montée de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), la RIO a appelé à un mouvement unifié englobant non seulement la «gauche», mais aussi diverses organisations de droite, toutes responsables de la montée de l'AfD.

L'anti-trotskisme de la FT-QI s'étend à la promotion d'Anura Kumara Dissanayake, président pro-austérité du Sri Lanka et leader du parti ex-maoïste et chauvin cinghalais Janatha Vimukthi Peramuna (JVP). Dans un article publié aussi par RP, Left Voice avoue que la campagne de Dissanayake a été «marquée par le chauvinisme cinghalais-bouddhiste», mais affirme qu'elle «pouvait constituer un espoir» pour la population. Leur seul reproche est que Dissanayake «a depuis longtemps laissé ses origines marxistes derrière lui» et «définitivement abandonné les éléments les plus avancés de son programme», qui est en fait déjà imprégné de nationalisme et d'hostilité envers la classe ouvrière.

Ici, la FT-QI offre une couverture politique au régime pro-austérité du JVP au Sri Lanka. En réalité, le JVP était un fervent partisan de la guerre communautaire menée par l'État sri-lankais contre la population tamoule de 1983 à 2009, notamment du massacre de dizaines de milliers de combattants et de civils tamouls à Mullaitivu. Il est également responsable de l'assassinat de membres de la section sri-lankaise du CIQI, ciblés pour leur lutte pour l'unité des travailleurs cinghalais, tamouls et musulmans.

RP et la lutte des classes en France

Il est impossible de s’opposer sérieusement à l'impérialisme sur une telle base. La France en fournit un parfait exemple. Révolution Permanente (RP) est issue d’une fraction du NPA pabliste qui cherchait à recruter de jeunes bureaucrates de la CGT. Alors que les travailleurs quittaient les organisations staliniennes après des décennies de trahisons de leurs luttes, RP ne voyait pas la nécessité de construire une alternative révolutionnaire, mais une opportunité d'avancement politique et professionnel au sein de l'appareil syndical:

Dans le contexte du déclin du PCF au sein de la CGT et de la crise du recrutement, les jeunes responsables syndicaux peuvent se retrouver assez rapidement à la tête d’organisations et de structures syndicales importantes. […] Tout révolutionnaire digne de ce nom doit prêter la plus grande attention à ce phénomène, et chercher à tout prix à converger avec cette nouvelle génération.

La perspective de RP a été mise à l'épreuve lors des grèves de masse de 2023 contre la réforme des retraites imposée par Macron pour financer le réarmement militaire. La France était plongée dans sa crise politique la plus profonde depuis la grève générale de Mai 1968; Macron foulait aux pieds l'opposition de masse et envoyait des forces de l'ordre tabasser les grévistes. RP s'est contentée d'exiger que la bureaucratie cégétiste fournisse un «plan de bataille» contre Macron.

Le Parti de l'égalité socialiste (PES), section française du CIQI, a lancé un appel à la classe ouvrière pour renverser Macron, qui gouvernait contre le peuple. Lors de réunions de travailleurs et de jeunes pendant les manifestations, les membres du PES ont expliqué:

Ce qu'il faut faire, c'est lancer un mouvement politique pour le renvoi de Macron, pour faire tomber le gouvernement Macron par une grève générale. Il s’agit d’organiser des assemblées générales dans les universités, dans tous les lieux de travail de France pour dire que ce président doit partir et que pour cela, il faut mobiliser la classe ouvrière indépendamment de tous les appareils qui sont en train de négocier avec Macron, non pas de lutter contre lui. Si cette assemblée vote une résolution claire, qui dit que Macron doit partir, que la présidence de la Ve République est devenue le centre d’une dictature illégitime exercée par les banques contre les travailleurs, cela aura un impact énorme. Cela permettra aux jeunes d’aller sur les lieux de travail, de parler aux travailleurs, de leur dire de faire la même chose, de se rassembler sur leurs lieux de travail en assemblée générale, de voter des déclarations appelant à faire chuter Macron ainsi, créer des organisations par lesquelles les travailleurs peuvent renvoyer Macron, abolir la présidence de la Ve République, et ouvrir un chemin vers la prise du pouvoir par la classe ouvrière et la construction du socialisme.

Alors même que des émeutes éclataient à travers la France, RP s'opposait à une perspective socialiste. Lors de rassemblements de protestation de masse, les militants de RP rejetèrent les motions du PES appelant à la grève générale et à la rupture avec la bureaucratie syndicale.

« La situation n’est pas révolutionnaire», a dit Juan Chingo, membre de RP, affirmant soutenir «la tradition révolutionnaire jacobine», c'est-à-dire une révolution nationale bourgeoise comme si on était encore en 1789. Selon RP, «cela aiderait beaucoup le mouvement de masse à faire une expérience avec la démocratie représentative bourgeoise». Finalement, RP s'inclina devant les bureaucraties syndicales quand elles ont mis fin aux grèves après la promulgation de la réforme.

Cette lutte a révélé la loyauté essentielle de RP envers le régime bourgeois – c’est-à-dire non pas le socialisme, mais le capitalisme – et des alliances avec le stalinisme. Cela s'est confirmé une nouvelle fois l'année dernière lorsque RP a soutenu un vote critique pour le Nouveau Front populaire (NFP), alliance entre la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, le PS bourgeois, les Verts, le PCF stalinien et le NPA.

Les avertissements du PES sur la traîtrise du NFP, une alliance pro-guerre dont le programme prévoyait l'envoi de troupes françaises en Ukraine, se sont avérés fondés. Après avoir formé un bloc électoral avec Macron sous prétexte de contrer le RN néofasciste, le NFP n'a organisé aucune manifestation ni grève sérieuse lorsque Macron a ignoré le résultat des élections – où le NFP est arrivé en tête – et a installé un gouvernement minoritaire de droite. Le NFP a ainsi joué un rôle décisif pour maintenir Macron au pouvoir.

Parmi ses complices figurait RP, qui a dit comprendre un vote NFP au prétexte fallacieux que la présence du PCF dans le NFP signifiait qu’il faisait partie du «mouvement ouvrier». Tout en avouant que le PCF est «loin de s'opposer aux arguments sécuritaires, xénophobes et islamophobes, et qu’il les alimente même parfois en reprenant ces thématiques», RP le défendait néanmoins: « Si le PCF a participé comme force d’appoint à plusieurs gouvernements de gauche, ce parti se réclame du mouvement ouvrier et conserve une certaine base ouvrière héritée de son passé ou des quelques liens maintenus avec le syndicalisme.»

Ce bilan révèle le mensonge du meeting de RP à Paris: il prétend mener une lutte acharnée contre l’extrême droite. En fait, le RP est aligné sur les organisateurs des défaites – sur des forces qui démobilisent systématiquement les travailleurs et créent les conditions permettant à l’extrême droite de se présenter à tort comme la seule véritable opposition au statu quo. Le principal bénéficiaire de ces trahisons a été le RN néofasciste.

Il faut souligner une leçon politique cruciale de l'histoire du XXe siècle. À une époque de guerre mondiale, de fascisme et de génocide, les tendances petites-bourgeoises qui s'adaptent à l'impérialisme, légitiment la xénophobie et couvrent le stalinisme et les massacres ethniques avec une phraséologie pseudo-marxiste mènent à la catastrophe. Pour les travailleurs et les jeunes en quête d'une véritable voie révolutionnaire, l'urgence est de rompre résolument avec ces forces et de s'y opposer.

Ceci ne peut être le fruit d'un patchwork de tactiques nationales pragmatiquement choisies. Elle exige un combat intransigeant pour la mobilisation internationale de la classe ouvrière contre la guerre, le fascisme et le capitalisme, et la construction d'une direction révolutionnaire internationale trotskiste. C'est la perspective que défend le CIQI.

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