La grève nationale des travailleurs de Postes Canada sabotée par la bureaucratie du STTP

Pour vous impliquer dans le Comité de base des travailleurs des postes, qui lutte pour que les postiers prennent la direction de leur lutte en la retirant des mains de l'appareil pro-patronal du STTP, remplissez le formulaire à la fin de cet article ou envoyez un courriel à canadapostworkersrfc@gmail.com.

Un piquet de postiers à l’extérieur du centre de tri Albert Jackson, à Toronto, lors de la grève de l’automne dernier [Photo: WSWS]

Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) a annoncé jeudi soir que la grève nationale prévue pour le 23 mai à 0h01 serait transformée en un refus de faire du temps supplémentaire. Cette décision souligne qu'à chaque étape de la longue lutte contractuelle actuelle, la direction du STTP a pris des décisions visant à placer les travailleurs dans la pire position possible pour mener à bien leur lutte visant à défendre des emplois à temps plein sûrs et des services publics de qualité, et veiller à ce que l'IA et d'autres nouvelles technologies soient utilisées pour améliorer les services à la population et la vie des travailleurs.

Les 55 000 postiers sont confrontés à un assaut de la direction et du gouvernement libéral, avec le soutien total des entreprises canadiennes, contre leurs salaires, leurs conditions de travail et leurs emplois. L'objectif de cet assaut est de transformer Postes Canada en une entreprise à but lucratif en « Amazonifiant » le service postal. Comme le World Socialist Web Site l'a expliqué dans des articles précédents, la restructuration radicale qu'ils exigent comprend une vaste expansion du travail à la demande, l'introduction de l'acheminement dynamique pour accroître l'exploitation des travailleurs, l'élimination de milliers de postes à temps plein et des «augmentations » salariales inférieures à l'inflation.

Plus généralement, ils veulent faire un exemple des postiers afin d'intensifier le démantèlement des services publics et la destruction des droits des travailleurs, y compris le droit de grève. Le gouvernement et les grandes entreprises considèrent que cela est nécessaire pour consacrer des dizaines de milliards de dollars supplémentaires aux dépenses militaires et à l'enrichissement de l'oligarchie financière par le biais de nouvelles subventions et de réductions d'impôts. La lutte des postiers est donc une lutte dans laquelle tous les travailleurs, quel que soit leur secteur économique, sont directement concernés.

La direction du STTP n'a cessé de tromper la base en niant le caractère politique de la lutte qu'elle mène et la nécessité de l'élargir à d'autres secteurs de la classe ouvrière.

Cette attitude s'est poursuivie ces derniers jours, lorsque le STTP a proposé à la direction de retarder de deux semaines toute grève, si elle acceptait d'écarter la menace d'un lock-out afin que les responsables syndicaux puissent examiner les dispositions juridiques de la dernière offre d’entente misérable de la Société canadienne des postes. Cette offre comprenait une augmentation salariale de 13,59 % répartie sur quatre ans, l'introduction de la livraison sept jours sur sept et la mise en œuvre d'un « acheminement dynamique », qui permettra d'ajuster les itinéraires quotidiennement au nom de l'« efficacité » et de faciliter la vaste expansion du travail à temps partiel. La société d'État a rejeté avec virulence la trêve de deux semaines, sachant pertinemment qu'elle bénéficie du soutien de l'ensemble de la classe dirigeante, y compris du gouvernement libéral dirigé par Mark Carney, et qu'elle peut compter sur le STTP pour museler l'opposition de la base.

Lors d'une réunion en ligne qui s'est tenue jeudi soir et à laquelle ont participé jusqu'à 1000 travailleurs des provinces de l'Atlantique et du centre du Canada, le STTP a dévoilé son plan visant à transformer la grève de vendredi en une interdiction de faire des heures supplémentaires. Les travailleurs à temps plein ont reçu la consigne de ne pas accepter de tâches dépassant l'horaire normal d'un travail à temps plein, soit huit heures par jour ou 40 heures par semaine.

Cependant, les dirigeants du STTP ont immédiatement sapé l'efficacité même de ce stratagème. Pour aider la direction à assurer le travail découlant du refus des travailleurs à temps plein d'accepter du temps supplémentaire, le syndicat a annoncé que « les travailleurs à temps partiel et les travailleurs temporaires sont autorisés à prolonger (leurs heures), jusqu'à un maximum de 8 heures par jour, 40 heures par semaine ».

L'interdiction des heures supplémentaires permettrait de « minimiser les perturbations » pour le public, a affirmé la bureaucratie syndicale, soulignant ainsi qu'elle considère le reste de la population active comme une masse hostile dressée contre les postiers. Pour couronner le tout, l'annonce du STTP critiquait la direction, non pas pour avoir planifié la dégradation des conditions de travail des postiers, mais pour avoir créé une « incertitude » qui avait orienté « certains clients » vers « nos concurrents ». En d'autres termes, les travailleurs de Purolator, UPS, Amazon et autres ne sont pas des alliés dans la lutte contre les patrons, mais des « concurrents » commerciaux à combattre.

La présidente du STTP, Jan Simpson, et ses collègues bureaucrates veulent à tout prix persuader les postiers qu'ils sont seuls et isolés, et qu'ils doivent limiter tout ce qu'ils font au cadre truqué et pro-employeur de la «négociation collective ».

Depuis le début de la lutte contractuelle, cette approche a conduit la direction du syndicat à faire tout ce qu'elle pouvait pour affaiblir la lutte des postiers et empêcher les travailleurs de l'étendre à d'autres sections de la classe ouvrière, laissant à la classe dirigeante les mains libres pour planifier et mettre en œuvre sa restructuration de Postes Canada. Il s'agit notamment de :

  • Retarder le début de la grève de l'année dernière de deux semaines en novembre pour « poursuivre les négociations à la table », en dépit d'un vote écrasant de plus de 95 % de la base en faveur de la grève.
  • L'isolement des travailleurs sur les lignes de piquetage pendant près d'un mois et l'opposition à tout élargissement du mouvement aux travailleurs de Purolator, propriété de Postes Canada, et d'autres entreprises de logistique.
  • Ne pas avoir alerté les travailleurs sur l'inévitabilité de l'intervention gouvernementale et ne pas avoir expliqué ce que la direction du syndicat proposait de faire pour s'y opposer ; puis avoir appliqué l'ordre illégal de retour au travail lorsque le gouvernement libéral l'a finalement émis en décembre, malgré les appels généralisés de la base pour qu'il soit défié.
  • La promotion de la Commission d'enquête sur les relations de travail (CERT) du gouvernement comme un forum ouvert où les travailleurs pourraient faire entendre leur voix, alors qu'en réalité il s'agissait dès le départ d'un piège qui visait à museler l'action collective des travailleurs et qui était dominé par des représentants de confiance des grandes entreprises. Comme prévu, la CERT, dirigée par l'arbitre fédéral de longue date Robert Kaplan, a servi d'instrument pour élaborer le plan de bataille des patrons contre les travailleurs postaux.
  • Une rencontre avec le ministre du Travail de l'époque, Stephen MacKinnon, celui-là même qui a criminalisé la grève des postiers, pour élaborer les mesures de guerre commerciale d'« Équipe Canada », que le STTP a présentées, comme l’ont fait tous les autres syndicats, comme étant destinées à protéger les travailleurs canadiens.
  • Avoir prétendu que les postiers avaient l'occasion, lors de la campagne électorale fédérale, de faire avancer leur lutte en votant pour les néo-démocrates, le même parti qui a assuré une majorité parlementaire aux libéraux briseurs de grève pendant plus de cinq ans. Lors de la réunion de jeudi soir, Simpson a eu l'audace d'affirmer que l'élection de l'ancien banquier central et dirigeant libéral Mark Carney au poste de premier ministre était le « deuxième meilleur » résultat que les postiers auraient pu espérer.

Le sabotage systématique de la lutte des postiers par la bureaucratie du STTP est dû au fait que les intérêts matériels de la direction du syndicat sont hostiles à ceux de la base. La bureaucratie du STTP veut parvenir à un arrangement avec la direction de Postes Canada qui permettra aux deux «partenaires » de présider une société capitaliste à but lucratif qui exploite les travailleurs et verse des cotisations à ses « représentants des travailleurs ». La bureaucratie a proposé d'augmenter la charge de travail des travailleurs postaux déjà surchargés avec des projets tels que les services bancaires postaux et les visites chez les personnes âgées.

Bien qu'elle ne manque pas de nouvelles idées commerciales à soumettre à la direction de Postes Canada, la bureaucratie n'a jamais proposé de stratégie permettant aux travailleurs de défendre leurs intérêts contre les attaques combinées de l'employeur et du gouvernement libéral.

La démobilisation et l'isolement des travailleurs postaux par la bureaucratie syndicale ont contribué à créer une atmosphère de confusion. Un travailleur qui a assisté à la réunion en ligne de jeudi a rapporté que certains travailleurs se sont prononcés contre une grève parce qu'ils n'avaient pas confiance dans le syndicat pour la mener. Lorsqu'un autre travailleur a pris la parole pendant la période de questions pour demander pourquoi le syndicat refusait d'élargir la lutte aux travailleurs de Purolator et à d'autres travailleurs de la logistique, Simpson et les autres bureaucrates du panel ont prétendu qu'ils ne l'entendaient pas et sont rapidement passés à autre chose.

Les événements de ces derniers jours soulignent l'urgence pour les travailleurs de prendre la direction de la lutte en main en créant des comités de base sur chaque lieu de travail. La direction du STTP a réussi jusqu'à présent à placer les postiers dans une position extrêmement vulnérable. La direction de Postes Canada a maintenant les coudées franches, ayant la possibilité de mettre les travailleurs en lock-out au moment de son choix, de compter sur les travailleurs à temps partiel pour absorber le travail supplémentaire engendré par l'interdiction des heures supplémentaires, ou d'attendre une intervention directe du gouvernement pour faire appliquer un règlement favorable à l'employeur.

Mais les postiers pourraient s'y opposer en mobilisant une force sociale encore plus puissante derrière leur lutte : la classe ouvrière canadienne et internationale. Les conditions pour le faire sont favorables. Les enjeux de la lutte des postiers – la défense des services publics et du droit de grève, la question de savoir si les nouvelles technologies seront utilisées pour accroître l'exploitation des travailleurs ou pour améliorer leur vie, et l'arrêt de la propagation des emplois précaires – sont d'une importance vitale pour des millions de travailleurs à travers le pays. Ils peuvent et doivent être mobilisés dans une contre-offensive sociale et politique contre l'austérité et la guerre capitaliste.

Qui plus est, cette bataille se déroule alors que les postiers aux États-Unis se mobilisent contre le plan de privatisation d'USPS de l'administration Trump. Comme l'a dit Daniel Berkley, postier et membre éminent du Comité de base des travailleurs des postes, lors d'une réunion organisée le week-end dernier par le Comité de base des travailleurs d'USPS :

Au Canada, les syndicats nous disent de nous aligner derrière nos patrons canadiens, qui utilisent la guerre commerciale de Trump comme une excuse pour nous exploiter davantage. La guerre tarifaire, précurseur d'une conflagration militaire mondiale, ne peut être stoppée que par l'unification internationale des luttes des travailleurs. Nous ne devrions pas nous aligner derrière nos propres classes dirigeantes sur la base d'un nationalisme réactionnaire. Libérés des bureaucraties syndicales perfides, nous pourrions libérer notre pouvoir social collectif pour lutter en faveur de revendications crédibles afin de défendre nos emplois et d'améliorer nos salaires et nos conditions de travail. C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui.

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