Comment le Parti de gauche allemand a ouvert la voie pour que Friedrich Merz devienne chancelier

Le leader des chrétiens-démocrates, Friedrich Merz, est félicité par le chancelier sortant Olaf Scholz après avoir été élu nouveau chancelier au Bundestag, le Parlement allemand, dans le bâtiment du Reichstag à Berlin, le mardi 6 mai 2025. [AP Photo/Ebrahim Noroozi]

À la suite de son succès électoral aux élections législatives, le Parti de gauche tente de se présenter à son congrès de Chemnitz, qui a débuté vendredi 9 mai, comme une organisation sociale, antifasciste et antimilitariste. Dans sa motion principale intitulée «Nous sommes l’espoir», le parti se décrit comme une «force politique motrice pour une telle alternative fondée sur la solidarité». Le Parti de gauche jouait « un rôle central dans les protestations contre le réarmement, les coupes dans les dépenses sociales, la destruction du climat et la dérive droitière » et poursuivait l’objectif de «se développer davantage en tant que parti de membres socialiste».

Ce ne sont là que des mensonges éhontés. Les jeunes travailleurs et étudiants qui veulent lutter contre le fascisme, le militarisme et les coupes sociales, et qui ont voté pour le Parti de gauche lors des élections au Bundestag, sont confrontés à des tâches historiques et politiques fondamentales. Avant tout, ils doivent développer une compréhension correcte du rôle du Parti de gauche. Celui-ci ne représente pas leurs intérêts et n’est pas un parti de gauche, ni même un parti socialiste. En réalité, il joue un rôle central dans les coupes sociales et l’expulsion des réfugiés, et il est également d’accord sur l’essentiel avec la politique du gouvernement en matière de guerre.

Cela a été particulièrement évident lors de l’élection de Friedrich Merz (Union chrétienne-démocrate, CDU) comme nouveau chancelier allemand, au second tour de scrutin au parlement il y a quelques jours. Le soutien du Parti de gauche a été décisif pour permettre à Merz d’accéder au pouvoir – un politicien qui collabore ouvertement avec le parti d’extrême droite AfD (Alternative pour l’Allemagne) sur des questions clés et qui soutient comme presque aucun autre politicien allemand les intérêts du capital financier, un militarisme agressif et un État autoritaire.

L’échec initial de Merz au premier tour de scrutin au Bundestag, a déclenché une nervosité fébrile dans tous les partis du parlement. Une crise politique ouverte se profilait, menaçant de secouer la stabilité du capitalisme et de l’impérialisme allemands et européens. Pour l’éviter, les groupes parlementaires se sont mis d’accord le jour même pour organiser un second tour de scrutin – avec le consentement du Parti de gauche, dont les voix étaient nécessaires pour atteindre la majorité des deux tiers requise afin d’ajuster les règles parlementaires pour qu’un second vote soit possible.

Peu avant le second vote, le chef notoirement droitier du groupe parlementaire CDU/CSU, Jens Spahn, a expliqué sans détour ce qui était en jeu. L’Europe entière, peut-être même le monde entier, observait cette élection, a-t-il déclaré, car on avait besoin de l’Allemagne. Il a ensuite remercié tous ceux qui avaient permis un second tour de scrutin aussi rapidement – surtout le Parti de gauche. Ses dirigeants avaient assuré à Merz, immédiatement après l’échec au premier vote, qu’ils rendraient possible une seconde élection.

Bodo Ramelow, ancien ministre-président de Thuringe et actuel vice-président du Bundestag, a assuré: «En tant que Parti de gauche, nous veillerons également à ce que la majorité des deux tiers soit atteinte.» Et après l’élection, il a salué la décision en déclarant: «Nous n’avons pas élu Friedrich Merz. Mais nous avons rendu possible le scrutin afin de protéger la démocratie.»

Bodo Ramelow (Die Linke) et son épouse Germana Alberti vom Hofe votent aux élections régionales de Thuringe, dans un bureau de vote d'Erfurt, le dimanche 1er septembre 2024.  [AP Photo/Ronny Hartmann]

L’ancien chef du groupe parlementaire du Parti de gauche, Dietmar Bartsch, a célébré le rôle de pilier de l’État de son parti en déclarant: «Aujourd’hui nous avons évité le chaos!»

En résumé : à un moment historique d’instabilité politique, le Parti de gauche a joué le rôle clé pour permettre à Merz de devenir chancelier et a ouvert la voie à son gouvernement d’extrême droite. La réaction du parti à son succès électoral surprise lors des récentes élections fédérales – il a obtenu le meilleur résultat de tous les partis auprès des électeurs de moins de 25 ans avec 25 % des voix – a été un brusque virage à droite.

Le gouvernement Merz est sans aucun doute le plus réactionnaire et le plus anti-ouvrier depuis la chute du régime nazi il y a 80 ans. Son objectif central est de lever les dernières restrictions imposées au militarisme allemand à la suite de ses crimes sans précédent de la Seconde Guerre mondiale. Avec l’adoption de crédits de guerre de 1 000 milliards d’euros, il a déjà jeté les bases d’un gigantesque réarmement.

La nouvelle coalition des conservateurs (CDU et CSU) et des sociaux-démocrates (SPD) ne se contente pas de se réarmer comme Hitler autrefois – elle prépare aussi un programme d’austérité sans précédent et accélère l’instauration d’un État policier autoritaire. Cela doit garantir les fonds pour le réarmement et réprimer la résistance croissante de la population. Sur le plan intérieur, elle adopte la politique migratoire de l’AfD fasciste et ouvre grand la porte à sa «politique culturelle» chargée de nationalisme.

Cela n’a pas empêché la présidente du Parti de gauche, Ines Schwerdtner, de lancer un appel à Merz pour une coopération étroite et permanente avec le nouveau gouvernement immédiatement après son élection comme chancelier. «J’attends de la CDU/CSU qu’elle ne nous contacte pas seulement quand la maison brûle, mais aussi pour d’autres décisions politiques nécessitant une majorité des deux tiers», a-t-elle déclaré.

 La signification d’une telle déclaration est sans équivoque. Le Parti de gauche se considère comme faisant partie du nouveau gouvernement et il est prêt à faire avancer son programme droitier face à une énorme opposition populaire.

Selon un sondage Deutschlandtrend publié mercredi, la nouvelle coalition est encore plus impopulaire que le gouvernement précédent, qui comprenait le SPD, les Verts et les libéraux (FDP). Selon ce sondage, seul un tiers de la population considère que Merz est un bon choix comme chancelier. Seuls 4 % des personnes interrogées jugent que le nouveau gouvernement est «très bon», 38 % le trouvent «bon», 29 % le trouvent «pas très bon» et 24 % le jugent «mauvais».

La solidarité du Parti de gauche avec Merz et son gouvernement détesté n’est pas une simple coïncidence. C’est le résultat direct de son orientation sociale et politique. C’est un parti d’État dont l’objectif principal est de défendre le capitalisme et l’ordre bourgeois. Pour cela, il est prêt à coopérer avec des forces ouvertement droitières et militaristes et à les aider à imposer leur politique.

Quelques semaines seulement avant l’élection de Merz, le Parti de gauche avait déjà approuvé des crédits de guerre de plus de 1 000 milliards d’euros au Bundesrat (Conseil fédéral) – le plus grand programme de réarmement depuis Hitler. Le soutien du parti n’était pas juste volontaire, puisque ses voix n’étaient pas nécessaires pour l’adopter, il a encore été justifié politiquement par ses principaux membres. La présidente du parti, Schwerdtner, et la tête de liste aux élections législatives, Reichinnek, ont déclaré à maintes reprises qu’elles n’étaient pas contre le réarmement, mais voulaient simplement contribuer à le façonner efficacement.

Lors d’un événement intitulé «Pourquoi le Parti de gauche a-t-il accepté la folie du réarmement?», le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste, SGP) a expliqué ce qui se cachait derrière l’agenda militariste et essentiellement bourgeois et droitier du Parti de gauche :

Le militarisme du Parti de gauche n’est finalement pas juste le produit de ses dirigeants droitiers, mais il est ancré dans l’orientation politique et sociale du parti et dans son histoire. … Il a toujours été une organisation bourgeoise représentant les intérêts de l’appareil d’État et des classes moyennes aisées.

Nous avons expliqué que l’organisation stalinienne qui l’a précédé, le Parti socialiste unifié/Parti du socialisme démocratique (SED/PDS), a soutenu la réintroduction du capitalisme en Allemagne de l’Est et ainsi préparé le terrain pour le retour du militarisme allemand; et que partout où il gouvernait ou a avait gouverné avec le SPD et les Verts au niveau des Länder, il organisait et imposait les attaques sociales les plus violentes.

L’argument du Parti de gauche selon lequel son soutien à Merz sert à «protéger la démocratie» et à lutter contre l’AfD est lui aussi une fraude. En réalité, il est responsable de la montée de l’extrême droite à plusieurs égards.

Premièrement, il a joué un rôle central dans la catastrophe sociale qui pousse de nombreux travailleurs au désespoir, en particulier dans les Länder de l’Est. Deuxièmement, le fait qu’il mène une politique droitière et capitaliste au nom d’un parti «de gauche» crée la frustration politique que les fascistes de l’AfD peuvent exploiter. Et troisièmement, le parti est également prêt à conclure des pactes avec l’extrême droite et ses soutiens dans la classe dirigeante pour qu’ils mettent en œuvre leur programme anti-réfugiés et anti-ouvrier. Son alliance avec Merz n’en est que l’expression la plus claire à ce jour.

Depuis sa fondation, le Parti de gauche a en réalité joué un rôle central pour désamorcer les crises du système politique et neutraliser la résistance à la politique de droite. Il ne prône pas une transformation socialiste, mais veut «réformer» le capitalisme – un projet qui conduit à la coopération ouverte avec la réaction dans des conditions de guerre, de polarisation sociale et de renforcement de l’appareil répressif de l’État.

En politique étrangère également, le Parti de gauche soutient l’impérialisme allemand sur tous les fronts de guerre. Cela vaut pour l’offensive guerrière de l’OTAN contre la Russie en Ukraine, tout comme pour le génocide d’Israël contre les Palestiniens ou le développement d’une politique de grande puissance germano-européenne. Lorsque Gregor Gysi, figure de proue et père fondateur du Parti de gauche, a ouvert le nouveau Bundestag en tant que président d’honneur pour sa longue carrière parlementaire, il a déclaré: «Si l’Union européenne fonctionnait vraiment, elle pourrait devenir une sorte de quatrième puissance mondiale aux côtés des États-Unis, de la Chine et de la Russie.»

Tous ceux qui veulent stopper la montée des fascistes, du militarisme et des coupes sociales qui l’accompagnent, et qui ont voté pour le Parti de gauche pour cette raison, doivent régler leurs comptes politiques avec ce parti. Contrairement aux affirmations de nombreuses tendances pseudo-de gauche au sein et autour du Parti de gauche, il n’existe pas de « gauche» du parti qui puisse être réformée, ni de «base» qui n’aurait qu’à se rebeller contre les va-t-en-guerre de son propre parti.

Il n’y a qu’une seule conclusion claire: ceux qui veulent lutter contre la guerre et le fascisme doivent consciemment adopter une perspective internationaliste et socialiste et construire le Parti de l’égalité socialiste, la section allemande du Comité international de la Quatrième Internationale, comme nouvelle direction révolutionnaire de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 10 mai 2025)

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