Le président allemand Steinmeier lors du 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale: «Nous devons devenir plus forts sur le plan militaire.»

Le président allemand Frank-Walter Steinmeier rend visite aux troupes allemandes en Lituanie

L'Allemagne – purifiée par la mémoire de ses crimes historiques – devait se réarmer militairement afin de défendre la liberté et la démocratie contre la Russie (et aussi les États-Unis). C'était, en résumé, le message central du discours prononcé par le président allemand Frank-Walter Steinmeier le 8 mai, à l'occasion du 80ᵉ anniversaire de la reddition de la Wehrmacht hitlérienne.

Dans un passage de son discours, Steinmeier a fait référence à Victor Klemperer, linguiste d’origine juive ayant survécu à la dictature nazie à Dresde, dont les journaux intimes comptent parmi les meilleurs témoignages sur la vie dans le Troisième Reich. Il aurait également dû mentionner le livre La langue du Troisième Reich: Carnet d’un philologue, dans lequel Klemperer analyse soigneusement la langue du Troisième Reich (Lingua Tertii Imperii) et démontre comment les nazis ont inversé le sens des mots et les ont répétés de façon stéréotypée pour manipuler l’opinion publique. Steinmeier a utilisé la même technique.

Le président allemand s’est exprimé dans le bâtiment du Reichstag devant les dirigeants de l’État et de la société, les membres du Bundestag (Parlement allemand) et le corps diplomatique. Mais deux représentants diplomatiques n’avaient pas été invités: l’ambassadeur de la Fédération de Russie, État successeur de l’Union soviétique – qui a consenti les plus grands sacrifices pour vaincre le régime nazi, au prix de 13 millions de soldats tombés et d’au moins 15 millions de civils tués – et l’ambassadeur de Biélorussie.

Steinmeier l’a justifié par la «guerre d’agression de Poutine» contre l’Ukraine et le «mensonge historique» selon lequel la guerre contre l’Ukraine serait la continuation de la lutte contre le fascisme, ce que le Kremlin utiliserait pour dissimuler une «folie impériale, une grave injustice et les crimes les plus graves». Il a promis de continuer à soutenir militairement l’Ukraine contre la Russie. «Laisser l’Ukraine sans protection et sans défense reviendrait à abandonner les leçons du 8 mai!» a-t-il soutenu.

Steinmeier sait mieux que cela. En tant que ministre allemand des Affaires étrangères, il a été personnellement impliqué en 2014 dans le renversement du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, qui avait refusé de signer avec l’Union européenne un accord défavorable. Steinmeier a rencontré le dirigeant du parti d’extrême droite Svoboda, qui s’inspire des traditions des collaborateurs nazis de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que d’autres représentants politiques des oligarques ukrainiens, afin de convenir de la destitution du président et du transfert du pouvoir. Le lendemain, des milices fascistes armées ont forcé Ianoukovitch à fuir et l’OTAN a commencé à réarmer systématiquement une armée ukrainienne effondrée.

L’attaque lancée par Poutine contre l’Ukraine a été une réponse réactionnaire à cet encerclement militaire par l’OTAN. En tant que représentant des oligarques russes, qui craignent la classe ouvrière internationale autant que la classe ouvrière russe, Poutine ne pouvait pas s’adresser aux masses et n’avait pas de réponse progressiste à l’avancée de l’OTAN. Présenter la guerre de celle-ci contre la Russie, que l’Allemagne a déjà soutenue à hauteur de 13 milliards d’euros, comme étant les «leçons du 8 mai» est le summum de la falsification historique.

La guerre vise à placer l’Ukraine et ses riches ressources naturelles sous contrôle européen – ou américain – et à éliminer la Russie comme rival géostratégique et la démanteler afin d’accéder sans entrave à ses matières premières.

Mais Steinmeier est allé encore plus loin dans son discours. Il a clairement indiqué qu’après deux tentatives ratées, l’Allemagne prévoit rien de moins qu’une troisième conquête de la puissance mondiale. «80 ans après la fin de la guerre, le long XXe siècle est enfin terminé», a-t-il déclaré. «Les leçons de deux dictatures et de deux guerres mondiales s’estompent. Les libérateurs d’Auschwitz sont devenus les nouveaux agresseurs.»

Les États-Unis, qui avaient joué un rôle clé dans la structuration de l’ordre d’après-guerre, se détournaient eux aussi. «C’est là rien moins qu’une double rupture d’époque – la guerre d’agression de la Russie et la rupture de l’Amérique d’avec ses valeurs – cela marque la fin du long XXe siècle», a déclaré Steinmeier. Avec notre histoire et notre expérience, l’Allemagne est «particulièrement bien équipée pour relever les défis de cette période». Elle ne devait pas être figée par la peur et devait faire preuve de confiance en elle-même.

«Nous devons devenir plus forts sur le plan militaire», a-t-il exigé. «Non pas pour faire la guerre, mais pour empêcher les guerres», a-t-il ajouté. Mais il s’agit là encore d’une formule stéréotypée qui inverse la réalité. L’Allemagne fait déjà la guerre – non seulement en Ukraine, où elle est le deuxième fournisseur d’armes après les États-Unis. Elle soutient également le génocide à Gaza et envoie des navires de guerre dans le Pacifique pour appuyer les préparatifs américains de guerre contre la Chine.

Il est significatif que les mots «Gaza», «Palestiniens» et «Chine» n’apparaissent pas dans le discours de Steinmeier, alors qu’il a explicitement salué «le miracle de la réconciliation» que «l’État d’Israël nous a offert».

Il a condamné «l’antisémitisme» en Allemagne – autre terme qu’il a inversé, suivant le modèle de la langue du Troisième Reich. Quiconque dénonce le génocide des Palestiniens à Gaza est désormais considéré comme «antisémite». Les images de la bande de Gaza sont aujourd’hui pires que celles de la destruction de Berlin le 8 mai 1945. De nombreuses institutions et tribunaux internationaux ont condamné le génocide israélien en tant que tel.

Steinmeier, qui cherche à toucher un public libéral et instruit, ne va pas jusqu’à nier le caractère criminel de la guerre d’extermination nazie. Il laisse cette tâche à d’autres.

La présidente du Bundestag, Julia Klöckner (Union chrétienne-démocrate), qui a pris la parole avant Steinmeier, a également commencé son discours en reconnaissant «l’ampleur monstrueuse des crimes allemands». Mais elle s’est ensuite concentrée sur les femmes et les filles qui ont subi des agressions sexuelles pendant la guerre et lors de la fuite. Les chiffres largement exagérés des viols commis par l’Armée rouge sont un sujet de prédilection des historiens revanchards.

Tandis que leurs ambassadeurs applaudissaient Steinmeier au Bundestag, les ministres des Affaires étrangères des États baltes, de la Pologne, de la République tchèque, de la Moldavie et de l’Ukraine publiaient un article commun dans le New York Times qui parle sans les cacher des véritables objectifs de l’offensive guerrière de l’OTAN.

Ces ministres des Affaires étrangères y nient que l’Armée rouge ait libéré l’Europe du fascisme, en assimilant les États apparus après la guerre en Europe de l’Est et l’Allemagne de l’Est à la dictature nazie.

«Nous nous souvenons de nos parents, grands-parents et autres proches tombés qui ont défendu notre liberté contre deux tyrannies du siècle dernier», écrivent-ils. Outre les victimes des nazis, ils commémorent les «millions de victimes des répressions soviétiques qui se sont poursuivies de l’autre côté du rideau de fer, alors que l’Europe se réunifiait et se reconstruisait après la guerre».

En réalité, de nombreux criminels nazis ont été punis sous le régime stalinien, tandis qu'en Allemagne de l'Ouest, même des meurtriers de masse ont fait carrière. Les grands propriétaires terriens qui ont fourni de nombreux officiers à la Wehrmacht et les capitalistes qui ont financé Hitler y ont été expropriés, alors qu'en Allemagne, ils ont conservé leur fortune gagnée sur les os de millions de travailleurs forcés.

Les dirigeants staliniens ont réprimé leurs opposants politiques dans l’intérêt d’une bureaucratie privilégiée. Mais ils n’ont ni mis en place de camps d’extermination de masse, ni mené de guerres d’extermination. Les gouvernements actuels de ces pays incarnent les oligarques criminels qui se sont enrichis en pillant les biens socialisés dans la restauration capitaliste et qui brûlent de piller la Russie en tant que partenaires juniors des grandes puissances.

Comme «leçon de la Seconde Guerre mondiale», les ministres des Affaires étrangères insistent sur la poursuite de la guerre contre la Russie. Ils exigent la restitution complète de l’Ukraine orientale et de la Crimée. «Apaiser l’agresseur conduit à plus d’agression, pas à la paix», écrivent-ils. «Les concessions sur des revendications territoriales illégales sont une erreur désastreuse.»

Ils réclament une évaluation appropriée «des deux idéologies totalitaires – le nazisme et le soviétisme», la condamnation de tous les «crimes du régime soviétique» avant et après la Seconde Guerre mondiale, une compensation russe «pour les dommages causés par l’occupation» ; ainsi que de «rendre des comptes pour les crimes actuels de la Russie, y compris après la future chute du régime de M. Poutine».

Tels sont les véritables objectifs que poursuivent également Steinmeier, le gouvernement Merz et leurs soutiens capitalistes. Ils entraînent l’Europe dans une troisième guerre mondiale.

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