Le premier mai, fête de la classe ouvrière internationale, les dirigeants syndicaux québécois sont restés fidèles à leurs habitudes: ils ont tenu leur rencontre annuelle avec François Legault, Premier ministre de droite et ennemi des travailleurs.
Comme par le passé, cette rencontre a été marquée par des appels au renforcement du partenariat tripartite syndicats-patronat-gouvernement. Toutefois, le ton des bureaucrates syndicaux présents (FTQ, CSQ, CSN, CSD) témoignait d’une nervosité grandissante en lien avec le projet de loi 89.
Le dépôt du PL89 en février dernier (Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out) a provoqué l’indignation des travailleurs de toute la province. Sous prétexte de vouloir «assurer la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population», le gouvernement Legault tente de supprimer le droit de grève purement et simplement.
Derrière leur apparente «opposition» au PL89, les syndicats rejettent la seule stratégie viable pour empêcher son adoption, à savoir une vaste mobilisation de la classe ouvrière au Québec et à travers le Canada contre les lois antigrèves dans le cadre d’une lutte contre tout le programme d’austérité capitaliste de l’élite dirigeante. Les chefs syndicaux font plutôt appel à la «bonne foi» de Legault et de son gouvernement de gens d’affaires dans l’espoir qu’ils retirent tout bonnement leur loi dictatoriale.
Sans surprise, les manifestations du premier mai n’ont pas servi à lancer une contre-offensive politique de la classe ouvrière, notamment contre le PL89. Les syndicats n’ont mené aucune campagne sérieuse pour mobiliser leurs membres. Cela s’est reflété par une participation de seulement quelques milliers de personnes à Montréal et tout au plus quelques centaines à Québec.
Rappelons que depuis des mois, les syndicats québécois n’ont jamais tenté de mobiliser les travailleurs dans le reste du Canada en défense de leurs frères et sœurs de classe au Québec. Tout comme les syndicats canadiens qui ont des membres dans toutes les provinces – Unifor, le CTC et le SCFP – n’ont pas même daigné informer leurs membres des dangereuses implications que représente le PL89 pour tous les travailleurs canadiens.
Après les manifs, les syndicats sont vite allés à leur principale besogne: rencontrer le Premier ministre pour le rassurer de leur dévouement à maintenir l’ordre et la «paix sociale», tout en l’exhortant d’écouter leurs recommandations.
Là, la présidente de la FTQ a averti Legault que son projet de loi risque de causer des «manifestations et du chaos». Elle a émis des craintes que les syndicats, dont la confiance auprès des travailleurs s’est effritée après des décennies de trahisons, soient incapables de contrôler la colère générée par le PL89. Autrement dit, les syndicats conseillent au gouvernement d’éviter la confrontation et d’utiliser leurs services – à travers le processus de négociations collectives – pour continuer d’imposer aux travailleurs les reculs exigés par l’élite patronale.
Prenant les travailleurs pour des idiots, Picard a déclaré que le Premier ministre, ancien PDG d’Air Transat multimillionnaire et plus de 25 ans de carrière politique «est dépassé par le projet de loi, il ne le comprend pas». Quelle duperie!
Legault et sa Coalition Avenir Québec (CAQ) sont de fidèles serviteurs de la grande entreprise, laquelle réclame depuis longtemps que l’État limite et criminalise les grèves afin que les profits s’accumulent sans interruption. C’est pourquoi le patronat a accueilli le projet de loi avec enthousiasme.
En effet, avec le PL89, le gouvernement veut octroyer au ministre du Travail le droit de supprimer toute action militante des travailleurs d’un simple claquement de doigts. Premièrement, la notion de «services essentiels», qui limite déjà le droit de grève dans plusieurs secteurs d’emploi, notamment en santé, serait étendue à l’ensemble du secteur privé et au réseau de l’éducation. Deuxièmement, le gouvernement veut pouvoir, par un simple avis, mettre fin à une grève et nommer un arbitre pour que celui-ci impose les nouvelles conditions de travail si l’intervention d’un médiateur ou d’un conciliateur se voit infructueuse.
Rappelons que la CAQ s’est inspirée directement du gouvernement libéral fédéral de l’ancien Premier ministre Justin Trudeau qui s’est servi du Conseil canadien des relations industrielles et d’une «réinterprétation» montée de toutes pièces de l’article 107 du Code canadien du travail pour briser une série de grèves, notamment la grève militante des postiers.
Cette attaque tous azimuts contre le droit de grève au Québec et au Canada fait partie d’un assaut grandissant contre les acquis de la classe ouvrière à l’échelle internationale, et à un tournant vers la dictature, alors que les gouvernements capitalistes tentent de supprimer toute opposition à la domination de l’oligarchie financière et du patronat.
Fait qui n’est pas anodin, Picard a menacé de faire du PL89 «l’enjeu de la prochaine élection» provinciale de 2026. «Si le PL89 est adopté, je vous garantis que notre lobby sera fait auprès de tous les partis d’opposition pour qu’ils s’engagent publiquement et dans leur plateforme à abroger la loi», a-t-elle lancé.
Elle a ensuite fait un lien avec la grève étudiante qui a secoué le Québec en 2012. «Un gouvernement a perdu ses élections en 2012 avec le Printemps érable et des moyens de pression qui ne cessaient plus. Tous n’étaient pas d’accord avec la grève étudiante, mais ils ont voté parce qu’ils voulaient que les moyens de pression arrêtent. Et c’est ça qui risque d’arriver». Elle a conclu en notant «qu’on a aussi dit au Premier ministre, qui nous dit que la population va être avec lui parce que les gens n’aiment pas la grève, que les gens n’aiment pas non plus les manifestations et le chaos».
Autrement dit, les syndicats se préparent à jouer le même rôle qu’ils ont joué lors de la grève étudiante. À l’époque, le gouvernement libéral de Jean Charest a répondu au mouvement étudiant contre la hausse des frais de scolarité en adoptant le projet de loi 78, une loi qui criminalisait la grève. Loin d’étouffer la colère sociale, cette loi digne d’un État policier a entraîné des centaines de milliers de travailleurs à travers la province à joindre spontanément l’opposition étudiante, un processus qui reflétait l’opposition de masse plus large à l’assaut patronal sur les emplois, les salaires et les services publics.
Alors que le mouvement était à son point d’ébullition et menaçait de devenir l’étincelle d’une puissante contre-offensive ouvrière à l’austérité capitaliste, les syndicats – avec la collaboration de Québec solidaire et des leaders étudiants comme Gabriel Nadeau-Dubois – sont directement intervenus pour étouffer la grève et la détourner vers des voies électorales inoffensives.
Avec son slogan «Après la rue, les urnes», la FTQ et ses alliés syndicaux appelaient les manifestants à rentrer chez eux et à s’exprimer plutôt dans de futures élections, que le gouvernement a dû déclencher quelques mois plus tard alors que la grève se poursuivait. Les syndicats ont fait campagne de manière à peine voilée pour le Parti québécois souverainiste (PQ), l’autre parti d’alternance de la classe dirigeante, qui a intensifié le programme de coupures sociales des libéraux, criminalisé des grèves et attisé le chauvinisme anti-immigrants avec sa Charte des valeurs québécoises.
En somme, contrairement à ce qu’avancent Picard et cie, le gouvernement Charest n’a pas perdu les élections aux mains du PQ parce que la «population» n’aime pas les manifestations, mais parce que les syndicats et la pseudo-gauche ont sciemment mené la grève dans un cul-de-sac électoral tout en promouvant leurs alliés péquistes.
Les travailleurs et les jeunes doivent assimiler ces leçons vitales pour empêcher la bureaucratie syndicale de saboter à nouveau les mouvements d’opposition qui vont inévitablement exploser dans un contexte de crise historique du capitalisme mondial. Pour aller de l’avant, les travailleurs doivent impérativement prendre les luttes prochaines entre leurs mains et en faire le catalyseur d’une lutte politique de la classe ouvrière contre tout le système de profit. La défense du droit de grève pourra ainsi être liée à l’opposition grandissante à l’austérité et à la guerre.
Le PES soutient l’initiative pour la création d’un réseau international de comités de base dans chaque industrie, tel que proposé par l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC). Un tel réseau permettra l’émancipation politique des travailleurs et ouvrira la voie à une unité sans précédent de la classe ouvrière internationale dans un combat pour une société égalitaire.