Les syndicats canadiens se rangent derrière le gouvernement libéral formé par l’ex-banquier Carney

Le Premier ministre Mark Carney et la présidente d’Unifor, Lana Payne [Photo by Mark Carney]

La bureaucratie syndicale a réagi à la victoire du Premier ministre Mark Carney et de son Parti libéral aux élections fédérales canadiennes du 28 avril par des déclarations s’engageant à coopérer avec le nouveau gouvernement alors qu’il s’apprête à sabrer dans les dépenses publiques pour financer une augmentation massive du budget militaire et protéger les profits du capitalisme canadien dans la guerre commerciale avec les États-Unis.

Le Congrès du travail du Canada (CTC), Unifor et d’autres syndicats ont fait l’éloge de l’ex-banquier central et gestionnaire de fonds d’investissement multimillionnaire, indiquant clairement qu’ils lui serviront de force de police au sein de la classe ouvrière alors que le nouveau gouvernement libéral poursuivra son programme d’austérité et de guerre impérialiste.

La campagne électorale a été dominée par la guerre commerciale mondiale lancée par le président américain Donald Trump et ses menaces d’utiliser la « force économique » pour annexer le Canada et en faire le 51e État des États-Unis. Tous les partis de l’establishment ont réagi aux menaces de Trump en se ralliant autour du drapeau et en renforçant le nationalisme économique au nom de la défense de la « souveraineté » canadienne. Alors que les Libéraux de Carney promettent de construire un « Canada fort », le chef conservateur ultra-droitiste Pierre Poilievre promet pour sa part de mettre de l’avant les intérêts du « Canada d’abord ».

Les Libéraux ont profité de l’hostilité généralisée à l’égard de Trump, comblant un déficit de 25 % dans les sondages par rapport aux Conservateurs en l’espace d’un peu plus de trois mois. Le fait que de nombreux travailleurs aient considéré à tort les Libéraux – le parti préféré de la bourgeoisie canadienne pour administrer le gouvernement pendant la majeure partie du siècle dernier – comme une solution au programme d’extrême droite de Trump, qui prône la domination oligarchique, la guerre impérialiste, et une attaque sauvage contre les droits démocratiques et sociaux de la classe ouvrière, est avant tout dû au rôle méprisable joué par les syndicats et le Nouveau Parti démocratique (NPD), qui défendent le nationalisme réactionnaire canadien et prétendent depuis des décennies que les Libéraux sont un allié « progressiste » dans la lutte contre la réaction capitaliste.

Les syndicats sont les premiers à promouvoir le nationalisme canadien parmi les travailleurs, Unifor et le CTC demandant au gouvernement de lutter pour « protéger les emplois canadiens ». L’orientation nationaliste réactionnaire de la bureaucratie syndicale sert à diviser les travailleurs d’Amérique du Nord qui, dans de nombreux cas, travaillent pour les mêmes entreprises ou sont liés par des réseaux de production communs et, aux États-Unis, sont parfois membres des mêmes syndicats.

Les principales organisations du « mouvement syndical » canadien n’ont pas tardé à féliciter l’ancien banquier central Carney.

Le CTC a déclaré dans un communiqué publié le lendemain de l’élection : « Les syndicats canadiens, qui représentent plus de 3 millions de travailleurs, sont prêts à travailler avec ce gouvernement pour réaliser des progrès véritables. Nous savons qu’en travaillant ensemble, nous pouvons relever les défis qui nous attendent et construire une économie plus juste, plus résiliente et qui fonctionne pour tout le monde. »

Lana Payne, présidente d’Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada avec plus de 315.000 membres, lui a emboîté le pas en déclarant : « Dans le cadre de son plan visant à bâtir une économie résiliente, Unifor a toujours privilégié une approche coordonnée de la part de toutes les parties prenantes et notre syndicat collaborera avec le gouvernement nouvellement élu afin de faire pression en faveur des mesures de protection dont ont bien besoin les industries représentées par Unifor, nos services publics ainsi que l’ensemble de notre pays. »

Les travailleurs doivent prendre ces déclarations comme de sérieux avertissements. Carney et les Libéraux n’ont jamais caché leur programme de guerre de classe. Ils se sont engagés à porter les dépenses militaires à 2 % du PIB d’ici 2030, ce qui nécessitera des dizaines de milliards de dollars supplémentaires chaque année pour la guerre et le réarmement. Ces sommes ne peuvent être obtenues qu’en réduisant les dépenses en santé et dans l’ensemble des programmes sociaux, et en lançant un assaut contre les travailleurs du secteur public, qu’ils soient employés au niveau fédéral ou dans les provinces.

Le gouvernement minoritaire de Carney prévoit également de démanteler de nombreuses réglementations du monde du travail et pour les entreprises au nom du « libre-échange » entre les provinces d’ici la fête du Canada le premier juillet, assurant ainsi que c’est l’ensemble des travailleurs qui portera le fardeau de la guerre commerciale opposant les entreprises canadiennes aux États-Unis avec la détérioration de leurs conditions de travail, l’augmentation de leur charge de travail et l’affaiblissement de leurs protections sociales.

Ce que Payne et le CTC disent à leurs « partenaires » qui siègent sur les conseils d’administration des entreprises canadiennes et au gouvernement, c’est que lorsque les luttes des travailleurs éclateront inévitablement en opposition à ces attaques sauvages contre leurs droits et leur niveau de vie, ils feront tout leur possible pour étouffer celles-ci et les confiner comme à l’accoutumée dans le carcan pro-patronal de la « négociation collective » en recourant à leurs tours de passe-passe habituels pour faire avaler des concessions aux travailleurs qu’ils prétendent représenter.

En outre, les déclarations des bureaucraties syndicales indiquent clairement que les porte-parole politiques qu’elles parrainent au sein du NPD soutiendront le gouvernement au Parlement si nécessaire, malgré la présence considérablement réduite de ce parti à la Chambre des communes. Les sept députés restants du NPD suffiront amplement en effet à assurer aux Libéraux de Carney, qui sont passés à trois doigts de la majorité, les votes nécessaires pour rester au pouvoir et faire passer des lois.

Sous Trudeau, la présidente d’Unifor, Payne, tout comme l’ancien président du CTC, Hassan Yussuff, s’est empressée d’occuper un poste au sein du Conseil consultatif des relations canado-américaines du Premier ministre, où elle a travaillé avec des représentants des grandes entreprises et du gouvernement pour élaborer la stratégie de guerre commerciale du capitalisme canadien. Elle a conservé sous Carney cette position au sein de ce conseil corporatiste et est même apparue aux côtés du Premier ministre pour faire l’éloge des tarifs douaniers de rétorsion de son gouvernement pendant la campagne électorale.

Plusieurs syndicats affiliés au CTC ont publié des déclarations assurant Carney de leur coopération loyale. Ainsi, Marty Warren, directeur du Syndicat des Métallos au Canada, et François Laporte, président national de Teamsters Canada, ont tous deux salué la victoire de Carney. « Le premier ministre et l’ensemble des partis ont promis des résultats concrets pour les travailleuses et travailleurs », a déclaré Laporte, qui, avec le reste de la bureaucratie des Teamsters, a ordonné aux travailleurs des chemins de fer Canadien National et Canadien Pacifique Kansas City d’obéir à l’ordre de retour au travail du gouvernement en août dernier. « On s’attend à ce qu’ils travaillent ensemble pour livrer la marchandise. Ce n’est pas le moment de jouer à des jeux politiques qui retarderaient l’aide dont la classe moyenne a besoin. Le Parlement doit mettre les familles et les gens ordinaires dans leurs priorités. »

Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), qui a également soutenu le NPD – en lui attribuant, dans un « bulletin » préélectoral, une note de A+ par rapport à un C- pour le gouvernement libéral soutenu au Parlement par ce même NPD – a aussi publié un communiqué déclarant son intention de faire pression sur le gouvernement pour qu’il procède à des réformes. « Nous devons faire savoir au nouveau gouvernement qu’il existe une meilleure façon de faire évoluer Postes Canada, notamment en diversifiant ses services », a déclaré le STTP.

Les travailleurs doivent résolument répudier les affirmations frauduleuses des bureaucrates syndicaux selon lesquelles les Libéraux de Carney sont des alliés « progressistes » dans la lutte contre la réaction capitaliste, qui ont simplement besoin des conseils de quelques bureaucrates syndicaux bien placés et bien payés pour leur montrer la bonne voie à suivre lorsqu’ils font fausse route, le tout afin de protéger les travailleurs contre les profiteurs du monde des entreprises et les démagogues de l’extrême droite comme Trump et Poilievre.

Dans la mesure où des sections de la classe dirigeante au Canada « s’opposent » à Trump, elles ne le font que dans l’optique d’exiger que la position d’Ottawa en tant que partenaire junior d’une « Forteresse Amérique du Nord » dirigée par Washington soit reconnue afin que les puissances impérialistes jumelles du continent puissent piller conjointement le monde. Quelle que soit l’issue des négociations avec Trump, qui devraient débuter mardi lors de la visite de Carney à la Maison-Blanche, les entreprises canadiennes chercheront à se décharger de leur crise sur le dos des travailleurs en mettant en œuvre des politiques à la Trump.

Au cours des dix dernières années, les syndicats ont été une source essentielle de soutien au gouvernement libéral de Trudeau alors que ce dernier a mis en œuvre un important programme de réarmement, mené la guerre impérialiste aux côtés des États-Unis contre la Russie en Ukraine, approuvé le génocide de Gaza, privé à plusieurs reprises les travailleurs de leur droit de grève et renfloué les grandes entreprises pendant la pandémie de la COVID-19, pour ensuite appliquer des mesures d’austérité « post-pandémique » et procéder à une réduction du salaire réel au moyen de l’inflation. Le mandat de Premier ministre de Carney marque un virage encore plus à droite, son gouvernement ayant déjà annulé un projet d’impôt sur les gains en capital et repris de nombreux autres axes politiques des Conservateurs de Poilievre.

Sous Trudeau, les Libéraux ont attaqué à plusieurs reprises la classe ouvrière, en faisant appel à une « réinterprétation » manifestement illégale et concoctée de toutes pièces du Code canadien du travail pour briser unilatéralement les grèves des cheminots, des travailleurs portuaires et des postiers. Les syndicats ont collaboré à cet assaut contre le droit de grève en appliquant les ordres de retour au travail en dépit des demandes de la base pour qu’ils soient défiés. C’est sur ce précédent que le gouvernement Carney va s’appuyer pour affronter de plein fouet la classe ouvrière.

Ce n’est qu’une question de semaines avant que les travailleurs des postes ne se retrouvent à nouveau en position de grève, leur convention arbitrairement prolongée venant à échéance le 22 mai. Les postiers ne doivent pas se faire d’illusions. Ils doivent s’attendre à ce que la direction du STTP, travaillant en étroite collaboration avec le CTC, mette tout en œuvre pour les empêcher de faire grève contre le gouvernement Carney, le nouveau « partenaire » de la bureaucratie syndicale.

Les droits de douane élevés de Trump mettent en évidence les profondes interconnexions présentes dans l’économie mondiale, alors que les travailleurs manipulent les mêmes marchandises et pièces au travers des frontières plusieurs fois avant qu’un produit final ne soit mis sur le marché, comme c’est le cas notamment dans l’industrie automobile et dans de nombreux autres secteurs de l’économie.

Le Canada étant le premier partenaire commercial des États-Unis, son économie est massivement tributaire des échanges commerciaux à sa frontière sud. Pour combattre les effets de la guerre commerciale de Trump, les travailleurs canadiens doivent rejeter tous les appels nationalistes les incitant à se rallier derrière « Équipe Canada » et les intérêts de profit qu’elle défend, et élaborer une stratégie de combat pour s’unir à leurs frères et sœurs de classe au-delà des frontières, aux États-Unis, au Mexique et au-delà, dans la lutte pour défendre les emplois et les droits démocratiques et sociaux de tous les travailleurs.

Comme nous l’avons expliqué en analysant les résultats des élections cette semaine :

La même crise systémique du capitalisme mondial qui pousse Trump à ériger une dictature fasciste aux États-Unis et à redessiner la carte en s'emparant du Canada, du Groenland et du canal de Panama en préparation de la guerre avec la Chine oblige la bourgeoisie impérialiste canadienne à recourir à des méthodes non moins impitoyables pour intensifier l'exploitation des travailleurs et assurer sa place dans le redécoupage barbare du monde qui est déjà bien entamé.

La lutte contre Trump doit être développée en tant que lutte contre l'impérialisme américain et canadien, et pour l'unité des travailleurs canadiens, américains et mexicains dans la lutte pour une Amérique du Nord socialiste. Cela signifie répudier tous les efforts visant à monter les travailleurs les uns contre les autres dans la guerre commerciale et à les diviser selon des lignes nationales, ethniques ou linguistiques, comme celles promues par les séparatistes québécois.

Cela signifie qu'il faut défendre tous les droits des travailleurs, y compris le droit des travailleurs immigrés à vivre et à travailler là où ils le souhaitent sans craindre les persécutions de l'État. Surtout, cela signifie que les travailleurs doivent s’engager dans la lutte pour construire la direction révolutionnaire sur la base du programme socialiste et internationaliste qu’exige la crise capitaliste mondiale insoluble.

(Article paru en anglais le 5 mai 2025)

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