Selon les plans de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), de l'Union chrétienne-sociale (CSU) et du Parti social-démocrate (SPD), le chef de file de la CDU, Friedrich Merz, sera élu chancelier allemand le 6 mai. Cet arrangement est conditionné à la tenue d'un congrès de la CDU et à un vote des membres du SPD pour approuver le document de politique de la coalition. Le congrès de la CDU l’a approuvé hier. La CSU l'avait fait le 10 avril. Le résultat du vote des membres du SPD sera annoncé le 30 avril.
Alors que les préparatifs pour la formation d'un gouvernement se déroulent comme prévu, les tensions politiques sont déjà intenses. Les associations patronales et les journaux économiques accusent notamment le futur gouvernement de reculer devant les coupes dans les retraites, la santé et les autres dépenses sociales, voire d’augmenter celles-ci.
Sous le titre « L'avenir reporté », le quotidien conservateur FAZ déplore qu’on ne «distingue pas grand chose » dans l'accord de coalition « en fait de véritable renouveau ». Les termes « cotisations sociales », « déductions de sécurité sociale », « coûts salariaux » et « coûts du travail » n'y figuraient pas, et de nombreuses questions avaient été reportées ou confiées à 15 commissions encore à constituer, se plaint le journal.
La Confédération des associations patronales allemandes (BDA) a calculé que l'engagement pris dans l'accord de coalition de maintenir le niveau des retraites à 48 pour cent et d'améliorer les prestations de maternité d'ici 2031 coûterait environ 50 milliards d'euros. « Malheureusement, l'accord de coalition ne prévoit aucun effort pour limiter l’augmentation des dépenses du système d'assurance retraite», a critiqué le directeur général de la BDA, Steffen Kampeter.
Des critiques similaires foisonnent, y compris au sein des futurs partis au pouvoir.
L'accord de coalition se concentre principalement sur trois objectifs : une augmentation massive des dépenses militaires, l'adoption de la politique fasciste de l'Alternative pour l'Allemagne ( AfD ) en matière de réfugiés et l'instauration d'un État policier pour réprimer toute opposition. La CDU/CSU et le SPD sont tous deux d'accord sur ces points. En revanche, sur la question des coupes sociales, ils se montrent manifestement réticents. Ils se sont seulement engagés à des réductions concrètes du « revenu citoyen » (allocation sociale), ainsi qu'à des économies et à des suppressions d'emplois dans l'administration au plan national. Pour le reste, ils se limitent à des objectifs budgétaires vagues.
Ce n'est pas faute de prévoir de telles coupes. Durant la campagne électorale, la CDU de Merz a appelé à un «changement économique » et à une stricte application de la politique de frein à l'endettement ; le SPD lui, est responsable de coupes sociales massives depuis l'Agenda 2010 du chancelier SPD Gerhard Schröder. Mais aucun des deux partis ne juge opportun d'annoncer des coupes sociales avant que le nouveau gouvernement ne soit solidement installé.
Le SPD a obtenu le pire résultat de son histoire aux élections fédérales, et l'alliance CDU/CSU le deuxième. S'ils détiennent une courte majorité au Bundestag, c'est uniquement parce que 14 pour cent des suffrages exprimés ont été attribués à des partis qui n'ont pas réussi à franchir le seuil des 5 pour cent requis pour siéger au Bundestag (Parlement). Si le parti de Sahra Wagenknecht, qui a manqué ce seuil de moins de 10 000 voix, était entré au Bundestag, le SPD et la CDU/CSU auraient eu besoin d'un autre partenaire de coalition.
L'accord même de coalition contient de nombreuses promesses creuses, telles que le maintien du niveau actuel des retraites, l'augmentation du salaire minimum à 15 euros et l'extension des prestations de maternité aux femmes dont les enfants sont nés avant 1992. Mais ces promesses sont peu crédibles.
Lors de la présentation de l'accord, le président du SPD et probable futur ministre des Finances, Lars Klingbeil, a sermonné les journalistes sur la subtile différence linguistique entre «nous le voulons» et «nous le feront». Une mesure n'était convenue que si elle stipulait «nous le ferons ». Si l'accord stipulait «nous le voulons», il ne s'agissait alors que d'une simple déclaration d'intention. De plus, toutes les mesures convenues étaient soumises à financement ; autrement dit, elles ne seront mises en œuvre que si les fonds sont suffisants.
Un examen des chiffres révèle que le nouveau gouvernement prépare des coupes sociales qui feront paraître modeste, en comparaison, l'Agenda 2010 de Schröder. Cela est d'autant plus vrai que la CDU/CSU et le SPD refusent catégoriquement de toucher aux immenses richesses et profits amassés ces dernières années par les banques, les fonds spéculatifs et les milliardaires, ou simplement de les taxer à un taux plus élevé. Ils sont déterminés à faire payer à la classe ouvrière le prix de ce gigantesque réarmement militaire.
Dans le même temps, les effets de la guerre commerciale déclenchée par le président américain Donald Trump n'ont même pas encore été pris en compte, même si le gouvernement a déjà revu à la baisse ses prévisions de croissance pour l'économie allemande. Celle-ci ne connaîtra pas de croissance pour la troisième année consécutive. Les recettes fiscales diminuent en conséquence et le déficit budgétaire augmente.
En 2024, le déficit de l'État allemand, des Länder, des collectivités locales et des caisses de sécurité sociale s'élevait déjà à 104,4 milliards d'euros, soit 12,7 milliards de plus que l'année précédente. Les dépenses colossales consacrées au réarmement et la poursuite de la guerre en Ukraine, pour lesquelles le Bundestag a approuvé des autorisations de crédit de plus de 1 000 milliards d'euros, creuseront encore davantage le déficit budgétaire. Les dirigeants sont déterminés à combler ce gouffre aux dépens de la population active. Les sommes en jeu sont colossales.
Dans les assurances retraite, santé et dépendance, financées exclusivement à partir des revenus réels en baisse des salariés, les déficits se chiffrent en dizaines de milliards. La subvention de l'État au seul fonds de pension devrait donc passer de 120 milliards d'euros actuellement à 150 milliards d'euros par an. L'accord de coalition prévoit certes une augmentation des subventions de l'État, mais celles-ci seront soumises à des limites de financement si la crise budgétaire s'aggrave. Il en résultera une hausse des cotisations et une baisse des prestations.
L'une des raisons pour lesquelles le SPD est indispensable au sein du nouveau gouvernement, malgré ses résultats électoraux décevants, réside dans ses liens étroits avec les syndicats. De nombreux dirigeants syndicaux sont membres du SPD. La présidente de la confédération syndicale DGB, Yasmin Fahimi, est une ancienne secrétaire générale du SPD. Son mari, Michael Vassiliadis, est président du syndicat de la chimie IGBCE et membre du SPD depuis 44 ans.
Pendant des années, les syndicats ont joué un rôle clé dans l'imposition de coupes sociales, de baisses de salaires réels et de licenciements collectifs, et dans la répression de la résistance à ces mesures ou dans leur transformation en manifestations sans effet. Mais aujourd'hui, leur autorité est visiblement en perte de vitesse.
C'est pourquoi les principaux représentants de la CDU/CSU et du SPD se tournent vers l'AfD pour la renforcer. Des décennies de coupes sociales menées par le SPD, les Verts et le Parti de gauche, soutenus par les syndicats, ont permis à l'AfD de devenir la deuxième force politique au Bundestag. Le parti fasciste est désormais indispensable pour intimider et réprimer l'opposition sociale et politique grandissante.
Friedrich Merz avait déjà brisé le prétendu «pare-feu» empêchant toute collaboration avec l'extrême droite pendant la campagne électorale. Avec le soutien de l'AfD, il avait fait adopter au Parlement deux motions sur la politique migratoire et la sécurité intérieure. Il y a tout juste une semaine, Jens Spahn, vice-président du groupe parlementaire CDU/CSU, avait appelé le Bundestag à traiter l'AfD «comme tout autre parti d'opposition». Deux autres membres de la CDU pressentis pour des postes ministériels, Johann Wadepfuhl et Mathias Middelberg, l'ont soutenu. C'était un signal clair que la CDU était prête à coopérer avec l'AfD si la crise du SPD s'aggravait.
Spahn ne devrait pas occuper lui-même de poste ministériel, mais dirigera le groupe CDU/CSU au Bundestag. Compte tenu de la faible majorité du gouvernement, ce rôle clé permettra à cet homme de 44 ans de se rapprocher de l'AfD et de s'imposer comme le successeur de Merz. Nombreux sont ceux qui considèrent Merz, qui, malgré ses 69 ans, n'a jamais exercé de fonction gouvernementale, comme trop faible pour relever les défis politiques. Spahn est perçu comme un populiste avide de pouvoir, qui a fait l'éloge d'Elon Musk et entretient des contacts avec l'entourage de Donald Trump.
Fait significatif, Carsten Linnemann, autre figure montante de la CDU, a également annoncé qu'il ne briguerait pas de poste ministériel. Le chef de longue date de l'aile patronale du parti conservera son poste de secrétaire général de la CDU.
Le virage à droite de la classe dirigeante, ses attaques lancées contre les acquis sociaux et les droits démocratiques de la classe ouvrière, ainsi que son recours au militarisme et à la guerre sont des phénomènes internationaux qui se produisent dans tous les pays capitalistes. Ils résultent de la faillite du système capitaliste, de l'accroissement des inégalités sociales et de l'intensification des conflits impérialistes. Seule la mobilisation indépendante de la classe ouvrière internationale, sur la base d'un programme socialiste, peut y mettre un terme.
(article paru en anglais le 28 avril 2025)