En Europe, les dénonciations se multiplient du cessez-le-feu que des factions de Washington tentent de négocier pour mettre fin à la guerre de trois ans opposant l'OTAN et la Russie en Ukraine. Derrière ces critiques se cachent d'âpres rivalités entre Washington et les puissances impérialistes européennes sur le pillage de l'Ukraine et, plus généralement, sur la façon de se partager l'économie mondiale dans un contexte d'accélération de la guerre commerciale mondiale et les tarifs douaniers de Trump.
Vendredi 25 avril, l’envoyé spécial américain Steve Witkoff a rencontré le président russe Vladimir Poutine à Moscou pour poursuivre les discussions sur un cessez-le-feu. Sur son réseau Truth Social, Trump a affirmé que les pourparlers étaient «très proches d’un accord», car «la plupart des points majeurs sont convenus», appelant les responsables russes et ukrainiens à «conclure» et à engager des négociations directes pour finaliser un accord. Le conseiller de Poutine, Iouri Ouchakov, a qualifié les discussions de «très utiles», affirmant que Washington et Moscou sont «plus proches l’un de l’autre, non seulement sur l’Ukraine mais aussi sur un ensemble d’autres questions internationales»
La position de négociation des États-Unis, publiée vendredi par Reuters, met un terme à toute la propagande impérialiste saluant la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine comme une guerre pour la liberté. Elle exige un accord avec Washington économiquement dévastateur sur les minerais, pillant l’Ukraine pour envoyer des centaines de milliards de dollars de revenus miniers aux États-Unis. Dans le même temps, elle accepte, du moins pour l’instant, la juridiction de la Russie sur les zones qu’elle contrôle actuellement militairement – abandonnant ainsi l’objectif de guerre de l’OTAN visant à reconquérir l’ensemble des anciens territoires ukrainiens contrôlés par les troupes russes.
Le document appelle à un «cessez-le-feu permanent», qualifiant ses termes d'«offre finale non négociable des États-Unis aux deux parties». Il propose de reconnaître légalement la souveraineté russe sur la Crimée, et de ne pas contester le contrôle russe sur les régions de Louhansk et les parties des régions de Zaporijjia, Donetsk et Kherson contrôlées par Moscou. Il stipule que l'Ukraine ne doit pas rejoindre l'OTAN, qu'elle peut rejoindre l'Union européenne et que sa sécurité sera garantie par «un groupement ad hoc d'États européens et d'États non européens volontaires».
La proposition impose à l’Ukraine un «accord de coopération économique/minière américano-ukrainien», censé permettre à Washington d’empocher 500 milliards de dollars de revenus ukrainiens. Elle exige également le contrôle américain de la centrale nucléaire de Zaporijjia, actuellement inopérante en territoire sous occupation russe. En échange, elle supprimerait les sanctions économiques imposées à la Russie depuis le putsch soutenu par l’OTAN à Kiev en 2014 et promettrait une «coopération américano-russe» sur l’énergie.
Le cessez-le-feu ne préparerait pas une paix durable mais gèlerait une guerre qui a coûté la vie à des millions d'Ukrainiens et de Russes. Il vise principalement à récupérer les énormes sommes d'argent que Washington a dépensées dans une guerre ukrainienne que les puissances impérialistes de l'OTAN ont perdues. Il le fait d'abord aux dépens du peuple ukrainien, dont le pays a été brisé et dont les revenus doivent être pillés par l'impérialisme américain. Mais c'est aussi au détriment des ambitions des puissances impérialistes européennes de s'emparer d'une grande partie des ressources minérales et d’autres butins à piller en Ukraine.
Les relations américano-européennes subissent un effondrement historique alors que les puissances de l'OTAN se disputent la domination des ressources ukrainiennes et mondiales et se menacent mutuellement de tarifs de guerre commerciale sapant les accords qui régissent leurs relations depuis 1945 et la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les puissances européennes lancent une campagne de réarmement historique qui inclut un plan militaire de l'Union européenne de 800 milliards d'euros, pour se préparer à faire la guerre indépendamment de l'Amérique. C'est là ce qui sous-tend les dénonciations au vitriol du cessez-le-feu proposé par les États-Unis dans les médias européens.
En Allemagne, Der Spiegel a comparé le plan de cessez-le-feu au punitif «Traité de Versailles» imposé après la défaite allemande dans la Première Guerre mondiale, qui infligea d’énormes pénalités financières à l’Allemagne et ouvrit la voie à l’occupation française de la région de la Ruhr en 1923. «Les États-Unis proposent à l’Ukraine une paix qui profite principalement à la Russie, l’agresseur», déplore ce magazine.
Le Tagesspiegel a interrogé l'ancien vice-chancelier social-démocrate Sigmar Gabriel, qui a dénoncé l’administration Trump pour avoir abandonné les précédentes exigences de l’OTAN visant à reconquérir l’ensemble des territoires ukrainiens sous contrôle russe.
«Tout cela n'est qu'un moyen pour le gouvernement américain de Trump de se retirer le plus rapidement possible et d'échapper à ses responsabilités», a déclaré Gabriel au Tagesspiegel. Il a ajouté qu'«il est intrinsèquement absurde que les États-Unis négocient avec la Russie, partie agressive dans le conflit, sans que le pays victime de l'agression, à savoir l'Ukraine, ne soit impliqué dans les négociations»
Gabriel a exigé par dessus le marché que l’administration Trump retire ses troupes d’Europe: «Plus tôt ces adieux surviendront, mieux ce sera. Poutine sera alors obligé de négocier avec l’Europe.» Appelant à une hausse des dépenses militaires européennes, il a poursuivi ainsi: «Cela signifie aussi que les responsabilités de l’Europe augmenteront. […] Mais ce serait encore pire si l’administration de Donald Trump continuait à semer le chaos en Europe.»
Au Royaume-Uni, The Guardian a dénoncé le plan de cessez-le-feu comme «un démembrement emballé dans du papier cadeau», déclarant que «le plan de paix de Trump fait porter le sacrifice à l’Ukraine». Le journal a attaqué le cessez-le-feu, qui était «empreint de la mentalité des grandes puissances à la fin des guerres précédentes: les démembrements de Versailles en 1919, où un pays à peine vaincu a été traité comme s’il était conquis, ou de Potsdam en 1945, qui a divisé l’Europe entre l’Ouest et l’Est».
La réponse la plus hystérique est peut-être venue de France, où le président Emmanuel Macron a lancé une diatribe contre Poutine jeudi, exigeant un «cessez-le-feu inconditionnel» de la Russie. Ordonnant à Poutine d’«arrêter de mentir», Macron s’est plaint ainsi: «Quand [Poutine] parle aux négociateurs américains, il dit “Je veux la paix”… Mais il continue de bombarder l’Ukraine, de tuer des vies.»
En réalité, le conflit a surtout révélé les implications réactionnaires de la dissolution stalinienne de l'Union soviétique en 1991. En divisant la classe ouvrière soviétique entre les différentes anciennes républiques soviétiques, il a ouvert la voie aux intrigues impérialistes et à une guerre sanglante, qui le fut avant tout en Ukraine même. Les puissances impérialistes de l'OTAN et leur régime mandataire de Kiev, et l'oligarchie capitaliste autour de Poutine ont poursuivi une politique profondément réactionnaire.
Non seulement Washington, mais aussi ses alliés européens ont, au cours de la dernière décennie, joué en Ukraine le rôle le plus agressif et le plus incendiaire. Ils ont soutenu en 2014 un putsch fasciste qui a installé le régime d'extrême droite actuel à Kiev et a tenté d'interdire de parler russe en Ukraine. Quand, après huit ans de combats et de trêves instables dans les régions russophones d'Ukraine, Poutine a lancé son invasion réactionnaire de l'Ukraine en février 2022, les puissances de l'OTAN ont également torpillé un accord de paix que les négociateurs russes et ukrainiens avaient convenu à Istanbul, en avril 2022.
Aujourd'hui, cette guerre, menée à un coût massif en vies russes mais surtout ukrainiennes, a conduit à une débâcle pour l'OTAN, plaçant l'Ukraine dans une position encore pire que ce qu'elle aurait connu si elle avait arrêté la guerre il y a trois ans.
Quant à la Grande-Bretagne et à la France, qui se sont engagées à envoyer des troupes pour combler le vide laissé par le retrait de Trump d'Ukraine, elles abandonnent maintenant rapidement et sans cérémonie leurs promesses.
Des responsables britanniques anonymes ont déclaré au Times de Londres :
Les risques sont trop élevés et les forces sont insuffisantes pour une telle tâche. Cela a toujours été la pensée du Royaume-Uni. C'est la France qui a voulu une approche plus musclée.
Ces responsables ont ajouté que la Grande-Bretagne et la France prévoyaient actuellement d'envoyer une petite force de «formateurs militaires», et non un grand déploiement militaire. «Les formateurs ‘‘rassurent’’ par leur présence, mais ils ne sont pas une force de dissuasion ou de protection», ont-ils déclaré. Ils ont ajouté que cela répondait à «un engagement de déployer du personnel sans s'engager dans des rôles de défense directs».
En réalité, les gouvernements britannique et français ont bombardé leurs populations d’appels massivement impopulaires à envoyer des troupes en Ukraine pour ce qui serait une guerre avec la Russie. Le Premier ministre britannique Keir Starmer a appelé à envoyer 10 000 soldats en Ukraine lors d'un sommet virtuel à Londres le 15 mars, et a rencontré Macron et d'autres responsables européens pour des sommets de guerre à Paris. Le gouvernement britannique, en particulier, a lié cela à la formulation de ses propres plans, en concurrence avec Washington, pour s'emparer des ressources minérales de l'Ukraine.
Les travailleurs ne peuvent pas mettre fin à l’effusion de sang et aux conflits internationaux qui s’accélèrent en se rangeant derrière l’un ou l’autre des gouvernements nationaux banqueroutiers impliqués dans cette guerre. Les oligarchies capitalistes militaristes qui dictent la politique dans chaque État-nation se sont révélées en faillite et irresponsables. La question décisive aujourd’hui est d’unifier les travailleurs de l’ex-Union soviétique, d’Europe et des Amériques dans une lutte basée sur une opposition internationaliste socialiste à la guerre.