La Grande-Bretagne, ancien pays colonisateur du Soudan et membre du Conseil de sécurité de l'ONU chargé de suivre la situation dans ce pays, a accueilli des délégués de 20 pays à une conférence à Londres la semaine dernière, à l'occasion du deuxième anniversaire de la guerre civile au Soudan, dans le but de la résoudre. La conférence s'est terminée sans atteindre aucun de ses objectifs.
En avril 2023, des combats ont éclaté entre deux anciens alliés et chefs militaires, le général Abdel Fattah al-Burhan, à la tête du Conseil souverain, dirigeant de facto du pays et chef des Forces armées soudanaises (SAF), et son adjoint Mohamed Hamdan Dagalo, à la tête des Forces de soutien rapide (RSF), une milice paramilitaire.
Le pays a été divisé, les RSF, basées dans la région occidentale du Darfour, s'emparant de la capitale Khartoum et de l'ouest du pays, et les SAF prenant la partie orientale du pays, y compris le port de la mer Rouge à Port-Soudan. Mais les forces d'al-Burhan et ce qu'il reste des autorités civiles ont commencé à reprendre le contrôle du pays. Après avoir récemment repris Khartoum, désormais largement dévastée par les combats, al-Burhan pousse à une victoire totale et à la reddition des RSF.
Des combats sont en cours dans une grande partie du pays. Ces derniers jours, les RSF ont capturé deux camps de réfugiés au Darfour, déplacé 400 000 personnes du camp de réfugiés de Zamzam et tué plus de 400 personnes autour d'El Fasher, la dernière grande ville du Darfour contrôlée par l'armée soudanaise, dans une offensive qui a commencé il y a quelques semaines. El Fasher est l'une des plusieurs zones du Darfour où une famine, touchant 637 000 personnes, fait rage.
Les deux factions militaires rivales, composées de sous-groupes ethniques aux intérêts économiques concurrents, bénéficient du soutien de diverses milices locales et d'un soutien en constante évolution de la part de forces extérieures. L'Égypte, l'Arabie saoudite, l'Érythrée et l'Iran soutiennent al-Burhan et les SAF, tandis que les Émirats arabes unis (EAU) et le groupe paramilitaire russe Wagner soutiennent Dagalo et les RSF, en mobilisant des alliés régionaux en Libye, au Tchad et au Soudan du Sud, bien que la Russie ait plus récemment soutenu al-Burhan.
Ces États arabes et africains utilisent le conflit au Soudan pour gagner du pouvoir, de l'influence et accéder aux ressources, à l'or, aux minéraux et aux terres agricoles dans ce pays dévasté par la guerre. En tant que porte d'entrée vers le Sahara, le Sahel et la Corne de l'Afrique, la situation géographique du Soudan lui confère une importance géostratégique énorme. Il possède une côte de 800 kilomètres le long de la mer Rouge, par laquelle transite environ 15 % du commerce mondial en volume.
Non seulement le Soudan partage des frontières avec sept pays, dont la plupart sont dans un état tout aussi fragile, mais il est également proche de la péninsule arabique et des États du Golfe. La Turquie et le Qatar ont signé des accords pour construire et gérer des ports commerciaux dans les années 2010, et en 2022, un consortium des EAU a signé un projet portuaire et agricole de 6 milliards de dollars, désormais annulé en raison de son soutien aux RSF. La Russie a conclu un accord avec les SAF pour construire une base navale à Port-Soudan.
Ces intérêts commerciaux ont engendré des combats à orientation ethnique qui ont évolué en cinq ou six guerres différentes, des milices locales prenant le contrôle de différentes parties du pays. Ayant le potentiel de fragmenter le Soudan, cela menace désormais de déborder et d'aggraver les conflits dans les pays voisins. Les combats, d'une violence extrême, ont été qualifiés de crimes de guerre par les deux camps, notamment pour avoir pris les civils pour cibles et bloqué l'aide humanitaire.
Les deux chefs d'armée en lutte pour contrôler le Soudan ont pris de l'importance pendant la guerre de 2003-2008 au Darfour, au cours de laquelle 300 000 personnes ont été tuées et 2,5 millions déplacées. Al-Burhan dirigeait l'armée, tandis que Dagalo commandait les milices Janjaweed, responsables notoires de certaines des pires atrocités du conflit. Dagalo est devenu extrêmement riche grâce à l'or du Darfour transporté et vendu aux EAU. Les deux hommes ont été impliqués dans des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
Les combats entre ces deux figures corrompues ont éclaté en grande partie dû aux efforts de longue date de l'impérialisme américain et des puissances régionales pour exercer un contrôle sur le Soudan et ses ressources et couper les relations de Khartoum avec la Chine, la Russie et l'Iran, qui ont tous des intérêts économiques croissants dans la région.
Reconnaissant de facto la nature croissante et extérieure de la guerre, le ministre britannique des Affaires étrangères David Lammy, qui a organisé la conférence, n'a pas invité les principales parties soudanaises au conflit (les SAF et les RSF), al-Burhan qui reste le chef de l'État officiel, ou les organisations civiles. Mais il a invité leurs soutiens régionaux, y compris les EAU, que le gouvernement britannique approvisionne en armes. Al-Burhan a accusé les EAU de faciliter un génocide par les RSF dans un procès sur le traitement par celles-ci du peuple Masalit au Darfour. Procès qui vient de s'ouvrir à la Cour internationale de Justice de La Haye.
La conférence n'a pas réussi à produire un communiqué commun. Les négociations ont échoué dû aux désaccords entre les puissances arabes soutenant des camps opposés dans la guerre. L'Égypte et l'Arabie saoudite ont soutenu un langage appelant à « respecter les institutions de l'État », un soutien implicite aux SAF et au gouvernement de fait ; les EAU, eux, qui soutiennent les RSF rivaux, s’y sont opposés et veulent un langage plus fort appelant à une « gouvernance civile ».
Ce qui a commencé comme une lutte de pouvoir entre les deux chefs de l'armée est devenu une guerre par procuration pour le contrôle des ressources de la Corne de l'Afrique impliquant des puissances régionales. Si le Conseil de sécurité de l'ONU aurait dans le passé pu envoyer des casques bleus pour séparer les factions en guerre et arrêter les tueries, il a été paralysé par le refus des puissances impérialistes de s'opposer aux EAU – un allié crucial dans leurs préparatifs de guerre contre l'Iran – et l'hostilité entre les États-Unis et la Russie durant l'administration Biden.
Les efforts visant à former un nouveau groupe de contact international dirigé par l'Union africaine pour faciliter un cessez-le-feu ont échoué, les deux parties et leurs soutiens ayant refusé de négocier.
La conférence n'a pas non plus cherché à obtenir de promesses de dons pour ce que les agences d'aide appellent « la pire crise humanitaire au monde ». Des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes ont probablement été tuées dans les combats, qui ont forcé près de 13 millions de personnes à fuir leurs foyers – la plus grande crise de déplacement au monde – selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) des Nations Unies. Environ 3 millions ont trouvé refuge dans les pays voisins, comme l'Égypte et le Tchad, mais la grande majorité reste au Soudan, beaucoup dans des camps de personnes déplacées à l'intérieur du pays (PDI) comme Zamzam, à la périphérie de la ville d'El-Fasher (province du Nord Darfour) dans l'ouest du Soudan.
La plupart ont perdu leurs moyens de subsistance et dépendent des réseaux communautaires ou des agences d'aide. En mars 2024, le Programme alimentaire mondial a déclaré le Soudan comme étant la plus grande crise de la faim au monde. Quelques mois plus tard, des conditions de famine ont été signalées dans cinq zones du Nord Darfour et des monts Nouba dans l'État du Kordofan.
Les combats et les bombardements aériens ont anéanti les infrastructures cruciales : routes, hôpitaux, systèmes d'eau, barrages, lignes électriques, connexions Internet et marchés sont endommagés ou détruits. Cela a contribué à empêcher la nourriture d'atteindre les marchés, en particulier ceux des zones isolées et confinées par le conflit, faisant monter les prix. La famine devrait s'étendre à au moins 10 zones d'ici le mois prochain, avant même la période de soudure précédant la prochaine récolte.
Un mélange d'insécurité alimentaire, de mauvaises installations d'eau et d'un manque d'hôpitaux fonctionnels aggrave rapidement la crise nutritionnelle. Les épidémies de maladies infectieuses, dont une épidémie de choléra dans dix États plus tôt cette année, augmentent le risque de malnutrition et de maladie dans les mois à venir, où les pluies restreindront les accès aux populations.
La moitié des 51 millions d’habitants du Soudan, y compris 3,7 millions d'enfants de moins de cinq ans, ont besoin d'une aide humanitaire, mais en février, seuls 3 millions, identifiés comme ayant besoin d'aide, en ont reçu, selon le Bureau de l'ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA). Les énormes coupes dans l'aide étrangère, dont les ordres d'arrêt de travail de l'USAID plus tôt cette année, allant jusqu'à 80 pour cent de baisse, ont aggravé la situation, forçant la fermeture des cuisines communautaires dont beaucoup dépendent.
La conférence de l'année dernière à Paris avait reçu des promesses de plus de 2 milliards d'euros (1,68 milliard de livres) pour le Soudan. Bien que le Royaume-Uni ait promis 87 millions de livres, les responsables du Foreign Office ont refusé de dire si cet argent avait effectivement été versé, compte tenu de l'annonce du Premier ministre Keir Starmer en février qu'il utiliserait le budget d'aide britannique pour financer une haussse du budget de l'armée. La Banque mondiale avait promis 555 millions de dollars, mais cela n'a pas non plus été versé. Le fonds de l'ONU pour le Soudan n'a reçu que 6,63 pour cent de son objectif, soit un manque de 3,9 milliards de dollars.
À la conférence de la semaine dernière, Lammy a promis 120 millions de livres d'aide humanitaire, suffisamment pour aider à fournir de la nourriture à 650 000 personnes. La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock a elle, débloqué 125 millions d'euros supplémentaires pour le Soudan et les États voisins.
Malgré la terrible situation humanitaire, la guerre montre tous les signes de vouloir entraîner au moins certains des pays voisins du Soudan, tout aussi divisés.
Les RSF ont élargi leur coalition de guerre y ajoutant le Mouvement de libération du peuple du Soudan-Nord (SPLM-Nord), un groupe rebelle basé le long de la frontière du Soudan avec le Soudan du Sud et lié au parti au pouvoir du président de ce pays, Salva Kiir.
Kiir, dont les forces combattent celles de son rival et principal chef de l'opposition, le vice-président Riek Machar, a accusé les SAF d'al-Burhan d'aider Machar, qu'il a arrêté et détenu, laissant présager une reprise de la guerre civile de six ans qui s'est terminée en 2018.
Les tensions augmentent également entre les SAF d'al-Burhan et le Tchad qui accueille plus de 750 000 réfugiés soudanais et a servi de principal canal pour les armes destinées aux RSF, menaçant de provoquer de nouveaux combats entre les deux pays. Le Soudan et le Tchad ont mené une guerre indirecte de 2005 à 2010 en raison du conflit du Darfour.
(Article paru en anglais le 24 avril 2025)