La Chine riposte à Trump en resserrant ses exportations de terres rares

La Chine a franchi une étape importante dans l'intensification de la guerre économique avec les États-Unis en renforçant les contrôles sur l'exportation de minéraux de terres rares et d'aimants essentiels à de nombreuses technologies de pointe dans la production automobile, l'électronique et les équipements militaires. Des restrictions avaient déjà été imposées sur les exportations de certaines terres rares avec l’intensification de la guerre tarifaire de Trump, mais les dernières mesures semblent être la politique de rétorsion la plus sévère à ce jour.

À l'extérieur de la Bourse de Pékin en Chine, le 10 avril 2025 [AP Photo/Andy Wong]

Selon un article du New York Times rédigé par son chef du bureau de Pékin, Keith Bradsher, publié lundi, les expéditions d’aimants « essentiels à l’assemblage de tout, des voitures et drones aux robots et missiles, ont été interrompues dans de nombreux ports chinois pendant que le gouvernement chinois élabore un nouveau système de régulation. Une fois en place, ce nouveau système pourrait empêcher de façon permanente l’approvisionnement de certaines entreprises, y compris les sous-traitants militaires américains. »

Le 4 avril, deux jours après l'annonce par Trump de sa guerre de « droits de douane réciproques » – depuis suspendue pour tous les pays pendant 90 jours à l'exception de la Chine pour laquelle les droits de douane ont été augmentés de 145 % – Pékin a ordonné des restrictions sur l'exportation de six métaux lourds de terres rares raffinés en Chine et d'aimants de terres rares.

Les aimants sont cruciaux pour la production de moteurs électriques pour voitures et autres produits. La Chine produit environ 90 % des 200 000 tonnes d'aimants de terres rares chaque année. Le Japon produit une grande partie du reste, tandis qu'une petite quantité, dépendante de la Chine pour l'approvisionnement en matières premières, provient d'Allemagne.

L’article du Times cite les propos de Daniel Pickard, conseiller auprès du représentant américain au commerce et du département du Commerce sur les minéraux critiques. « Le contrôle ou l’interdiction des exportations ont-ils potentiellement des effets graves aux États-Unis ? Oui », a-t-il déclaré.

James Litinsky, directeur général de MP Materials, qui fournit des terres rares, a déclaré que l’approvisionnement des sous-traitants militaires était particulièrement préoccupant. « Les drones et la robotique sont largement considérés comme l’avenir de la guerre, et d’après tout ce que nous observons, les éléments essentiels à notre future chaîne d’approvisionnement sont à l’arrêt. »

MP Materials possède la seule mine de terres rares aux États-Unis, Mountain Pass en Californie.

L’enjeu essentiel n'est pas tant de s'approvisionner en terres rares et en minéraux critiques que de les traiter. Les États-Unis disposent de réserves considérables de terres rares. Les extraire du sol est une chose, les traiter et les raffiner en est une autre.

Les terres rares se trouvent partout dans le monde, mais souvent en concentrations insuffisantes pour que leur extraction soit économiquement viable. Le processus de raffinage lui-même est complexe et coûteux, car les terres rares sont associées à des minéraux ayant des propriétés chimiques similaires, ce qui rend leur extraction difficile.

Un article du Financial Times publié début mars a cité les propos de Pierre Josso, directeur adjoint du UK Critical Minerals Intelligence Centre, qui a attiré l’attention sur cette question. « Le raffinage, c’est là que les choses se compliquent. Réussir à les séparer en éléments individuels prend beaucoup de temps et d’énergie. On peut extraire du minerai partout dans le monde, mais si l’on ne construit pas la capacité de fusion et de raffinage, on doit envoyer son minerai en Chine pour qu’il y soit raffiné », a-t-il déclaré.

Les États-Unis extraient actuellement environ 12 % de l'offre mondiale de terres rares, ce qui les place en deuxième position après la Chine, selon l'institut géologique des États-Unis (United States Geological Survey). Mais le raffinage est une activité à forte intensité de capital et n'est pas particulièrement rentable, de sorte que la Chine est le principal centre de traitement.

Un article du Wall Street Journal paru en mars a noté que « les États-Unis exportent environ deux tiers de leurs terres rares vers la Chine. Ils n’ont guère le choix : la Chine assure environ 85 % du raffinage mondial des terres rares. Les entreprises chinoises transforment ensuite le minerai en produit final – des aimants – et réexportent ces aimants vers les États-Unis ».

Selon Morgan Bazilian, directeur du Payne Institute à la Colorado School of Mines, dont les propos sont cités dans l’article, la soi-disant « étape intermédiaire du traitement et du raffinage des minerais en produits chimiques et en métaux est vraiment importante et dominée par la Chine. Je ne vois pas cette domination disparaître. »

Ses remarques sont confirmées par les données. Selon les estimations de l'industrie, le coût de construction d'une raffinerie en Chine représente un tiers du coût aux États-Unis.

La domination industrielle va au-delà des terres rares et s'étend au cobalt et au cuivre. Les six premiers raffineurs de cobalt – vital pour les industries militaires et les batteries – sont chinois. La part de la Chine dans la production de cobalt raffiné serait passée de 65 % en 2018 à 83 % en 2024.

Dans le secteur du cuivre, crucial pour tous les domaines de l'électronique, la capacité de raffinage des États-Unis est à la traîne par rapport à la Chine et l'administration Trump a ouvert une enquête sur la façon dont la dépendance vis-à-vis des importations de métal constitue une menace pour la « sécurité nationale » des États-Unis.

La question des terres rares et de leur importance pour la capacité militaire américaine préoccupe Trump depuis un certain temps. En 2017, il a signé un décret pour sécuriser l'approvisionnement en minéraux critiques et en a publié un autre en 2020 concernant la domination de la Chine.

Dans son discours devant la session conjointe du Congrès en mars, Trump a déclaré qu’il prévoyait « une action historique pour augmenter de façon spectaculaire la production de minéraux critiques et de terres rares ». Ces minéraux font partie de sa stratégie visant à annexer le Groenland et étaient au centre de son projet d’accord avec l’Ukraine.

Pour sa part, les actions du gouvernement chinois visant à resserrer son emprise sur leur approvisionnement et les aimants qu'ils produisent sont une autre indication que le président Xi Jinping considère que, quels que soient les problèmes à court terme causés par les tarifs douaniers de Trump – et ils seront importants – à plus long terme, la Chine est dans une meilleure position que les États-Unis.

Ces points de vue auront été étayés par les turbulences sur les marchés financiers, centrées sur le marché obligataire de 29 000 milliards de dollars, et le sentiment international croissant que les États-Unis ne sont plus une valeur refuge pour les investissements.

De manière significative, même si Trump s'est vanté d'une série de pays qui « cirent ses pompes » afin d'entamer des négociations et de conclure des accords commerciaux, la Chine n'en fait pas partie et Xi n'a pas cherché à entrer en communication avec lui. Le point de vue de Pékin semble être que, bien qu'il soit pratiquement exclu du marché américain, tout coup porté à ce dernier pourra être contré en stimulant son marché intérieur par des mesures de relance du gouvernement.

La dernière réaction de la Chine ne devrait toutefois pas entraîner de concessions économiques durables de la part des États-Unis, même si des oligarques financiers, tels que le fondateur milliardaire du fonds spéculatif Bridgewater, Ray Dalio, exigent un accord commercial entre les États-Unis et la Chine qui soit « gagnant-gagnant ».

Compte tenu de son retard sur le front de la production, qui s'exprime nettement dans le raffinage des minerais essentiels mais qui est également présent dans de nombreux autres domaines de la fabrication, la réponse du régime Trump sera d'intensifier les préparatifs dans le seul domaine où il estime avoir la supériorité, c'est-à-dire la guerre.

(Article paru en anglais le 15 avril 2025)