Des milliers de travailleurs de l’automobile au Canada sont mis à pied, victimes de la guerre commerciale déclenchée par Trump

L’usine CAMI à Ingersoll, en Ontario, pendant la grève de 2017. Après avoir mené une campagne réactionnaire contre les travailleurs mexicains, Unifor a trahi les travailleurs en acceptant un contrat rempli de concessions [Photo: WSWS]

Les retombées de la guerre commerciale du président américain Donald Trump ont commencé à se faire durement sentir dans les activités des usines de l’industrie automobile canadienne appartenant aux Trois Grands de l’automobile de Détroit, des milliers de travailleurs ayant été mis au chômage technique la semaine dernière.

Vendredi, General Motors annonçait que la production de fourgonnettes électriques dans son usine d’assemblage CAMI de Ingersoll, en Ontario, serait réduite à compter du 14 avril, afin « d’aligner les calendriers de production sur la demande actuelle ». À la fin du mois, les 1200 travailleurs de l’usine CAMI seront mis à pied jusqu’en octobre. Lorsque la production sera censée reprendre à l’automne, seuls 700 travailleurs environ retrouveront leur emploi.

Le lundi 7 avril, Stellantis a annoncé qu’elle « interrompt temporairement » ses activités dans son usine d’assemblage de Windsor en Ontario pour au moins deux semaines, ce qui a entraîné le chômage technique de quelque 4500 travailleurs. Stellantis a également ordonné un arrêt de production d’un mois dans son usine d’assemblage de Toluca, au Mexique. Ces arrêts ont entraîné la mise à pied de 900 travailleurs dans deux usines de transmission à Kokomo, dans l’Indiana, et dans les usines d’emboutissage de Warren et de Sterling Heights, dans le Michigan.

Unifor se range aux côtés du banquier Carney pour mener la guerre commerciale

La présidente d’Unifor, Lana Payne, au Canada, et le président de l’UAW, Shawn Fain, aux États-Unis, ont tous deux renforcé leurs programmes nationalistes réactionnaires respectifs dressant les travailleurs de l’automobile les uns contre les autres. Ils collaborent ainsi avec les patrons de l’automobile et leurs gouvernements respectifs pour transférer autant de pertes d’emploi que possible sur le dos des travailleurs en dehors de leurs propres frontières nationales. Fain, de l’UAW, soutient totalement les droits de douane imposés par le fasciste Trump sur les importations d’automobiles, d’acier et d’aluminium. Unifor entretemps soutient les tarifs de représailles annoncés par le nouveau Premier ministre libéral du Canada, l’ancien banquier central Mark Carney.

Le premier ministre Mark Carney et la présidente d’Unifor Lana Payne [Photo by Mark Carney]

Payne et Carney ne sont pas opposés aux guerres commerciales par principe. Ils s’opposent simplement à la décision de Trump d’imposer des droits de douane au Canada. Tous deux sont d’accord avec l’ensemble de l’establishment politique canadien pour dire que Trump devrait se concentrer sur la guerre économique contre la Chine et se préparer à un conflit militaire avec elle; et ils sont impatients qu’Ottawa participe à une « Forteresse Amérique du Nord » dirigée par Trump, tant que les prérogatives de l’impérialisme canadien en tant que partenaire subalterne de Washington sont dûment reconnues.

Pour les gouvernements des deux côtés du 49e parallèle, l’imposition de tarifs douaniers punitifs contre la Chine et ses satellites industriels que sont le Vietnam et le Cambodge est tout à fait nécessaire, tout comme des augmentations significatives des budgets militaires pour se préparer à un futur conflit armé avec Beijing.

Le prix de toutes ces actions va être encaissé par la classe ouvrière. Dans tous les pays, les travailleurs vont voir leurs emplois, leurs conditions de vie et leur existence même être attaqués alors que les capitalistes du monde entier cherchent à s’enrichir davantage dans leur lutte prédatrice pour un redécoupage du monde.

En plus des 4500 mises à pied à Windsor, Flavio Volpe, le PDG de l’Association des fabricants de pièces automobiles, a déclaré que jusqu’à 12.000 autres travailleurs canadiens du secteur des pièces automobiles sont maintenant « au chômage » en raison des arrêts de production de Stellantis. Les analystes de l’industrie préviennent qu’il ne s’agit là que d’une première vague dans ce qui sera une cascade massive de pertes d’emplois dues à la guerre des tarifs douaniers.

Les mesures tarifaires ont été lancées dans le cadre de la campagne nationaliste « Made in America » de Trump. Cependant, comme les travailleurs de l’automobile dans tous les pays le savent parfaitement, il n’y a pas un seul véhicule au Canada, aux États-Unis ou ailleurs qui ne soit le résultat d’un processus de production mondial.

En tant que soi-disant « représentante des travailleurs » au sein du Conseil consultatif du premier ministre sur les relations canado-américaines créé par Trudeau et maintenant dirigé par Carney, Payne exige qu’Ottawa réponde par des contre-mesures agressives à tous les tarifs douaniers de Trump. Au nom de la défense des « emplois canadiens » et de « notre pays », elle a lancé « un appel aux armes économiques » au début du mois de mars. Comme le Congrès du travail du Canada, Unifor joue un rôle de premier plan dans la promotion de l’exécrable chauvinisme qui caractérise la réponse de tous les partis fédéraux dans la campagne électorale actuelle.

Le programme nationaliste « Le Canada d’abord » d’Unifor et la crise des travailleurs de l’automobile

« Trump, déclarait récemment la présidente d’Unifor, est sur le point d’apprendre à ses dépens à quel point le système de production nord-américain est interconnecté, et ce sont les travailleurs de l’automobile qui vont payer le prix de cette leçon. »

Quelle supercherie ! Payne et Unifor travaillent systématiquement à diviser les travailleurs canadiens de leurs frères et sœurs de classe des États-Unis et du Mexique, permettant ainsi aux patrons de l’automobile de monter les travailleurs les uns contre les autres dans une course vers le bas, quand bien même que le processus d’interconnexion de la production automobile ait en fait placé les travailleurs dans une position de force, en renforçant leur unité objective. L’une des premières actions majeures de Payne en tant que présidente du syndicat, peu après avoir succédé à l’ancien président Jerry Dias totalement discrédité, a été de saboter toute lutte commune des travailleurs des usines appartenant aux Trois Grands de l’automobile de Détroit aux États-Unis et au Canada, alors que, pour la première fois depuis des décennies, leurs conventions collectives venaient à échéance pratiquement toutes en même temps.

Payne a en fait défendu une stratégie du type « Le Canada d’abord ». Avec l’UAW, Unifor a cherché à creuser un fossé entre les travailleurs canadiens et américains, en insistant dès le départ sur le fait que le syndicat canadien « tracerait sa propre voie » dans les négociations contractuelles. Plutôt que de mobiliser les travailleurs dans une lutte commune contre les patrons de l’automobile des deux côtés de la frontière, Payne a une fois de plus propagé le même poison nationaliste qui paralyse les travailleurs de l’automobile depuis des générations.

Cette « orientation canadienne » s’est traduite en des décennies de concessions forcées dans les usines automobiles, alors que les bureaucrates syndicaux nationalistes de l’UAW et des TCA/Unifor se sont disputé les emplois et les salaires de part et d’autre de la frontière, au plus bas soumissionnaire, dans une course sans fin au moins-disant.

En fait, le syndicat Unifor doit son existence même à la scission de 1985 avec l’UAW, ce qui a ouvert la voie à un massacre dans le secteur de l’automobile. Depuis 1985, Unifor et son prédécesseur, les Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA), ont présidé à la perte de plus de 80.000 emplois dans le secteur automobile, les travailleurs restants étant soumis à une succession d’accords qui ont vu l’imposition de conventions divisant les travailleurs à plusieurs niveaux, la fin des programmes de retraite à prestations définies, l’afflux dans les usines de travailleurs temporaires à temps partiel faiblement rémunérés et l’intensification brutale des conditions de travail.

L’ancien président de la section locale 444 d’Unifor (Windsor Stellantis), Dave Cassidy, ne pouvait exprimer plus crûment la stratégie de division poursuivie lors de la lutte pour les ententes de 2023 lorsqu’il a déclaré « Le fait est que, lorsqu’en vient aux résultats proprement dits, je suis bien prêt à jouer gentiment dans le bac à sable jusqu’à ce que les faits nous montrent que c’est entre nous et l’UAW que ça va se jouer – alors les gants vont tomber! »

Fain ne dit pratiquement rien au sujet de la position canadienne et fait plutôt tout pour empêcher le moindre mouvement de grève à l’échelle de l’industrie. Défiant les appels généralisés provenant de la base qui était en faveur d’une grève totale, Fain a ordonné à 95 % des membres de son syndicat de rester au travail, n’autorisant que des « grèves debout » symboliques à quelques sites. L’entente de capitulation qui a finalement été adoptée à toute vapeur a permis une restructuration des activités américaines des Trois Grands de l’automobile de Détroit axée sur les véhicules électriques, qui a déjà entraîné la mise à pied de milliers de travailleurs de l’automobile.

Fain fait maintenant la promotion de la politique « Made in America » de Trump comme étant la voie à suivre afin de bâtir un nouvel « arsenal de la démocratie » en prévision des conflits armés à venir. En pensant à la Chine, il a déclaré aux journalistes le mois dernier : « Vous savez, les gens oublient cette leçon de la Seconde Guerre mondiale. L’arsenal de la démocratie qui a gagné la guerre s’est constitué en prenant les capacités excédentaires de toutes les usines automobiles du pays pour produire des chars d’assaut, des avions, des bombes, des moteurs et tout ce qui était nécessaire. »

Multiplication des suppressions d’emplois

La situation des travailleurs canadiens de l’automobile n’est pas moins désastreuse. Même avant les tarifs douaniers de Trump, la restructuration pour la production de véhicules électriques avait déjà entraîné la mise à pied de plus de 3000 assembleurs à l’usine Ford d’Oakville. Une opération de réoutillage pour la production de véhicules électriques a entraîné la fermeture de l’usine au printemps 2024, avec la promesse qu’une nouvelle main-d’œuvre (bien que réduite) serait rappelée à la fin de 2026 ou au début de 2027. Mais ce plan a récemment été sabordé, les dirigeants de Ford ayant décidé de transférer leur projet de production de véhicules électriques d’Oakville aux États-Unis. Les travailleurs étant outrés, Payne a envoyé un message au PDG de Ford pour lui faire part de sa « déception et de sa frustration ». Ford planifie maintenant de produire la camionnette Super Duty à essence à Oakville, avec la réouverture de l’usine prévue pour la mi-2026 avec un effectif moindre de 1800 travailleurs seulement.

Payne s’est également dite « déçue » par la longue fermeture de l’usine d’assemblage Stellantis de Brampton requise pour effectuer sa mise à niveau pour la production de véhicules électriques qui a commencée à la fin de 2023, quelques mois seulement après être arrivée à conclure une convention. Mais ses sentiments de déception exprimés ne suffisent pas à payer l’hypothèque des travailleurs.

Les 3000 travailleurs de l’usine s’attendaient à une mise à pied d’environ deux ans, alors que l’usine était réaménagée pour produire la Jeep Compass de nouvelle génération. Mais en février, Stellantis a annoncé qu’en raison de « la dynamique de l’environnement actuel », les travaux de réoutillage seront « interrompus » pendant au moins deux mois de plus et les 400 ouvriers qualifiés restants seront aussi mis à pied. L’entreprise, qui a reçu des centaines de millions de dollars en subventions publiques, est contractuellement tenue de rouvrir ses portes et a évoqué la possibilité d’une relance de sa production pour le milieu de l’année 2026.

Selon les termes de la convention-type actuelle, les travailleurs des usines d’assemblage canadiennes appartenant aux Trois Grands de l’automobile de Détroit qui sont mis à pied ne reçoivent que 70 % de leur salaire normal sous la forme de prestations supplémentaires de chômage (PSC). La durée de ces indemnités est fonction de l’ancienneté. Ainsi, les travailleurs ayant 20 ans d’expérience perçoivent des indemnités pendant deux ans au maximum. Par contre, ceux comptant entre un et trois ans d’ancienneté peuvent s’attendre à recevoir des PSC pendant neuf mois seulement. Les travailleurs mis à pied vont se voir confrontés à de l’incertitude et un stress financiers extrêmes dans l’attente de la reprise des activités de leur usine, ce qui les obligera à chercher un autre emploi et à recourir aux banques alimentaires pour joindre les deux bouts. Quant aux milliers de membres d’Unifor qui fournissent normalement des pièces automobiles à ces usines maintenant fermées, ils ne bénéficieront d’aucun soutien salarial.

Le plan de mise à pied désastreux en cours à l’usine CAMI de GM n’est que le dernier coup porté aux travailleurs de cette usine. Lors de la mise à niveau pour la production de véhicules électriques effectuée en 2022, des centaines de travailleurs mis à pied avaient été contraints de s’inscrire à des banques alimentaires locales. Lorsque la production a finalement repris, la main-d’œuvre a été lentement rappelée, d’abord avec des horaires de travail partagés à court terme, pour finalement atteindre des effectifs de 1200 travailleurs : ce qui équivaut à 1600 employés de moins qu’avant la défaite de la grève de 2017. Lors de cette grève, plutôt que de s’unir avec les travailleurs mexicains produisant le même véhicule Equinox et lutter ensemble contre la restructuration de GM, Unifor a incité le chauvinisme anti-mexicain et exigé que les emplois des travailleurs mexicains soient sacrifiés pour maintenir la production à CAMI.

À l’usine automobile GM de St. Catharines, la main-d’œuvre a été réduite de moitié et ne compte plus que 600 travailleurs, car l’entreprise a retardé une mise à niveau pour la production de véhicules électriques jusqu’en 2027 au moins. La semaine dernière, à l’usine d’assemblage GM d’Oshawa, quelque 3.000 travailleurs, la plupart travaillant à une échelle salariale inférieure de deuxième niveau, ont appris que la direction de GM avait annoncé son intention d’embaucher un nombre indéterminé d’employés temporaires à son usine d’assemblage de Fort Wayne, dans l’Indiana, à la suite des droits de douane imposés par les États-Unis sur les véhicules importés. Ces nouveaux employés construiront le même modèle Silverado que celui produit à Oshawa, ce qui fait craindre que GM puisse ultérieurement « relocaliser » la production des Silverado à son usine de l’Indiana.

Tel que le WSWS a expliqué à maintes reprises déjà, les travailleurs de l’automobile ont besoin d’une nouvelle stratégie internationaliste développée indépendamment des appareils syndicaux corporatistes et des partis capitalistes.

En accord avec l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC), le WSWS appelle les travailleurs à mettre sur pied des comités de base dans chaque lieu de travail, entièrement indépendants d’Unifor tant du point de vue organisationnel que politique. C’est seulement ainsi qu’ils pourront mobiliser leur force en tant que classe et mettre au centre même du développement de leur lutte contre l’assaut mené sur leurs emplois et leurs salaires la création d’une unité de combat avec les travailleurs des États-Unis, du Mexique et d’ailleurs dans le monde.

(Article paru en anglais le 13 avril 2025)

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