Le chancelier allemand désigné, Friedrich Merz, a réaffirmé son intention de fournir à l'Ukraine des missiles de croisière allemands Taurus. Interrogé dimanche soir sur l'émission « Caren Miosga » de la chaîne publique ARD pour savoir s'il maintenait son intention, Merz a répondu : « Oui, j'ai dit exactement ce que je voulais dire. »
La menace de Merz est incroyablement téméraire et dangereuse. Son installation en tant que chancelier est prévu le 6 mai, exactement 80 ans après la signature de la capitulation sans conditions par la Wehrmacht hitlérienne à Reims, dans la nuit du 6 au 7 mai 1945. Cela marquait la fin des plus grands crimes de l'histoire de l'humanité.
En Union soviétique, environ 27 millions de personnes – et même jusqu'à 40 millions selon des recherches plus récentes – furent victimes de la sauvagerie des envahisseurs allemands. Des millions furent fusillés, gazés et brûlés vifs simplement parce qu'ils étaient juifs, communistes ou partisans, ou parce qu'en tant que civils, ils faisaient obstacle à la conquête allemande du Lebensraum (espace vital). Le siège de Leningrad, qui dura 28 mois, fit à lui seul 1,1 millions de victimes civiles, dont 90 pour cent moururent de faim. Des millions d'autres furent littéralement tués au travail forcé ou prisonniers de guerre dans les usines allemandes.
Quatre-vingts ans plus tard, Merz menace la Russie d'une arme qui représente une menace sérieuse pour le pays. Le Taurus, lancé par des avions de chasse, vole sous les radars ennemis à une altitude inférieure à 50 mètres et dispose de quatre systèmes de navigation indépendants qui s'orientent en fonction du terrain. Il est donc difficile d'abattre le missile ou de perturber sa trajectoire.
Avec une portée de plus de 500 kilomètres, le Taurus vole plus loin que les armes britanniques, françaises et américaines comparables et peut atteindre Moscou depuis l'espace aérien ukrainien. Son ogive peut pénétrer les bunkers et faire exploser une charge de 480 kilogrammes. La programmation et le déploiement de cet engin volant complexe nécessitent l'intervention de spécialistes allemands.
Merz lui-même a cité « la destruction du lien terrestre le plus important entre la Russie et la Crimée », à savoir le pont de Kertch, comme exemple d'utilisation possible du Taurus. Selon Merz, la majeure partie du matériel militaire de l'armée russe se trouve en Crimée.
Le gouvernement russe considérerait la livraison et l'utilisation de cette arme comme une déclaration de guerre. Personne ne peut garantir qu'il ne ripostera pas par des attaques contre des cibles allemandes. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déjà accusé Merz de soutenir des mesures « qui conduiront à une nouvelle escalade ». Le prédécesseur de Merz, le chancelier Olaf Scholz, toujours en poste, a donc jusqu'à présent rejeté la livraison de missiles Taurus, sans toutefois l'exclure définitivement.
Mais bien que Merz risque une guerre nucléaire avec cette provocation, personne dans les partis traditionnels et les médias ne s'y oppose. Les sociaux-démocrates, futur partenaire de coalition de Merz, l'ont rejoint dans le lancement du plus grand programme de réarmement depuis Hitler, d'un montant de 1 000 milliards d'euros, afin d'intensifier la guerre contre la Russie. Les Verts, qui quittent désormais le gouvernement, militent depuis longtemps pour la livraison du Taurus. Le Parti de gauche a également soutenu les budgets de guerre.
Les mêmes politiciens et journalistes, qui justifient chaque crime de guerre commis par Israël en pointant la responsabilité de l'Allemagne dans l'Holocauste, n'ont aucun scrupule à déclarer la guerre à la Russie. Au contraire, la campagne contre la Russie prend des allures de plus en plus ouvertement revanchardes. Dans les cercles dirigeants, la victoire de l'Armée rouge soviétique sur la Wehrmacht hitlérienne est à nouveau perçue comme une défaite et non comme une libération. Les manuels d'histoire sont réécrits en conséquence.
Toute la vie politique officielle de l’Allemagne est caractérisée par une hystérie guerrière déchaînée, qui, cependant, trouve peu d’écho dans la population générale et se heurte à la méfiance et à l’opposition.
Le ministre de la Défense Boris Pistorius (SPD), qui devrait rester en poste, a déjà lancé l'été dernier le slogan selon lequel l'Allemagne doit être « prête à la guerre » d'ici 2029 pour pouvoir mener une guerre contre la Russie. Le nouveau gouvernement souhaite réintroduire l'enregistrement militaire cette année afin de disposer de suffisamment de jeunes disponibles pour le service militaire volontaire ou obligatoire.
L'inspecteur général Carsten Breuer a fixé un objectif de 200 000 soldats en service et 260 000 réservistes afin de remplir les obligations de l'Allemagne envers l'OTAN et de jouer son rôle de plateforme logistique pour le déploiement de troupes sur le flanc oriental de l'Alliance. Pour y parvenir, 20 000 soldats en service supplémentaires doivent être recrutés et 100 000 réservistes supplémentaires doivent être formés.
Pour le chrétien-démocrate Patrick Sensburg, président de l'Association des réservistes, cela ne suffit pas. Puisque, selon les calculs de l'OTAN, « dans une éventuelle guerre » sur le front oriental de l'OTAN, on peut supposer que 5 000 de nos propres soldats mourront chaque jour, il faut les remplacer, a-t-il déclaré. Sinon, il serait facile de « calculer le temps nécessaire à l'effondrement du front ». Pour « défendre l'Allemagne sur toute la ligne avec du matériel de guerre moderne », il faudrait de 300 000 à 350 000 soldats et près d'un million de réservistes.
Même les efforts contradictoires du président américain Donald Trump pour obtenir un cessez-le-feu avec la Russie se heurtent à un rejet catégorique à Berlin. L'Allemagne et les autres puissances européennes sont déterminées à poursuivre coûte que coûte la guerre coûteuse contre la Russie.
L'Allemagne et le Royaume-Uni ont désormais pris la tête du Groupe de contact sur l'Ukraine, succédant ainsi aux États-Unis, afin de garantir l'approvisionnement de l'Ukraine en armes et en munitions. La France et le Royaume-Uni dirigent quant à eux la « coalition des volontaires », qui s’efforce d'envoyer des troupes occidentales en Ukraine.
Après qu'un missile russe a fait plus de 30 victimes dans la ville ukrainienne de Soumy, Merz a ricané sur « Caren Miosga » :
Je dis à tous ceux qui demandent naïvement à Poutine de venir à la table des négociations : voilà la réponse. Voilà ce que Poutine fait à ceux qui lui parlent de cessez-le-feu.
La propagande officielle selon laquelle la Russie attaquerait toute l'Europe si elle n'était pas vaincue militairement en Ukraine est un mensonge. Elle n'en a ni les moyens économiques et militaires, ni les motivations politiques. Le régime de Poutine, qui représente les intérêts des oligarques russes, cherche depuis longtemps à se faire accepter par les puissances impérialistes. En 2001, Poutine fut salué avec enthousiasme par le Bundestag allemand.
Mais les puissances impérialistes voulaient plus. En Irak, en Libye et en Syrie, elles ont renversé par la violence des gouvernements avec lesquels la Russie entretenait de bonnes relations et ont élargi l'OTAN jusqu’aux frontières avec la Russie. En 2014, Washington et Berlin eurent soutenu un coup d'État à Kiev qui, appuyé par des forces fascistes, porta au pouvoir un régime pro-occidental, commença à armer systématiquement l'armée ukrainienne et ainsi a provoqué l'attaque réactionnaire de la Russie contre l'Ukraine.
Aujourd’hui, face à un conflit croissant avec les États-Unis, les puissances européennes cherchent à poursuivre seules la guerre contre la Russie.
Comme nous l'écrivions dans un article précédent , « La classe dirigeante allemande n'a jamais accepté d'être reléguée militairement au second plan après l'échec de la guerre d'extermination d'Hitler. Le véritable objectif de ce gigantesque programme d'armement est de transformer à nouveau l'Allemagne en puissance militaire majeure, capable de s'affranchir du contrôle américain, de dominer l'Europe et d'affronter d'autres grandes puissances – la Russie, la Chine et les États-Unis – dans la lutte pour un nouveau partage violent du monde. »
Seule la classe ouvrière peut enrayer cette rechute dans la guerre et la barbarie. Elle supporte le coût du réarmement et de la guerre : baisse des salaires et des prestations sociales, suppression des droits démocratiques et, in fine, guerre et destruction. Et c’est elle qui produit toute la richesse de la société.
L'Europe est déjà secouée à plusieurs reprises par de violentes luttes de classe et des manifestations. Mais ces luttes ont besoin d'une perspective. La classe ouvrière doit se libérer de l'influence paralysante des syndicats et des organisations de la pseudo-gauche qui soutiennent ouvertement le programme de guerre ou orientent la résistance vers l'impasse d'appels impuissants à la classe dirigeante.
Elle doit s'unir à travers l'Europe et le monde et combiner la lutte contre les coupes sociales, pour de meilleurs salaires et des droits démocratiques, avec la lutte contre la guerre et sa cause : le capitalisme. C'est ce que prônent le parti Sozialistische Gleichheitspartei (SGP, Le Parti de l’égalité socialiste) et ses organisations sœurs au sein du Comité international de la Quatrième Internationale.
(Article paru en anglais le 15 avril 2025)