Lors de la réunion du Groupe de contact sur l'Ukraine, vendredi à Bruxelles, les puissances impérialistes européennes ont promis plus de 20 milliards d'euros d'aide militaire supplémentaire à l'Ukraine et ont émis des déclarations belliqueuses contre la Russie. L'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France ont clairement exprimé leur détermination à poursuivre la guerre contre la Russie pendant des années, tout en appelant l'administration Trump à offrir des garanties de sécurité pour un éventuel déploiement de forces terrestres de l'OTAN en Ukraine.
La réunion était coprésidée par le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, et le ministre britannique de la Défense, John Healey, qui ont tous deux pris de nouveaux engagements en matière de fourniture d'armes à l'Ukraine. Pour la première fois depuis le début des réunions du groupe en avril 2022, aucun représentant américain n'était présent en personne.
Pistorius a promis que l'Allemagne fournirait 11 milliards d'euros supplémentaires d'aide militaire d'ici 2029, en plus des sommes considérables déjà engagées. Cela comprendra l'envoi de 15 chars de combat « Leopard », 25 canons d'artillerie « Marder », 300 drones de surveillance, quatre systèmes de défense aérienne IRIS T, 100 radars de surveillance terrestre et 100 000 obus d'artillerie au cours de cette année. De son côté, Healey a annoncé que la Grande-Bretagne fournirait 4,5 milliards de livres sterling d'aide militaire cette année, soit le montant annuel le plus élevé depuis le début de la guerre contre la Russie en Ukraine. Cela comprend 450 millions de livres sterling supplémentaires pour les drones, les mines antichars et la réparation de véhicules militaires, dont 100 millions seront fournis par la Norvège.
Pistorius et Healey n'ont laissé planer aucun doute sur la volonté des puissances impérialistes européennes d'intensifier le conflit avec la Russie, laissant entrevoir la possibilité d'une guerre directe entre puissances nucléaires. « Compte tenu de l'agression continue de la Russie contre l'Ukraine, force est de reconnaître que la paix en Ukraine semble hors de portée dans un avenir proche », a déclaré Pistorius lors d'une conférence de presse. « La Russie doit comprendre que l'Ukraine est capable de poursuivre le combat. »
Healey a insisté sur la nécessité de « faire pression » sur le président russe Vladimir Poutine, ajoutant : « Le moment est crucial […] pour que les industries de défense, les armées et les gouvernements intensifient leurs efforts. » Il avait coprésidé la veille à Bruxelles une réunion de la pretendue « coalition des volontaires » avec le ministre français de la Défense Sébastien Lecornu, où il a averti que l'Occident ne devait pas « compromettre la paix en oubliant la guerre ». La coalition a été créée le mois dernier par le Premier ministre britannique Keir Starmer et le président français Emmanuel Macron dans le but de coordonner le déploiement de troupes terrestres en Ukraine, officiellement pour superviser un éventuel cessez-le-feu.
Les événements de vendredi ont souligné la manière dont les États-Unis et leurs anciens alliés impérialistes européens se contredisent de plus en plus dans la guerre contre la Russie en Ukraine et dans leur volonté de soumettre l'Eurasie à leurs intérêts prédateurs. Alors que Pistorius et Healey exposaient un plan de plusieurs milliards d'euros visant à intensifier la guerre contre la Russie, le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, n'assistait à la réunion que virtuellement depuis le Panama, où il négociait les conditions d'intervention des troupes américaines le long du canal de Panama. Washington ne s’est engagé à fournir aucun nouveau soutien militaire, Hegseth se contentant de déclarer que les États-Unis appréciaient ce que « vous », c'est-à-dire les puissances européennes, faites.
L'envoyé spécial de Trump, Steve Witkoff, a atterri à Saint-Pétersbourg pour des entretiens avec Poutine, alors que la réunion des ministres de la Défense commençait. C'était la troisième fois que Witkoff se rendait en Russie depuis février. Son voyage a eu lieu au lendemain de la rencontre des équipes russe et américaine à Istanbul pour des discussions visant à normaliser davantage les relations diplomatiques. Un communiqué du département d'État américain a souligné l' « approche constructive » qui a caractérisé les discussions de jeudi, ainsi que celles d'un précédent cycle tenu fin février.
Trump a réitéré son soutien à un accord visant à mettre fin aux combats en Ukraine, à condition que Kiev signe un accord accordant aux États-Unis un accès sans entrave aux matières premières ukrainiennes et que Washington conclue avec Poutine un accord obligeant l'oligarchie capitaliste russe à ouvrir des débouchés commerciaux aux entreprises américaines sur tout le territoire russe. Ces négociations n'ont rien à voir avec l'engagement supposé de Trump en faveur de la « paix », mais visent à créer les conditions idéales pour que Washington subordonne les oligarchies russe et ukrainienne à ses objectifs impérialistes visant à garantir l'accès aux vastes ressources de matières premières, à la main-d'œuvre bon marché et aux territoires stratégiques de la région. Les responsables américains ont mené des discussions séparées avec les deux parties au conflit, sans la participation des représentants des États impérialistes européens.
Si l'issue des négociations américano-russes reste incertaine, il est certain qu'elles marquent une intensification des conflits entre les puissances impérialistes, qui rivalisent d'influence dans le partage du territoire eurasien. Le changement de politique de Washington à l'égard de l'Ukraine est lié à sa volonté de concentrer ses ressources sur la préparation d'une guerre avec la Chine, deuxième économie mondiale et principale cible de la guerre commerciale de Trump.
Pendant ce temps, les impérialistes européens craignent avant tout d'être mis à l'écart dans la répartition du butin si Washington conclut des accords séparés avec l'Ukraine et la Russie, malgré leurs investissements considérables dans la guerre en Ukraine. Ils espèrent qu'en poursuivant l'escalade du conflit par le déploiement de ressources militaires toujours plus importantes et, à terme, de leurs propres troupes, ils pourront renforcer leur position et s'assurer la part du lion du butin en Ukraine et en Russie.
L'aggravation des divisions entre les puissances impérialistes découle de l'aggravation de la crise mondiale du capitalisme, qui les pousse toutes à participer à un nouveau partage du monde. Comme l'expliquait David North, président du comité de rédaction du World Socialist Web Site, lors d'un rassemblement international contre la guerre des États-Unis et de l'OTAN en Ukraine fin 2022 :
l’objectif politique de la guerre – comme les deux guerres mondiales du 20e siècle – est une nouvelle redivision du monde entre les puissances impérialistes. La logique de ce processus s’étend au-delà même du conflit avec la Russie et la Chine. L’alliance de l’OTAN et les pactes militaires auxiliaires qui incluent des pays d’Asie et d’Asie-Pacifique ne constituent pas des «frères d’armes», mais un repaire de voleurs et d’assassins impérialistes. La logique des rivalités inter impérialistes conduira dans un avenir pas trop lointain à des conflits amers entre les alliés temporaires d’aujourd’hui. Les hostilités du passé, par exemple entre les États-Unis et l’Allemagne, resurgiront inévitablement.
Ces rivalités ont refait surface, les institutions politiques européennes reconnaissant l'effondrement de l'alliance transatlantique qui a dominé l'après-guerre. Cependant, le problème auquel sont confrontées les puissances européennes est leur manque actuel de capacités militaires pour soutenir leur bellicisme impérialiste. Malgré les sommes colossales promises à l'Ukraine lors de la réunion de vendredi, les efforts de Starmer et Macron pour constituer une force militaire chargée de « maintien de la paix » ou de fournir des « garanties de sécurité » ont échoué. Seules la France et la Grande-Bretagne se sont publiquement engagées à fournir des troupes dans une telle entreprise, et même ces pays ont refusé de fournir des précisions sur le nombre de troupes qu'ils pourraient déployer. Tous les ministres de la Défense qui ont pris la parole lors de la réunion de la « coalition des volontaires » de jeudi ont souligné que rien n'en sortirait sans les garanties de sécurité américaines.
La dépendance persistante des puissances européennes sur les États-Unis les contraint à poursuivre leur programme de réarmement avec d'autant plus d'acharnement, ce qui implique nécessairement une atteinte à la position sociale de la classe ouvrière sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour réunir les fonds nécessaires aux milliers de milliards d'euros que les impérialistes européens ont collectivement promis ces derniers mois pour financer les dépenses de guerre, les élites dirigeantes devraient instaurer des régimes à la Trump de ce côté-ci de l'Atlantique, afin de mener à bien les attaques nécessaires contre les droits sociaux et démocratiques des travailleurs.
La classe ouvrière est la seule force sociale capable d'enrayer l'escalade de la guerre contre la Russie et le conflit mondial qui se développe entre les puissances impérialistes. Elle doit se mobiliser sur la base d'un programme socialiste et internationaliste qui unifie la lutte contre la guerre avec la défense de tous les emplois et du niveau de vie des travailleurs.
(Article paru en anglais le 12 avril 2025)