Le ministre français des Outre-mer de retour en Nouvelle-Calédonie pour des discussions dans un contexte de crise persistante

Le ministre français des Outre-mer, Manuel Valls, à Paris, le 7 janvier 2025 [AP Photo/Ludovic Marin]

Le ministre français des Outre-mer, Manuel Valls, est retourné en Nouvelle-Calédonie cette semaine pour quatre jours de discussions sur l'avenir du territoire français du Pacifique. Valls s'était déjà rendu à Nouméa, la capitale, entre le 22 février et le 1er mars, pour organiser des discussions multipartites, officiellement destinées déboucher sur un nouvel accord sur le statut politique de la colonie, après des mois de troubles civils généralisés de la part de la jeunesse autochtone kanak.

Ces réunions avait rassemblé des représentants de tous les partis de l'establishment colonial, notamment les « loyalistes » pro-français et les factions du mouvement indépendantiste. Cela n'avait pas eu lieu depuis 2021, suite à trois référendums sur l’autodétermination, dont le dernier avait été boycotté par la communauté kanak.

Les participants ont insisté sur le fait que le premier cycle de négociations n'était que des « discussions», et non des négociations formelles. Valls a publié un «document de synthèse» résumant les positions opposées des camps pro-français et indépendantiste, qui a été présenté comme une base de travail pour des négociations plus avancées.

Les camps opposés restant pour l'instant campés sur leurs positions, Valls, ancien premier ministre du président François Hollande (Parti socialiste) avait adopté une approche superficiellement conciliante. Interviewé par Le Monde avant sa première visite, il avait mentionné les dispositions de l'accord de Nouméa de 1988 sur le «partage du pouvoir», soulignant que l'accord faisait référence à la «souveraineté pleine et entière» et à la décolonisation. La déclaration de Valls avait suscité des protestations hostiles de la part des factions loyalistes lors de son précédent voyage.

Dans un communiqué rendu public avant la dernière réunion, Valls avait déclaré que les discussions avaient «un objectif clair: délimiter les nouveaux horizons de la Nouvelle-Calédonie et tracer les contours d'un avenir commun après avoir clarifié les attentes de chacun, sans tabou ni détour».

Il y affirmait également la priorité du président Emmanuel Macron pour la stratégie indo-pacifique de la France: «Nos échanges concernant les compétences de la Nouvelle-Calédonie en matière de relations internationales ont été marqués par un engagement commun: faire progresser les intérêts de la Nouvelle-Calédonie tout en assurant la sécurité stratégique de la France.» Valls prévenait que «les actions ou les alliances qui portent atteinte aux intérêts stratégiques de la France, en particulier celles qui se placent du côté de puissances étrangères cherchant à nous affaiblir, ne seront pas tolérées».

La France, déterminée à assurer sa position de puissance indopacifique face à l'intensification des préparatifs de guerre menés par les États-Unis contre la Chine, ne renoncera pas à son emprise sur ce territoire stratégiquement vital. La Nouvelle-Calédonie abrite une importante base militaire française et détient près d'un quart des réserves mondiales de nickel, essentiel à la fabrication de l'acier inoxydable et à l'industrie de la défense.

Dans une interview accordée à la presse française en mars, Valls a déclaré que la situation en Nouvelle-Calédonie n'était pas encore «apaisée» et qu'un accord global sur l'avenir du territoire était encore lointain. «Même si nous avons réussi à rassembler toutes les forces politiques, à ce qu’elles se reparlent, nous sommes encore loin d’un accord. Il faut comprendre la peur qu’ont éprouvé tous nos compatriotes là-bas sur place, et notamment ceux d’origine européenne à Nouméa. Il faut aussi comprendre l’aspiration à l’émancipation, à la décolonisation des Kanak», a-t-il dit.

Les dernières discussions, tenues à huis clos au Haut-Commissariat de la République, auraient porté sur la définition des futurs liens de la Nouvelle-Calédonie avec la France, le transfert éventuel de compétences depuis Paris, la citoyenneté néo-calédonienne et la question connexe de savoir qui a le droit de voter aux élections locales.

Le statut de la Nouvelle-Calédonie restait à déterminer. Les options possibles incluaient une « souveraineté partagée », une « indépendance totale » ou une « libre association », à l'instar de l'accord néocolonial conclu par la Nouvelle-Zélande avec ses pays dits « Royaumes », les Îles Cook et Niue.

L’organisation indépendantiste de Nouvelle-Calédonie, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), a publié un communiqué direct condamnant sans équivoque toute initiative visant à ouvrir les listes électorales locales aux nouveaux arrivants de France. Ce sujet avait déclenché le soulèvement de mai dernier, qui s'est poursuivi pendant des mois face à une répression policière et militaire brutale de l'État français.

S'opposant à l'octroi du droit de vote aux immigrés d'après 1998, le FLNKS a déclaré «rejeter le principe de naturalisation massive, qui affaiblirait le projet d'émancipation issu de l'Accord de Nouméa, en permettant aux nouveaux résidents d'influencer l'avenir politique de la Nouvelle-Calédonie. Dans un processus de décolonisation, la citoyenneté ne se construit pas uniquement sur la résidence ou sur l'impôt. Elle repose sur l'histoire, l'appartenance et le respect mutuel ».

Lors de son départ de Nouméa mardi dernier, Valls a déclaré aux médias que «tous les partis du paysage politique, tant pro-français qu'indépendantistes, participaient une fois de plus à la série de tables rondes». Un document officiel, resté confidentiel, a été soumis pour «une troisième série» de discussions à partir du 29 avril.

Ce que les négociations ne permettront pas d'aborder, et encore moins de résoudre, c'est la profonde crise économique et sociale qui frappe la colonie, et en particulier la classe ouvrière et la jeunesse paupérisées. Les causes profondes des troubles, notamment la pauvreté, les inégalités sociales, le chômage et le désespoir social, demeurent. La rébellion a mis en conflit une partie importante de la jeunesse kanak, non seulement avec l'oppression coloniale française, mais aussi avec l'establishment politique du territoire, notamment le gouvernement local et le FLNKS.

Janvier a été marqué par un net virage à droite de l'élite dirigeante locale. Après l'effondrement du gouvernement territorial la veille de Noël, le nouveau cabinet a nommé à la présidence le loyaliste anti-indépendantiste Alcide Ponga, premier Kanak à diriger le parti pro-français Le Rassemblement. Ponga a remplacé Louis Mapou du Parti de Libération Kanak (Palika), indépendantiste, qui a dénoncé avec amertume: « un sale coup politique porté à notre pays ». 

Le mois dernier, le Congrès a adopté un budget d'austérité. Alors que les entreprises font faillite mettant au chômage de milliers de personnes, le gouvernement réduit les services publics. Pierre-Chanel Tutugoro, porte-parole de l'Union calédonienne (UC), un parti indépendantiste, a dénoncé ce budget comme un «budget anti-kanak et anti-insulaire».

En réalité, les mesures d'austérité constituent une attaque contre l'ensemble de la classe ouvrière, y compris les travailleurs en France et à l'international, qui paient le prix fort de l'aggravation de la crise économique mondiale. La crise dans la colonie a été exacerbée par des mois de violence, notamment par une répression policière et militaire brutale qui a fait 14 morts et des dégâts estimés à 2,2 milliards d'euros.

Près d'un an après le début des troubles, le chômage reste élevé. Un travailleur sur cinq a perdu tout ou partie de ses revenus et plus de la moitié des 11 000 personnes ayant perdu leur emploi après mai dernier étaient toujours au chômage au début de l'année.

Séverine Blaise, économiste à l'Université de Nouvelle-Calédonie, a déclaré à l'Australian Broadcasting Corporation que la situation économique était «catastrophique». Elle a ajouté que le gouvernement local devrait se concentrer sur le renforcement de la sécurité sociale pour les personnes en difficulté financière et investir dans des secteurs propices au développement économique, comme l'agriculture. C'est là un espoir vain.

Les chiffres migratoires du début de l'année ont montré que 10 700 personnes, principalement des Français, ont quitté le territoire en 2024, soit un déclin démographique spectaculaire pour un territoire de seulement 270 000 habitants. La pénurie de médecins et de soignants fait que les services de santé sont au bord de l'effondrement. Environ 20 pour cent des 1 000 médecins agréés localement sont partis, selon l'Ordre des médecins français de Nouvelle-Calédonie. Une pénurie similaire de personnel chirurgical a contraint l'hôpital de Nouméa à fermer des services et à interrompre certaines interventions chirurgicales.

L'industrie du nickel, qui représentait autrefois environ 20 pour cent du PIB et 90 pour cent des exportations, est en crise. Elle était déjà en déclin avant le soulèvement, en raison de la concurrence mondiale des producteurs chinois et indonésiens. Depuis, les exportations ont chuté et deux des principales fonderies sont à l'arrêt.

L'une d'elles est Koniambo Nickel SAS (KNS), détenue par le géant minier suisse Glencore, en coentreprise avec la Société Minière du Sud Pacifique SA (SMSP) détenue par des kanak. L'année dernière, Glencore annonça la suspension de sa production et la vente de sa participation, laissant 1 000 travailleurs sans emploi.

Koniambo est issu du programme de «rééquilibrage économique» de l'Accord de Nouméa, établi pour offrir des opportunités commerciales à une couche privilégiée de la population kanak. Son incapacité à survivre témoigne de la promesse mensongère d'une «indépendance» kanak.

Les tensions latentes pourraient éclater à nouveau à tout moment. Le mois dernier, lors d'un incident survenu devant une boîte de nuit de Nouméa, jusqu'à 400 jeunes ont été impliqués dans une bagarre publique. Les forces de l'ordre ont été appelées et ont dit s’être trouvées dans une «situation dangereuse» face à des individus «hostiles» ; elles ont fait usage de gaz lacrymogènes et de balles incapacitantes.

La cheffe de cabinet du Haut-Commissaire français, Anaïs Aït Mansour, a déclaré aux journalistes qu’une réintroduction des mesures restrictives utilisées dans le cadre de la « situation insurrectionnelle» de l'année dernière serait de nouveau «à l'étude».

(Article paru en anglais le 3 avril 2025)

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