Des manifestations rivales s’opposent après le jugement d’inéligibilité contre Le Pen

Manuel Bompard prend la parole aux côtés d'autres élus LFI le 6 avril 2025, place de la République à Paris. [Photo: WSWS]

Hier, deux manifestations rivales se sont déroulées à Paris, pour et contre le jugement à l’encontre de la direction du Rassemblement national (RN) néofasciste qui empêche sa candidate Marine Le Pen de se représenter aux élections présidentielles de 2027. Quelques milliers de personnes sont venues à l’appel du RN manifester leur soutien à Le Pen place Vauban, non loin de la Tour Eiffel.

A l’appel de partis membres du Nouveau Front Populaire (NFP) de Jean-Luc Mélenchon, environ 15.000 personnes ont manifesté place de la République contre Le Pen. Des journalistes du WSWS ont interviewé les manifestants place de la République et distribué une déclaration du Parti de l’égalité socialiste (PES), «Non à Macron et Le Pen! Mobilisons la classe ouvrière contre le fascisme et la guerre!»

La manifestation a mis en évidence la faillite du NFP du point de vue d’une lutte contre l’extrême-droite. Aucun d’entre eux n’a appelé à mobiliser la classe ouvrière en lutte contre le danger fasciste en France et en Europe, mais aussi avec la présidence de Trump aux USA. Des millions de Français votent RN par dépit contre les politiques d’austérité de partis du NFP, mais ils n’avaient rien à dire aux travailleurs en colère contre un jugement sur des affaires d’emplois fictifs que les juges ont pardonnés à d’autres partis, et qui les empêche de voter à nouveau pour Le Pen.

Les intervenants ont aussi fait le silence sur la mobilisation de millions de travailleurs et de jeunes samedi pour manifester contre Trump. Une colère explosive couve dans la classe ouvrière américaine contre les expulsions illégales qui se multiplient aux USA, et la guerre commerciale que Trump vient de lancer contre le monde, qui menace de dévaster les niveaux de vie ouvriers à l’international. Les intervenants du NFP étaient quant à eux entièrement focalisés sur une optique nationale de soutien au gouvernement Macron et à son jugement contre Le Pen.

Le coordinateur national de La France insoumise (LFI), Manuel Bompard, a critiqué le RN en tant que menace pour l’État. Il a accusé le RN de montrer son «vrai visage» en manifestant contre la décision de justice, celui d'un parti «dangereux pour la démocratie et pour l'Etat de droit … C'est un parti violent qui menace y compris les juges quand les décisions prises par la justice ne leur conviennent pas».

La secrétaire nationale des Verts, Marine Tondelier, a dénoncé que la manifestation du RN comme étant «en réalité en opposition à la justice et contraire à l’État de droit» et ajouté: «D’un seul homme, d’une seule femme, on doit être là, comme à chaque fois que la République est attaquée.»

Or, de telles déclarations, passant sous silence le soutien du RN aux guerres impérialistes françaises, à la répression policière et à l’austérité, finissent par bloquer une prise de conscience des dangers réels posés par le néofascisme en France comme à l’international. La manifestation du RN s’étant déroulée sans violence, ces avertissements résonnent simplement comme des craintes infondées émises par des défenseurs de l’ordre.

En effet, le PS et le PCF, les partis traditionnels de gouvernement capitaliste au sein du NFP, l’ont d’ailleurs presque avoué en justifiant leur décision de ne pas participer à la manifestation. Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a dit qu’ils ne venaient pas pour éviter de «donner prétexte à Marine Le Pen pour dire: 'Vous avez d'un côté la gauche qui défend les magistrats et de l'autre côté la droite et l'extrême droite qui s'en méfient'».

Le WSWS a interviewé Mathieu Dubois, secrétaire des Jeunesses communistes (JC) staliniennes de la région de Paris, qui s’est fait l’écho des arguments de Bompard. «Pour une fois qu'une décision de justice s'applique contre (le RN), ils décident de jeter le discrédit dessus. Aujourd'hui, on vient pour défendre la République, ses institutions et l'État de droit», a-t-dit. «Les discours sur un cartel des juges, sur les juges rouges infusent dans la société, avec une très nette influence, d'ailleurs américaine, là-dessus.»

Mathieu Dubois, membre des Jeunesses communistes (JC) staliniennes à Paris. [Photo: WSWS]

Quand le WSWS a demandé pourquoi sur les 50 dernières années le PCF avait perdu l’électorat ouvrier, dont le RN a récupéré de grandes parties, Dubois a répondu: «Il y a eu un accroissement très violent de la violence de classe du patronat. Les salariés ont été isolés, la répression syndicale s'est accentuée, les usines ont été délocalisées, les services publics ont reculé, parce que l'État est venu à la rescousse des patrons.»

Cette réponse passe sous silence le rôle du stalinisme français et son alliance avec le PS, qui a été une cheville ouvrière des attaques patronales contre les travailleurs. Quand le WSWS a demandé quel bilan le PCF tire de ses politiques d’austérité depuis le «tournant de la rigueur» en 1982 du gouvernement PS-PCF de Mitterrand, de la dissolution stalinienne de l’URSS en 1991, et des guerres des gouvernements PS-PCF-Verts successifs, il a répondu: «Le bilan, c'est qu'on est en période de renforcement. On a un nombre important d'adhésions.»

En réalité, les organisations du NFP n’ont aucune ambition de regrouper les travailleurs comme le faisait le PCF des années 1970. Ce sont des coquilles vides bureaucratiques, dont le rôle est avant tout d’empêcher l’opposition ouvrière de les déborder sur leur gauche. Un gouffre de classe sépare les sentiments des travailleurs et les jeunes de leur défense des institutions étatiques.

Le WSWS a aussi interviewé Jibril, Sarah et leurs amis qui participaient à la manifestation. Jibril a dit espérer que le jugement contre Le Pen empêcherait l’establishment politique de faire pression sur lui pour voter Macron afin de barrer la route à Marine Le Pen. Il a dit: «Elle passe tout le temps, on doit tout le temps faire barrage. Sur les deux dernières élections, on a dû faire barrage et voter Macron. Moi, je n'ai pas envie que Macron tienne son pays, Marine Le Pen non plus.»

Quand le WSWS ont expliqué que le PES avait appelé à mobiliser la classe ouvrière contre le choix empoisonné entre Le Pen et Macron, à travers un boycott actif du second tour des présidentielles, Jibril a indiqué qu’il ne pensait pas que Macron défend la démocratie contre Le Pen:

«Quand Elisabeth Borne était première ministre, c'était une cinquantaine de 49-3 (pour imposer les mesures d’austérité sans vote parlementaire) qui sont passés en un an ou deux ans. … Ils gardent le même gouvernement qui décide alors que le peuple français ne l'a pas décidé ainsi. Après, le conflit Russie-Ukraine est compliqué. Mais quand même, il y a eu, il y a des frappes faites par l'Ukraine depuis 2014. Et je ne pense pas que c'est à la France de réparer le contexte qu'il y a là-bas.»

A propos de l’appel de Macron à intervenir militairement en Ukraine, Jibril a ajouté: «Il traite plusieurs conflits différemment en fonction de l'éthnie, en fait. Poutine, ça n'a jamais été son allié politique. Et ça le met en très bonne position du point de vue des Français qui se disent … que Macron est le bon Samaritain qui vient aider le peuple opprimé. Mais ce n'est pas vrai».

Jibril a souligné la solidarité des jeunes en France pour les luttes aux USA: «Déjà c'est important de bien montrer que le peuple n'accepte pas ce qui se passe, de montrer qu'ils veulent leur changement, qu'ils veulent que ça change. Et puis, moi je suis solidaire par rapport aux manifestations».

Il a ajouté, «Et par rapport aux expulsions (d’étudiants aux USA qui prennent position contre le génocide à Gaza), je suis complètement contre. Ils ont le droit de donner leur avis, surtout par rapport à ce qui se passe. C'est très important de ne pas laisser passer ça.» Sarah a dénoncé le génocide à Gaza et expliqué: «Ce n'est pas pour autant qu'on est antisémites et contre les Israéliens. On est contre l'État d'Israël et contre ce qu'entreprend Netanyahou et son État, en fait. Et on est contre les pays comme la France qui accueillent Netanyahou».

Ces témoignages révèlent la profonde opposition des jeunes envers les politiques du PS, de Macron et de Le Pen. La question décisive à présent est d’armer le mouvement d’une perspective claire pour mobiliser la classe ouvrière indépendamment du NFP et de ses alliés dans les appareils syndicaux, former leurs propres organisations de lutte indépendantes, et les relier au mouvement naissant de la classe ouvrière internationale contre le fascisme et la guerre.