Chine : la colère éclate chez les travailleurs de l'usine Foxconn de Zhengzhou

Des manifestations de milliers de travailleurs ont éclaté mardi soir dans l'immense usine Foxconn de Zhengzhou qui produit environ la moitié des iPhones Apple dans le monde. Les détails précis sont rares car les informations sur les troubles, principalement via les réseaux sociaux, ont été soumises à une forte censure officielle.

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Néanmoins, il semble que les travailleurs se soient affrontés à d'importants contingents de policiers alors qu'ils protestaient contre les primes non payées et les mauvaises conditions de travail et de vie. Les travailleurs ont également exprimé leur inquiétude quant au fait qu'ils étaient forcés de travailler à côté de collègues potentiellement infectés par le COVID-19 et de vivre dans des dortoirs avec eux.

En réponse à une épidémie de COVID-19 en octobre, Foxconn avait d’abord tenté d’ignorer les infections, puis il a imposé un système dit en boucle fermée visant à maintenir la production. Toute la main-d'œuvre a été confinée à l'usine et les travailleurs infectés contraints de rester dans leurs dortoirs.

Foxconn Zhengzhou est une mini-ville qui accueille jusqu'à 350 000 travailleurs en période de pointe. À pleine capacité, l'usine peut produire 500 000 téléphones par jour. Les travailleurs sont entassés huit par pièce dans d'immenses dortoirs de 10 ou 12 étages.

La frustration face aux conditions épouvantables et la crainte de s’infecter ont conduit à un exode massif de l'usine début novembre. Des vidéos sur les réseaux sociaux montraient des travailleurs avec leurs affaires quittant l'usine à pied en raison du manque de transports en commun après une épidémie de COVID-19 dans la ville de Zhengzhou.

Sous la pression d'Apple et pour augmenter la production du nouveau modèle d'iPhone 14 à temps pour la saison des achats de Noël aux États-Unis et dans le monde, Foxconn, en collaboration avec le gouvernement local, a lancé une campagne de recrutement de masse. Il a fait des promesses de salaire et de primes pour embaucher 100 000 travailleurs supplémentaires.

Aux manifestations de cette semaine ont apparemment surtout participé les nouveaux embauchés, en colère à cause des promesses non tenues de salaires et de primes.

Un reportage de l'agence de presse Reuters décrit ainsi la situation: « 'Donnez-nous notre salaire !' ont scandé des travailleurs qui étaient entourés de gens en tenue de protection contre les matières dangereuses, certaines portant des matraques, selon des images d'une vidéo. D'autres images montraient l’usage de gaz lacrymogènes et des travailleurs enlevant des barrières de quarantaine ».

Le site Web Gizmodo.com rapporte: «Des vidéos dramatiques capturent la scène où des milliers de travailleurs ont pris d'assaut le campus de l'usine d'iPhone pendant la nuit, franchissant les barricades et les points de contrôle de sécurité. Des informations indiquent que les manifestants ont été repoussés par la police et les forces de sécurité qui les ont frappé avec des boucliers et des matraques et ont inondé les rues de gaz lacrymogène.

« Des vidéos montrent des manifestants affrontant des policiers et des agents de sécurité, la plupart de ces derniers vêtus de combinaisons blanches de la tête aux pieds. D'autres vidéos montrent des manifestants franchissant des barricades dans une grande vague, et d'autres images montrent des manifestants détruisant des points de contrôle de sécurité à l'usine d'iPhone. »

Les travailleurs directement impliqués dans les affrontements bénéficiaient manifestement d’une large sympathie de la part d’autres travailleurs. Selon Bloomberg, des vidéos sur les réseaux sociaux montraient que « ceux qui regardaient les manifestations dans les rues ou depuis des balcons au-dessus du chaos criaient également « défendez-vous, défendez-vous ».

La BBC rapporte qu'un salarié de Foxconn aurait déclaré: « Ils ont modifié le contrat afin que nous ne puissions pas obtenir la subvention comme ils l'avaient promis. Ils nous mettent en quarantaine mais ne fournissent pas de nourriture. S'ils ne répondent pas à nos besoins, nous continuerons à nous battre. » Il a dit avoir vu un homme « grièvement blessé » après avoir été passé à tabac par la police.

Citant deux ex-salariés de Foxconn Zhengzhou, qui ont maintenu des contacts étroits avec les travailleurs à l'intérieur de l'usine, le South China Morning Post explique que les travailleurs étaient sortis de leurs dortoirs mardi soir en raison du non-respect des promesses faites par l'entreprise lors du recrutement.

Un ancien ouvrier a déclaré au journal que les modalités d'une ‘indemnité de rétention’, promise aux nouveaux salariés qui resteraient à l'usine jusqu'au 15 février 2023, avaient été modifiées. Les travailleurs devaient désormais rester jusqu'au 15 mars pour toucher la prime, soit un mois de plus.

La colère ne concernait pas seulement les salaires et les primes.

Il convient de noter que plusieurs reportages des médias occidentaux, dont la BBC, le Guardian et Reuters, brouillent délibérément les pistes en laissant entendre à tort que les travailleurs protestaient contre les mesures visant à supprimer les infections au COVID-19. En fait, c'est le contraire qui se produit: les travailleurs indiquent clairement dans leurs publications sur les réseaux sociaux qu'ils craignaient que l'on n'en fasse pas assez pour empêcher la propagation du virus.

Le site Web What's on Weibo, qui surveille les réseaux sociaux en chinois, cite un long message expliquant que d'autres promesses avaient été rompues. « Foxconn avait initialement promis que les nouveaux travailleurs vivraient séparément des anciens salariés, mais en réalité ils vivent tous dans les bâtiments-dortoirs; et les anciens salariés n'ont pas fait de test d'acide nucléique depuis 7 à 8 jours, ce qui signifie qu'il y a des cas positifs de Covid vivant et travaillant avec les nouveaux embauchés. Cela a provoqué la panique parmi les nouveaux travailleurs, qui se sentent trompés. Ce fut la première tromperie. »

« La deuxième tromperie est que ce soir, tout le monde a reçu un nouveau contrat de Foxconn, qu'il s'agisse des nouveaux employés déjà entrés sur le campus de Foxconn ou d'employés encore en quarantaine, et le contrat était totalement différent de celui émis par Foxconn au moment du recrutement. Tout le monde a estimé que Foxconn les avait trompés dès le départ, ce qui a conduit à l'éclatement d’émeutes aujourd'hui. »

Le site Web a cité d'autres publications sur les réseaux sociaux. « Nous ne demandons rien, rien que des tests d'acide nucléique réguliers et la livraison de nourriture feraient l'affaire », a déclaré une travailleuse dans une vidéo qui a circulé sur Kuaishou, une application de vidéo sociale en chinois.

« Foxconn est infecte, ce sont des ordures, ils ont utilisé la force militaire pour réprimer les travailleurs, de nombreux membres du personnel ont été blessés et le gouvernement de Zhengzhou est de connivence avec eux pour intimider les travailleurs ordinaires », a écrit un commentateur de Weibo.

Foxconn a publié une déclaration niant avoir fait de fausses promesses et affirmant qu'il remplissaient ses obligations contractuelles, sans répondre à aucune des plaintes concernant les modifications contractuelles alléguées.

La société a également affirmé qu'il était « manifestement faux » que les nouveaux embauchés devaient partager des dortoirs avec des travailleurs positifs au COVID, mais n'a pas répondu aux allégations concernant le manque de tests PCR. L'entreprise a simplement déclaré que les dortoirs avaient subi les procédures standard de désinfection et passé les contrôles gouvernementaux.

Après que la police eut réprimé la manifestation de mercredi, Foxconn aurait tenté de désamorcer la situation. De nombreux nouveaux travailleurs avaient demandé leur départ avec une indemnisation. L'entreprise a apparemment promis un paiement de 10 000 RMB (1 345 euros) à quiconque choisirait de partir, mais selon plusieurs posts sur les réseaux sociaux, elle a ensuite retiré l'offre.

L'éruption de manifestations à l'usine Foxconn de Zhengzhou reflète clairement des tensions sociales beaucoup plus larges en Chine, alimentées par le ralentissement de l'économie, la hausse du chômage et le vaste fossé social entre les oligarques super riches du pays et la grande majorité de la population.

Le site Web What's on Weibo rapporte qu'une nette majorité des gens qui s'expriment sur les réseaux sociaux soutiennent les travailleurs de Foxconn. « Ils postent de vieilles affiches de propagande qui soulignent comment la classe ouvrière chinoise mènera la révolution et recommandent aux autres utilisateurs de Weibo de lire Karl Marx,» explique le site.

Il cite encore d'autres commentaires soulignant un large mécontentement qui s'accumule malgré les efforts du régime du Parti communiste chinois pour étouffer l’agitation.

« Je me sens tellement affligé à ce sujet », a déclaré un commentateur de Weibo à propos de la situation de Foxconn: « Il est temps de se réveiller! », « Quelle est la première phrase de l'hymne national ? » un blogueur a écrit: « Debout, ceux qui refusent d'être esclaves ! »

(Article paru en anglais le 24 novembre 2022)

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