Perspectives

La criminalisation de la grève des travailleurs de l’éducation en Ontario et l’assaut mondial contre les droits des travailleurs

Le gouvernement progressiste-conservateur de l’Ontario, aux politiques ultraconservatrices, est en train de faire adopter à toute vitesse par le parlement provincial une loi visant à criminaliser la grève prévue par 55.000 gardiens d’école, assistants d’éducation, éducateurs de la petite enfance et membres du personnel administratif.

La grève doit commencer vendredi à la suite d’un vote massif de 96,5 % en faveur de la grève. Les travailleurs les moins bien payés du secteur de l’éducation, le personnel de soutien scolaire, sont déterminés à inverser des années de réductions salariales réelles et à obtenir un financement accru pour un système éducatif qui a été saigné à blanc par des décennies d’austérité.

Des employés de soutien scolaire de l’Ontario manifestent à l’extérieur de la conférence du Parti progressiste-conservateur, le 22 octobre 2022 [Photo: WSWS] [Photo: WSWS]

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, et le ministre de l’Éducation, Stephen Lecce, utilisent leur interdiction de grève draconienne pour décréter arbitrairement de nouvelles réductions massives de salaires réels. Les contrats de quatre ans qui seront imposés en vertu de la Loi sur le maintien des élèves à l’école (Keeping Students in School Act), au nom orwellien, prévoient une augmentation salariale annuelle maximale de seulement 2,5 pour cent, dans des conditions où l’inflation pour les produits de première nécessité dépasse largement 10 pour cent. Les contrats imposés réduiraient également les indemnités de maladie et supprimeraient les dispositions relatives à la sécurité de l’emploi. Tout travailleur qui défie l’interdiction de la grève risque une amende de 4.000 dollars par jour d’action, tandis que les syndicats peuvent se voir infliger une amende de 500.000 dollars par jour.

Ford et Lecce ont déclaré publiquement que leur «convention collective» illégitime servira de référence pour les nouveaux contrats de 200.000 enseignants ontariens. Cependant, leur attaque contre les salaires et les droits démocratiques des travailleurs de l’éducation est une attaque contre l’ensemble de la classe ouvrière. Elle vise à briser la résistance aux coupes sombres dans l’éducation et d’autres services publics et à aider les grandes entreprises à imposer des réductions massives des salaires réels aux travailleurs du secteur privé partout au Canada.

Pour faire respecter son interdiction de grève et ses reculs contractuels, Ford invoque la «clause dérogatoire» de la Constitution canadienne, qui est antidémocratique et, jusqu’à tout récemment, était rarement utilisée. Cette clause permet aux gouvernements fédéral et provinciaux du Canada d’adopter des lois qui violent les droits démocratiques fondamentaux censés être garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, et de les protéger ainsi contre toute annulation par les tribunaux. L’invocation par Ford de la clause dérogatoire est un aveu tacite que son gouvernement piétine les droits démocratiques fondamentaux et vise à normaliser de telles actions autoritaires.

Le gouvernement fédéral libéral du Canada a critiqué l’invocation de la clause dérogatoire par Ford, mais a évité de s’opposer à cette loi briseuse de grève. Cette double attitude n’est pas surprenante. Le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau a régulièrement bafoué les droits des travailleurs, menaçant ou brisant les grèves avec des lois de retour au travail. Il a notamment criminalisé les débrayages tournants des postiers en 2018 et une grève au port de Montréal en 2021. Trudeau parle au nom d’une faction de l’élite dirigeante canadienne qui, comme Biden aux États-Unis, préfère utiliser la bureaucratie syndicale pour appliquer les attaques contre les travailleurs plutôt que de risquer une confrontation directe entre les travailleurs et l’État.

Le saccage des droits des travailleurs par l’élite capitaliste est un phénomène mondial. Aux États-Unis, l’administration Biden s’est entendue avec la bureaucratie syndicale et les compagnies ferroviaires pour bloquer temporairement une grève de plus de 120.000 cheminots en septembre. Si les syndicats du rail ne parviennent pas à imposer une nouvelle série de vastes reculs, le Congrès américain à majorité démocrate s’est engagé à intervenir et à interdire toute grève.

En France, le détestable président Emmanuel Macron a récemment réquisitionné les travailleurs des raffineries de pétrole en grève pour mettre fin à un mouvement de grève de deux semaines qui a réduit l’approvisionnement en carburant d’une grande partie du pays. Et en Grande-Bretagne, le gouvernement conservateur de droite est sur le point d’adopter une législation qui rendra effectivement illégales les grèves dans des secteurs clés, notamment les transports aériens, routiers et ferroviaires.

L’abrogation des droits des travailleurs par des gouvernements profondément impopulaires en Amérique du Nord et en Europe tourne en dérision les affirmations incessantes de ces mêmes régimes qui prétendent être engagés dans une croisade pour la «démocratie» et les «droits de l’homme» contre «l’agression russe» en Ukraine. Ces attaques soulignent que les travailleurs des centres impérialistes n’ont essentiellement aucun droit démocratique, du moins pas lorsqu’ils menacent d’entraver le programme d’austérité de guerre de classe de l’élite dirigeante au niveau national et ses opérations militaires à l’étranger.

La destruction systématique des droits des travailleurs fait partie d’un virage conscient de la bourgeoisie vers des formes autoritaires de gouvernement dans tous les grands pays. Ce processus a trouvé son expression la plus claire dans la tentative de coup d’État fasciste de Trump le 6 janvier 2021, pour renverser le résultat de l’élection présidentielle américaine de 2020.

La poussée vers la dictature est enracinée dans l’approfondissement de la crise capitaliste qui alimente le danger d’une troisième guerre mondiale combattue avec des armes nucléaires et qui porte les inégalités sociales à des niveaux sans précédent. Les salaires des travailleurs, les services publics et les aides sociales dont dépendent des centaines de millions de personnes sont sacrifiés pour gonfler le solde bancaire des super-riches et financer la machine de guerre impérialiste.

Alors que Ford prétend qu’il n’y a «pas d’argent» pour offrir aux travailleurs de soutien à l’éducation mal payés – dont beaucoup doivent avoir un deuxième emploi pour joindre les deux bouts – une «augmentation» de salaire de plus de de 2,5 % par an, le gouvernement libéral fédéral du Canada a dépensé plus de 600 millions de dollars pour la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie depuis février.

Le gouvernement libéral fédéral a également accordé un renflouement massif de 650 milliards de dollars aux banques et aux grandes entreprises au début de la pandémie de COVID-19, puis a supervisé une campagne de réouverture des entreprises et des écoles, ce qui a entraîné sept vagues d’infection et de mort massives. Pendant ce temps, un récent sondage national a révélé qu’un Canadien sur cinq saute des repas parce qu’il n’a pas les moyens d’acheter de la nourriture. Des contradictions aussi flagrantes entre la richesse et la misère ne peuvent être maintenues démocratiquement.

La seule façon pour les travailleurs de soutien à l’éducation de répondre à la loi anti-grève de Ford est de lutter pour la mobilisation des enseignants et de tous les travailleurs dans une campagne de défiance massive. Une telle campagne pourrait galvaniser le soutien de la masse et le ferait: tous les travailleurs de l’Ontario, du Canada et du monde entier ont un intérêt direct à défendre le droit de grève, à lutter pour un système d’éducation publique bien financé et à obtenir des augmentations de salaire et d’avantages sociaux qui annulent l’inflation, au minimum.

C’est précisément la stratégie à laquelle les syndicats corporatistes, dirigés au Canada comme à l’étranger par un appareil bureaucratique de fonctionnaires hautement rémunérés, s’opposent amèrement. Le Congrès du travail du Canada (CTC) et la Fédération du travail de l’Ontario (FTO) ont émis des déclarations creuses de «solidarité» avec les travailleurs de soutien à l’éducation qui n’engagent à absolument rien ces organisations comptant des millions de membres. Les quatre syndicats d’enseignants de l’Ontario jouent un sale rôle, ordonnant à leurs membres de se présenter au travail vendredi car il s’agit de leur «obligation contractuelle» et les avertissant de ne pas se joindre aux piquets de grève ou aux protestations pendant les «heures de travail».

Conscients de la colère massive des travailleurs de soutien à l’éducation, le Conseil des syndicats des conseils scolaires de l’Ontario (CSCEO) et son organisme parent, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), ont été contraints d’appeler à un débrayage qu’ils qualifient de «protestation politique» à compter de vendredi.

Mais le SCFP, le plus grand syndicat du Canada avec plus de 700.000 membres, continue d’insister, malgré la loi anti-grève, sur le fait qu’un accord peut être conclu avec Ford et Lecce par le biais de «négociations». Pour inciter le gouvernement à reprendre les pourparlers, le SCFP a réduit sa demande d’augmentation salariale annuelle de 11,7 % à 6 % mercredi.

Le SCFP et l’OSBCU refusent d’appeler à une lutte unie avec les 200.000 enseignants dont les contrats ont expiré le même jour que ceux des travailleurs de soutien à l’éducation, sans parler des travailleurs en général. Alors que Ford a clairement indiqué, par son utilisation de la clause dérogatoire, qu’il est prêt à utiliser toutes les armes répressives à sa disposition pour vaincre les travailleurs de soutien à l’éducation, le SCFP fait tout pour isoler et saboter leur lutte.

Le SCFP a annoncé que pendant le débrayage de vendredi, il n’y aura pas de piquetage dans les écoles. On demande plutôt aux travailleurs de se rassembler devant l’Assemblée législative de l’Ontario, de «protester» dans les bureaux des politiciens progressistes-conservateurs locaux et d’écrire des courriels à Ford pour le supplier de «négocier». En réalité, il n’y a rien à «négocier» avec un gouvernement qui a saccagé le système de négociation collective en réécrivant les règles pour imposer ses propres exigences.

Les syndicats justifient leur appel à une «protestation politique» en le présentant comme une tactique astucieuse. En «protestant» plutôt qu’en faisant grève, affirment les bureaucrates, les travailleurs ne violeront pas l’interdiction de la grève. En fait, ce qu’ils déclarent, c’est qu’ils limiteront la grève à une vaine campagne de pression visant à persuader Ford et Lecce de sucrer leur pilule empoisonnée. Leur principale préoccupation est de défendre à tout prix le système réactionnaire de négociation collective, car c’est cette monstruosité étatique et antiouvrière qui leur assure des relations privilégiées avec les ministres du gouvernement et les dirigeants d’entreprise.

Ces liens corporatistes sont illustrés par l’alliance entre les libéraux au pouvoir, les néo-démocrates sociaux-démocrates et les syndicats au niveau fédéral. Cette alliance, qui s’est engagée à assurer au gouvernement minoritaire de Trudeau une majorité au parlement jusqu’en juin 2025, vise à étouffer la lutte des classes au pays et à faire la guerre au nom de l’impérialisme canadien à l’étranger.

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Pour faire échec à l’interdiction de grève du gouvernement Ford, les travailleurs de soutien à l’éducation doivent prendre le contrôle de la lutte contre la bureaucratie syndicale en créant un réseau de comités de la base pour mener une campagne de défiance massive. Ils doivent sortir des limites du cadre de la négociation collective en unifiant leur lutte avec les enseignants et en mobilisant le soutien de l’ensemble de la classe ouvrière pour faire tomber le gouvernement Ford. La lutte pour obtenir des emplois décents, un système d’éducation publique bien financé et la protection des droits des travailleurs est incompatible avec la domination de la vie sociale et politique par l’oligarchie financière. Ce qui est nécessaire, c’est la redistribution des vastes ressources de la société pour répondre aux besoins sociaux plutôt qu’au profit privé, ce qui dépend avant tout de la lutte pour un gouvernement ouvrier engagé dans des politiques socialistes.

Puisque l’assaut contre les droits des travailleurs est enraciné dans une crise systémique du capitalisme mondial, les travailleurs doivent adopter une réponse internationale unifiée. Les alliés les plus puissants des travailleurs de l’éducation en Ontario sont les travailleurs du monde entier – qu’il s’agisse des travailleurs du rail et des éducateurs aux États-Unis, des travailleurs des raffineries de pétrole en France ou des travailleurs de la santé et des transports en Grande-Bretagne – et non les bureaucrates syndicaux qui cherchent une solution «négociée» avec leurs «partenaires» gouvernementaux. C’est pourquoi le développement d’une véritable lutte contre l’austérité capitaliste et la répression étatique dépend de la construction de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base.

(Article paru en anglais le 3 novembre 2022)

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