Oskar Lafontaine quitte le Parti Die Linke

Pour la deuxième fois de sa vie, Oskar Lafontaine a quitté un parti qu’il a lui-même contribué à construire et à diriger. Le 17 mars, l’homme de 78 ans a déclaré sa démission de Die Linke (parti La Gauche).

Il y a 23 ans, Oskar Lafontaine avait démissionné de son poste de président fédéral du Parti social-démocrate (SPD). C’est un parti dans lequel il avait été actif pendant 40 ans. À cette époque, il a également démissionné de ses fonctions de ministre des Finances et de député au Bundestag (parlement fédéral) avec effet immédiat. En 2007, il a fondé, avec Gregor Gysi, le parti Die Linke, qu’il a dirigé pendant trois ans. Dernièrement, il a présidé le groupe parlementaire de Die Linke, désespérément divisé, en Sarre, où une procédure d’exclusion du parti est en cours à son encontre.

Oskar Lafontaine lors d’un meeting électoral à Weimar en 2021 (Photo : Martin Heinlein/CC BY-SA 2.0/flickr)

Dans une courte déclaration, Oskar Lafontaine a justifié sa démission. Il a dit: «J’ai un jour quitté le SPD parce qu’il était devenu un parti qui, contrairement à la tradition de la social-démocratie de Willy Brandt, encourageait les bas salaires, réduisait les retraites et les prestations sociales. Ce parti soutenait également la participation de la Bundeswehr [forces armées] à des guerres qui violaient le droit international. Je voulais qu’il y ait une alternative de gauche à la politique d’insécurité sociale et d’inégalité dans l’échiquier politique. C’est pourquoi j’ai cofondé Die Linke. Le Die Linke d’aujourd’hui a abandonné cette revendication».

A qui Lafontaine espère-t-il faire croire cela?

Lorsque Die Linke a été fondé en 2007, il était clair depuis longtemps que le parti n’était pas une «alternative de gauche à la politique de l’insécurité sociale et de l’inégalité». À Berlin, le PDS (Parti du socialisme démocratique, successeur immédiat du parti d’État stalinien de l’ex-Allemagne de l’Est), qui fournissait la majorité des membres du nouveau parti, siégeait au Sénat (l’exécutif du Land) [Land est le nom des régions en Allemagne] depuis cinq ans. Il a été responsable d’un programme de réduction drastique des dépenses sociales, unique en Allemagne. Dans d’autres États et municipalités de l’ancienne Allemagne de l’Est, le PDS a joué un rôle similaire, se révélant être un pilier fiable de l’ordre capitaliste.

Le WASG (Alternative électorale travail et justice sociale), qui a fusionné avec le PDS pour former Die Linke, était composé de sociaux-démocrates et de syndicalistes blasés. Ceux-ci avaient soutenu les politiques anti-ouvrières du SPD pendant des années et paniquaient à présent à l’idée que les conséquences sociales dévastatrices des réductions de la protection sociale, avec les «réformes» du travail de l’Agenda 2010 du gouvernement Schröder conduiraient à la disparition du SPD et à la renaissance de la lutte des classes. Le Parti de gauche était censé empêcher cela.

Ce projet a échoué lamentablement. Ce n’est pas une coïncidence si la démission de Lafontaine intervient à un moment où les conséquences de la pandémie de coronavirus et de la guerre en Ukraine mettent les luttes de classe ouvertes à l’ordre du jour dans le monde entier. L’illusion d’un retour à la politique réformiste de Willy Brandt, qui a fait des concessions sociales afin de détourner une vague militante de luttes ouvrières et de protestations de la jeunesse au début des années 1970, se trouve ainsi brisée.

Le capitalisme ne connaît désormais qu’une seule direction: des attaques toujours plus violentes contre la classe ouvrière. Pour maintenir les profits et empêcher l’éclatement de l’énorme bulle spéculative, les salaires doivent être abaissés, l’exploitation du travail accrue et les emplois détruits. Le conflit en Ukraine, une guerre par procuration entre l’OTAN et la Russie, inaugure un nouveau cycle de luttes impérialistes pour le redécoupage du monde.

L’Allemagne déverse 100 milliards d’euros supplémentaires dans l’armement, mais aucun centime n’est disponible pour l’éducation, la santé et les autres besoins sociaux urgents. À Berlin, Die Linke fait partie d’une coalition au Sénat, qui coupe les derniers fonds librement disponibles dans les écoles.

Die Linke se désagrège sous la pression de ces contradictions. Alors qu’une grande partie de la direction de Die Linke — comme Ramelow, Kipping, Bartsch, Gysi & Cie — fusionne avec l’appareil d’État et soutient ouvertement la politique de guerre de l’OTAN, d’autres glissent dans le camp de l’extrême droite. Lafontaine et son épouse Sahra Wagenknecht attirent depuis longtemps l’attention sur eux par leurs tirades xénophobes, leur solidarité avec les anti-vaccins et leur agitation nationaliste (völkisch).

L’affirmation selon laquelle Lafontaine est un «homme de gauche» a toujours été fausse. Formé dans un séminaire épiscopal de l’Eifel, il était beaucoup plus proche des enseignements sociaux catholiques que de la doctrine marxiste de la lutte des classes. Ses politiques sociales ont toujours eu pour objectif de réprimer la lutte des classes, et non de renforcer la classe ouvrière. Cela allait de pair avec la politique d’un État fort et d’un nationalisme odieux.

Par exemple, dans les années 1970, en tant que maire de Sarrebruck, Lafontaine a été le premier à introduire le travail obligatoire pour les jeunes bénéficiaires de l’aide sociale. En tant que ministre-président de la Sarre, il a ensuite liquidé les industries minières et sidérurgiques du Land. Entre 1960 et 2005, quatre cinquièmes des quelque 100.000 emplois de ce Land ont été détruits. Grâce à une collaboration étroite avec les syndicats et à certaines mesures visent à amortir l’impact social immédiat du massacre des emplois, Lafontaine a réussi à briser la résistance féroce des travailleurs.

Même à cette époque, Lafontaine combinait les coupes sociales avec des attaques féroces contre les réfugiés et les immigrés, qu’il appelle «travailleurs étrangers» dans le jargon des extrémistes de droite. En 1993, il a fait en sorte que le SPD accepte l’abolition de facto du droit d’asile.

La raison de la rupture de Lafontaine avec le SPD en 1999 était la crainte que l’Agenda 2010 du chancelier Gerhard Schröder ne mine la capacité du SPD à contrôler la lutte des classes.

Nous avons posé la question à l’époque: «Pourquoi Lafontaine s’est-il rendu sans combattre et n’a-t-il pas fait la moindre tentative pour défendre ses opinions et gagner des soutiens pour celles-ci?» La réponse était claire: «Si Lafontaine avait tenté de défier un lobby patronal qui cherche de plus en plus sans honte à dicter la politique gouvernementale […] Il aurait mis en branle des forces sociales et c’est la dernière chose qu’il souhaite».

Après la rupture avec le SPD, Lafontaine a affiché de plus en plus ouvertement ses opinions autoritaires et nationalistes.

À propos des attaques terroristes du 11 septembre 2001, il a écrit: «Les sociétés ouvertes ont besoin d’un État fort. La dérégulation, la privatisation, les cartes vertes pour les techniciens, les licences de pilote pour quelques dollars, la liberté d’établissement pour tous et les caisses vides de l’État sapent la sécurité intérieure et extérieure. Le mépris de l’État doit cesser».

Le «pacifisme» de Lafontaine, qui remonte aux manifestations contre le déploiement des missiles américains Pershing II au début des années 1980, n’est dirigé que contre les États-Unis. Lorsqu’il s’agit des intérêts allemands, en revanche, Lafontaine est un militariste.

Ainsi, en 2017, lorsque le gouvernement Trump a imposé des sanctions à la Russie, il a écrit: «C’est le moment où l’Europe doit s’occuper de ses propres intérêts et abandonner son allégeance plus ou moins inconditionnelle aux États-Unis.» Malheureusement, a-t-il dit, Die Linke est «le seul parti qui ne nage pas docilement derrière la seule puissance mondiale restante». Face à toute coalition concevable de partis néolibéraux, seul «un Die Linke fort au Bundestag pourrait continuer à faire pression pour que les intérêts propres de l’Allemagne et de l’Europe soient représentés plus fortement que les objectifs “malhonnêtes” de la politique américaine».

Sur la politique des réfugiés, Lafontaine a tenu les mêmes positions que l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), parti d’extrême droite, depuis 2015 au plus tard. À l’automne 2020, il a même présenté à Munich un nouveau livre de l’agitateur raciste Thilo Sarrazin.

Depuis sa fondation, le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste) a adopté la position selon laquelle le PDS et Die Linke sont des partis pro-capitalistes. Une opposition socialiste ne peut se construire que dans la lutte politique contre eux. Les organisations de pseudo-gauche telles que Marx21 (affilié au Socialist Workers Party britannique) et SAV (affilié au Socialist Party of England and Wales), ont par contre trouvées un foyer confortable dans Die Linke parce qu’elles sont elles-mêmes des adversaires d’une perspective socialiste.

(Article paru d’abord en anglais le 23 mars 2022)

Loading